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sexoDans le réseau secret des partouzes

Par Julien Claudé-Pénégry le 27/05/2022
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Non, les apéros Zoom n'ont pas remplacé le goût de la fête. La partouze pourrait même devenir un incontournable de la vie sociale post-pandémie.

La première fois, il a hésité avant d’appuyer sur la sonnette. Pourtant, ce jour-là, dans le couloir du deuxième étage d’une tour eighties de la capitale, l’excitation prend le dessus. Derrière la porte, des matelas recouverts de serviettes éponges jonchent le sol d’un salon, où seule la lumière d’un écran d’ordinateur diffusant du porno éclaire les corps. On lui propose de la 3-MMC et du GHB. Clément décline : “Je ne touche pas à ça, mais pas de problème si les autres en prennent.” Les participants respectent son choix. D’ailleurs, le jeune homme est agréablement surpris par l’attention portée au consentement. Peu à peu, il se laisse prendre au jeu, se fait vaguement sucer par son hôte et se chauffe en roulant des pelles à un quadra barbu qu’il trouve sexy. De temps à autre, il fait une pause. Un mec le suit dans la cuisine pour fumer une clope. Ils parlent cinq minutes, de sexe, de boulot, du dernier single d’Ariana Grande et de politique. Bref, ils font connaissance, avant de rejoindre les autres.

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Clément a 28 ans. Il vient de Rouen mais habite Paris “pour le boulot… et les mecs, évidemment”. Sa première partouze, c’était il y a un peu plus d’un an, alors que les confinements, couvre-feux et autres fermetures forcées condamnaient les Français à des festivités numériques bienvenues mais de plus en plus déprimantes, du DJ set du samedi soir sur Instagram aux anniversaires sur Zoom. “Avec la pandémie, ma vie sociale a beaucoup changé, explique-t-il. J’allais souvent voir des concerts, retrouver des amis au bar, au cinéma, en teufs… Des habitudes qui ne sont d’ailleurs pas totalement revenues.” Mais d’autres, en revanche, ont émergé, comme les touzes, auxquelles il participe “environ deux fois par mois”. Clément a désormais pris le pli de l’orgie, comme celui du gel hydroalcoolique ou du télétravail, et se demande un peu comment il a pu si longtemps passer à côté. “J’ai rencontré plein de mecs chouettes en touzes, que je revois parfois en soirées, et même en tête-à-tête pour certains, souligne-t-il. Ça m’a vraiment ouvert un monde.” Mais les partouzes ne sont pas nées de la dernière pandémie. Si la pratique semble peut-être attirer un public plus large grâce aux applis de rencontres, les touzeurs n’ont pas attendu Grindr pour en faire un social event immanquable de l’agenda des plus coquins d’entre nous.

Les codes de la partouze

“Pour moi, les partouzes, c’est comme les dîners en ville, résume Fabien, la quarantaine. La maîtresse de maison, qui tient à la réputation de ses soirées, est attentive au casting, te prévient de la présence de son coach brésilien parce qu’elle sait qu’il te plaît, et s’assure vraiment de la bonne entente entre tous”, décrit l’ancien Parisien, qui a profité d’une trentaine jouissive et d’un carnet d’adresses bien rempli. Car les initiés ont en effet leurs circuits, leurs codes et leurs réseaux, souvent loin de Grindr, de Scruff, ou même de ChillApp, pourtant spécialisée dans les rencontres en groupe. Le milieu fonctionne encore “à l’ancienne”, par le bouche-à-oreille et la cooptation, pratiques pouvant paraître old school mais pourtant largement répandues dans le circuit des touzards – car engageant la responsabilité des personnes invitant du monde et les forçant, de fait, à être plus attentives. Après un premier contact, les échanges se font ensuite sur des groupes WhatsApp ou Telegram.

“C’était un peu intimidant, mais j’ai dû m’en tirer plutôt bien puisqu’ils m’ont réinvité.”

“Alors que j’étais de passage à Paris, un couple d’habitués me prévient qu’ils comptent se rendre à une petite soirée, raconte Florian, Montpelliérain de 26 ans, se remémorant sa première fois. Ils m’ont donné le numéro de l’organisateur et m’ont invité à le contacter en précisant bien que je venais de leur part.” Un échange de SMS plus tard – avec quelques photos soft et détails sur ses goûts en matière de cul – et le voici dans l’une des plus célèbres partouzes de l’Ouest parisien : immense appartement, terrasse, un décor cinq étoiles rempli de mecs sublimes, et la sensation d’être “là où il faut être”. Le genre d’évènement qui te donne l’impression d’avoir gravi l’échelle sociale, et de ne plus jamais vouloir en descendre. Dans une touze, le novice se retrouve comme une jeune débutante de la haute durant la saison des bals de Bridgerton : pour avoir une chance de revenir, il doit faire ses preuves. “C’était un peu intimidant, mais j’ai dû m’en tirer plutôt bien puisqu’ils m’ont réinvité”, se pâme Clément. Et certains sont prêts à tout.

