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témoignages"Ma première partouze était loin d'être ce que j'avais imaginé"

Par Nicolas Scheffer le 01/04/2022
Dans les entrailles de nos fantasmes et du porno avec le sociologue Florian Vörös

[Ma première fois 1/5] Damien témoigne de sa première partouze. Une belle promesse sur le papier, dans un lieu réputé pour rassembler "les plus beaux mecs de Paris". Mais la soirée s'est rapidement transformée en enfer...

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"Il y a quatre ans, alors que j'avais 29 ans, un ami me raconte qu'il a été dans un endroit extraordinaire : la partouze la plus chic de Paris, sur les hauteurs des quartiers cossus de la capitale. Il m'en parlait avec beaucoup de passion, me dépeignant un endroit extraordinaire où l'on croise les types les plus beaux dans un cadre exceptionnel. À l'époque, je suis un peu timide, mais j'écoute avec beaucoup d'attention.

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Quelque semaines plus tard, voilà que je reçois un SMS en provenance de l'hôte qui organise ces soirées, il s'agit d'un médecin bien gaulé. Il m'explique en détail comment se passent ses soirées, me parle de l'importance de la prévention, du consentement. Je suis incroyablement flatté qu'il prenne le temps de m'expliquer tout cela. Je lui explique ma timidité, que je ne suis pas le plus à l'aise, ni le plus musclé. Je lui envoie des photos, il me rassure, et mon égo est reboosté.

À peine arrivé, entièrement nu

Quelques jours plus tard, je suis invité officiellement grâce à un faire part sur lequel il y a une photo de moi et le pseudo que j'ai choisi. Me voilà donc en bordure de Paris, dans le tramway en ce début de soirée de juin. Dans la rame, je vois des mecs dont un clin d'oeil m'indique qu'ils se rendent à la même adresse que moi. Après tout, je ne suis pas tellement surpris de les croiser dans le même tram, car le carton d'invitation était formel, il faut arriver entre 19 et 20 heures, pas après ! On arrive à l'immeuble indiqué et on montre notre invitation. On monte dans l'ascenseur, direction le dernier étage. Un appartement est entièrement dédié au vestiaire.

Première surprise, je ne suis pas encore dans l'ambiance que je dois déjà me mettre tout nu. Entièrement. Je m'exécute et me voici vêtu de mes chaussures. Avec mon ami, on tend la bouteille de champagne qu'on nous a demandé et la participation de 20 euros pour les frais. Dans notre plus simple appareil, on se rend dans l'appartement où ont lieu les festivités. Il avait raison, les mecs autour de nous sont canons. On prend une coupe de champagne, et on prend connaissance des lieux : un bel appartement doté de plusieurs terrasses où il n'y a aucun vis-à-vis grâce à des pares-vue. On papote un peu avec les autres invités, mais sans trop savoir quoi dire.

Abdos et consentement

Il y a déjà une belle foule, mais notre organisateur m'avait prévenu : les hostilités ne commencent pas avant 20 heures. À l'heure dite, le voila qu'il prend un mégaphone et qu'il monte sur le bar. Il répète les règles de chez lui, le consentement avant tout, les capotes à disposition - à l'époque la PrEP n'était pas aussi répandue qu'aujourd'hui, mais surtout, qu'il ne veut pas voir de drogue, sous peine d'exclusion définitive. Il conclut son discours par un "amusez-vous bien".

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Instantanément, la centaine de mecs se mettent à se toucher, à se sucer. Dans le salon des coussins, des matelas ont été installés à même le sol. Instantanément, je me sens mal à l'aise. J'ai le sentiment que personne ne peut s'intéresser à moi qui ne suis pas aussi gaulé que les autres. Je suis extrêmement complexé, et je vois dans le regard des autres que les six pack intéressent bien plus que mes petits défauts. Au fond, toutes les craintes que j'avais en anticipant la soirée se sont révélées fondées.

Je préfère les backrooms

Je suis au milieu de ces mannequins qui baisent et que je n'intéresse pas. Et m'en rendre compte me met de plus en plus mal, je vois bien que les autres perçoivent ma gêne et que ça me rend d'autant moins désirable. Alors que je vais vers la terrasse prendre l'air, je ne peux pas éviter de toucher les autres. L'appartement a beau être grand, à 100, on a le sentiment d'être dans le métro. Bien-sûr, où que je pose mon regard, je vois des mecs se sucer, ou s'enculer. On n'est pas dans la backroom d'une soirée, comme la Monarch où j'ai pu aller par la suite : dans cet appartement, la lumière est plein phare, impossible de cacher ses défauts ou même, d'avoir un semblant d'intimité. Manque de chance, je suis bloqué jusqu'à 23 heures, à l'heure où le vestiaire ouvre à nouveau.

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Je n'ai même pas de téléphone sur moi pour passer le temps, ou même pour éviter de regarder autour de moi. Alors, je vais au bar pour m'occuper, j'enchaîne les verres, ce qui n'était pas une bonne idée. Plus je bois, plus j'ai l'alcool mauvais, et ça se voit. Heureusement, après trois heures à ne pas savoir quoi faire, à me sentir regardé, je peux récupérer mes affaires et partir. Devant l'immeuble, j'attends mon pote, déçu d'avoir écourté sa soirée pour moi et qui ne comprend pas mon désarroi. Pour lui, avoir eu accès à tous ces mecs constitue une forme de trophée qui lui permet de se ranger dans la même catégorie. C'est vrai que la carte postale semblait idyllique. Moi au contraire, je ne voyais que le fossé qui nous séparait de ces Apollons. Depuis, je préfère la pénombre des backrooms. Je m'y sens mieux.

Ce que j'en ai retenu, c'est que malgré la bienveillance affichée, la taille de mes biceps, de ma bite ou de mes pectoraux étaient bien ce qui comptait le plus pour les mecs qui étaient là. Finalement, c'était la même chose que sur Grindr. Une preuve supplémentaire, peut-être, que la communauté gay a encore du travail à faire sur son rapport au désir et... à la norme. "

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Crédit photo : capture d'écran / chemsex.fr

[Cet article était initialement illustré par une capture d’écran du film Chemsexeur de Barbara Arsenault. Les personnes qui figuraient sur l’image sont des acteurs.]