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cinémaFrançois Ozon : "Fassbinder a toujours évoqué l’homosexualité de façon radicale"

Par Franck Finance-Madureira le 06/07/2022
"Peter Von Kant", le nouveau film de François Ozon

Dans Peter von Kant, François Ozon revisite Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder pour dresser un portrait du réalisateur allemand en forme de déclaration d’amour au cinéma.

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“Je suis un fan de Fassbinder”, affirme, d’entrée de jeu, François Ozon. En 2000, on l’avait déjà vu adapter Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, une pièce écrite par le réalisateur allemand en 1965. Cette année, il lui rend un nouvel hommage avec Peter von Kant, dans lequel il revisite Les Larmes amères de Petra von Kant, une autre pièce de Rainer Werner Fassbinder – et que ce dernier a portée au cinéma en 1972.

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Devant la caméra d’Ozon, la créatrice de mode Petra devient le réalisateur de cinéma Peter, une évocation directe de Fassbinder lui-même, son incarnation colérique, détestable, touchante et pathétique interprétée par Denis Ménochet. “J’aimais beaucoup la pièce et le film, et j’avais toujours eu l’intuition qu’il s’agissait d’un autoportrait de Fassbinder écrit à partir de sa propre histoire en général, et de son rapport à ses muses en particulier, note Ozon. J’avais envie que le cinéma ait un rôle important dans mon adaptation, comme il l’était dans sa vie : ses assistants, ses comédiens, ses actrices étaient ses amant·es, tout était mélangé. Intégrer le cinéma dans cette histoire était une façon pour moi de sauver le personnage et d’apporter de l’ordre, de la vitalité et de la lumière à un monde un peu morbide et sans issue.”

“Fassbinder était profondément tragique"

Ce Peter van Kant a beau sembler ne rien maîtriser de sa vie de tous les jours et ne pas être conscient des rapports de pouvoir toxiques qu’il impose à son entourage, l’art, la création, les images lui permettent de toucher au divin, de se réaliser. “Fassbinder était profondément tragique, avec quelques éclats d’humour noir et de distanciation. Je ne suis pas aussi désespéré, je ne suis pas un enfant de la guerre et pas un Allemand né en plein chaos, mais je me suis approprié son œuvre et j’ai essayé d’y apporter ma propre vision”, explique le réalisateur français. “C’est la collision entre deux mondes : celui de Fassbinder, très âpre, trash, noir, et celui de François Ozon, qui est plein d’humour et de finesse, confirme Denis Ménochet. Le texte nous emmenait dans le très dark, mais aussi dans la comédie. C’était génial de pouvoir casser tout un salon en hurlant sur Isabelle Adjani !”

Le film, dont l’histoire se déroule quasiment en huis clos dans l’appartement du “maître”, assume sa théâtralité, et fait de ce loft de Cologne une scène sur laquelle se succèdent les entrées et sorties des personnages, notamment celles remarquées d’Isabelle Adjani, qui, dans le rôle d’une comédienne cocaïnée, joue les entremetteuses avec un bonheur communicatif. “François, c’est le contraire de quelqu’un qui se détruit. Il ne fait que construire, il est dans une démarche truffaldienne : c’est le travail, le travail, le travail ! Il adore travailler, raconte l’actrice. Selon moi, il est l’héritier le plus indiqué de Truffaut.”

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Mais là où Ozon parvient toujours à surprendre, c’est dans sa façon de parvenir à jouer sur plusieurs tableaux avec une réelle dextérité : le tragique est ainsi toujours teinté d’une cruauté drolatique, la dureté des échanges d’une dérision bienvenue, et, s’il fait bien le portrait de Fassbinder, le réalisateur français dit également beaucoup de lui-même en transposant l’intrigue dans le milieu du cinéma. “Les fans hardcore de Fassbinder m’en voudront peut-être d’apporter un peu de lumière, détaille-t-il. Mais il fallait que j’amène le texte à moi, à ma propre expérience, à mon rapport aux actrices. Contrairement à mon personnage, je ne vis pas avec un esclave chez moi, mais je me suis amusé avec ça.”

Les hommages de François Ozon

Ozon multiplie également les clins d’œil aux artistes gays des années 1970 en leur redonnant la force subversive de l’époque : “Ce n’est pas un film naturaliste ; on joue sur la stylisation, la vérité des sentiments ou des émotions s’y révèle dans l’artifice, celui du jeu, de la théâtralité. Je me suis un peu projeté dans ces années où les artistes homosexuels comme Mapplethorpe ou Warhol étaient à la fois très radicaux et underground. L’époque les a digérés, ce sont devenus des classiques, on a oublié leur subversivité. Pourtant, ils ont modifié nos représentations du corps, et ces images-là sont importantes dans l’univers du film. Chez Fassbinder, il n’y a jamais eu de pudeur quant à l’homosexualité, et sa façon de l’évoquer a toujours été radicale. Il s’intéressait surtout aux rapports de domination.”

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Des rapports qui s’expriment d’ailleurs dans le film à travers deux personnages très forts : Karl, l’assistant personnel muet interprété par Stefan Crépon, comédien révélé par la série Le Bureau des légendes, et Amir, objet de passion immédiat pour le cinéaste démiurge et insatisfait. Ce jeune acteur ambitieux est incarné par la révélation du film, Khalil Gharbia, vu dans Skam France. Avec Peter von Kant, François Ozon fait une déclaration d’amour vibrante au cinéma, à ce métier de réalisateur qui consiste souvent à utiliser les douleurs intimes les plus vives pour en faire des œuvres qui sauront s’adresser à chacun·e.

>> Peter von Kant, de François Ozon. Sortie le 6 juillet.

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Crédit photo : Peter von Kant, Diaphana Distribution