Aristocratie de l’orgie

Martin et Greg, un couple de trentenaires lyonnais, font partie des puristes. Ils ont commencé par les sex-clubs avant de s’inviter dans les soirées privées, aidés de leur compte OnlyFans, où ils partagent leurs aventures sexuelles en vidéo : “C’est plus efficace qu’une photo, tu balances ce que tu sais faire, tu donnes envie, et les mecs veulent en être.” Rapidement, ils découvrent un monde d’initiés, d’acteurs pornos et de notoriétés virtuelles, une sorte de “touze royalty” abdominée à faire pâlir d’envie n’importe quel mec solo devant son Instagram.

“J’ai accueilli des personnes de la France entière, ainsi que pas mal d’étrangers.

Attirer les plus beaux mecs, susciter le désir, organiser une soirée mémorable : tel est le défi des Bree Van de Kamp de l’orgie. Lesquelles ont bien compris que les réseaux sociaux étaient leur meilleur atout. Quand Sébastien, 45 ans, a commencé à organiser des soirées dans son appartement du 19e arrondissement parisien, il a tout de suite créé un compte Twitter : “Toutes les soirées sont filmées, puis montées et mises en ligne sur une plateforme. J’utilise Twitter pour faire du teasing, et ça marche incroyablement bien. J’ai accueilli des personnes de la France entière, ainsi que pas mal d’étrangers. Ma fierté : un Néo-Zélandais qui a prolongé son séjour pour venir à une de mes touzes.” Son évènement est désormais apprécié des connaisseurs, qui se refilent les tips comme on se refile la bouteille de poppers.

Mais attention, dans ce petit monde de jouisseurs, les notoriétés se font et se défont en un tour de main. Car cet espace de découverte et de liberté est néanmoins régi par des codes et des règles précises ; soyez attentifs à la dynamique générale, au style de garçons qu’on y trouve, etc. BDSM, câlines ou bio, il existe autant de touzes que de kinks. Et si l’ambiance ne vous convient pas, mieux vaut alors vous éclipser avant qu’on ne vous demande de partir. Du reste, avec l’essor du chemsex, la question des drogues est désormais devenue centrale.

PrEP et chems ont changé le game

Thierry, 41 ans, organisait des touzes il y a une quinzaine d’années. “Nous passions par Citegay pour nos annonces, et l’on sélectionnait les mecs sur photos, raconte-t-il. Tout le monde était en mode capote, la PrEP n’existait pas et les drogues étaient interdites. Résultat : une fois par mois, on se retrouvait à 35-40 personnes, et à 2 h du mat’ tout le monde était parti.” Aujourd’hui, c’est différent. Depuis la crise sanitaire, Bilal est l’hôte hebdomadaire de sessions de sexe où des dizaines de mecs défilent en enchaînant les produits de synthèse – 3-MMC, 4-MEC, G, parfois Crystal –, ces “chems” permettant à la touze du vendredi de finir le lundi, sans interruption. Certains désinhibent, d’autres excitent ou permettent d’assurer. Car, même perché, le culte de la performance n’est jamais très loin.

“Les descentes toutes les semaines, c’était devenu trop compliqué.”

“La question des chems surgit vite dans les conversations, abonde Juan, un adepte des partouzes et du slam (injection de drogue en intraveineuse). Ça devient presque anodin. Les soirées se transforment parfois en lupanar de la seringue.” Mais si la consommation de chems s’est banalisée, le slam, dans le milieu, a toujours des détracteurs. “Hors de question de jouer avec. Ça te tue l’ambiance”, rétorque Ed, qui a quitté des soirées quand les seringues commençaient à apparaître. Il faut dire que ces dernières années les accidents se multiplient : bad trips, overdoses parfois mortelles, et puis l’addiction, qui transforme certains touzards en zombies… Ed ne veut plus être confronté à ça. Depuis, pour lui, c’est partouze bio. Des soirées que Clément aimerait bien intégrer : “Les descentes toutes les semaines, c’était devenu trop compliqué.” Mais le jeune homme ne compte pas s’interdire de planer de temps en temps, et encore moins de s’amuser en groupe : “J’ai envie d’explorer les saunas, les sex-clubs… Cet été, j’irai au bois de Vincennes. Il faut qu’on sorte de nos appartements.” Quand on n’a pas de réseau, Dieu merci, il reste le cruising.

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Crédit illustration : Paul-Antoine Bernardin – Vaadigm Studio