Après deux mariages et une vie d’hétérosexuel, Roland, 79 ans, a compris au détour d’une plage naturiste que son coeur penchait en réalité pour les hommes. Il raconte son coming out à 68 ans et sa nouvelle vie, qui le rend « heureux » et « fier ».
Roland*, 79 ans a été marié deux fois. Sa première femme l’a quitté et empêché de voir leurs trois enfants, avec qui il n’a plus aucun contact depuis des années. Sa deuxième femme est morte il y a maintenant 15 ans. Roland vit désormais seul dans un petit village de l’Aude, où il devait passer sa retraite avec sa seconde épouse. Avec le confinement, ces derniers mois ont été difficiles, encore plus solitaires que d’habitude. Mais Roland est heureux. Car depuis 11 ans il s’est révélé à lui-même : en 2009, alors qu’il avait 68 ans, Roland a fait son coming out.
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Roland n’a pas toujours su qu’il était homosexuel. Né à Bath, une station thermale de l’ouest de l’Angleterre en 1941, il évolue dans une époque où « ce n’est pas normal d’être gay ». Adolescent, alors que la famille vit désormais à Londres, il voit pourtant son grand-frère se rendre dans des pubs gay à Hampstead, puis emménager avec un homme. Mais quand il tente d’en parler avec sa mère, elle ne lui répond pas. « Mes parents n’ont jamais prononcé le mot ‘homosexuel’, c’était tabou. Mais j’ai tout de même compris ». Ce frère ni rejeté ni totalement accepté par ses parents meurt à 25 ans, et Roland n’aura jamais parlé d’homosexualité avec lui.
Devenu professeur de mathématiques, Roland se marie une première fois, avant de divorcer. « Ma femme avait trouvé un autre homme. Le divorce a été très difficile, et elle a eu la garde de nos trois enfants ». Roland ne les voit qu’un week-end sur deux, avant de ne plus les voir du tout : « mon ex-femme refusait de me les confier, puis a déménagé, je n’ai plus eu de contact avec eux depuis ». Roland se remarie alors avec une de ses collègues, professeure de français. Ensemble, ils achètent une maison dans un petit village du sud de l’Aude, dans laquelle ils prévoient de couler leurs vieux jours. Ils y emménagent définitivement en 2002. Mais trois ans plus tard, la seconde femme de Roland décède. « Je pensais finir ma vie avec elle », souffle-t-il. Il a alors 64 ans, et ne veut pas vivre seul. Il aimerait refaire sa vie avec quelqu’un, et tente de rencontrer des femmes. « A cette époque je ne me posais pas de questions sur ma sexualité », assure-t-il.
« Il a découvert la vie gay, et s’y est mis à fond »
Tout bascule un jour où il se rend sur une plage naturiste, à Saint-Pierre-sur-mer, sur la cote Méditerranéenne avec un ami. Ce dernier, ouvertement homosexuel, lui parle d’une aire de drague gay, juste derrière la plage. Peut-être Roland sait-il déjà qu’il aime les hommes, sans se l’avouer, ou peut-être est-il simplement curieux. Il décide de s’y rendre « pour voir ». « Je suis venu directement de la plage naturiste, nu ». Là, il couche avec plusieurs hommes, et c’est la révélation. A la question « qu’est-ce qu’il s’est passé dans votre esprit à ce moment là ? » Roland répond, dans un français hésitant : « c’est plutôt dans le coeur que cela s’est passé ».
De ce jour-là, Roland « s’est lâché », témoigne Luc, un de ses premiers amants, avec qui il est resté ami. « Il a découvert la vie gay, et s’y est mis à fond ». Pour faire des rencontres, Roland avait l’habitude de se rendre dans des lieux de drague tous les mercredis soirs après son club d’échecs. Avec Luc, il a également découvert les clubs gays de la région à Carcassonne, Béziers, Toulouse… Mais surtout le quartier du Marais, à Paris, où il a fait la tournée des clubs. « Il n’avait pas peur d’afficher son homosexualité, raconte Luc. A cette époque, il avait encore une barbichette, qui lui donnait un look un peu austère, à la Dickens. Quand il a commencé à mettre des chemises roses et des t-shirts courts, cela créait un décalage amusant », plaisante-il. « Il y avait un côté un peu naïf et très touchant dans sa manière de découvrir ce monde avec émerveillement », se souvient-il.
« J’ai perdu quelques amis sur Facebook »
En guise de coming out, Roland commence à publier sur Facebook des photos de jeunes hommes dénudés et des articles sur les droits des LGBT+. « Je n’ai pas écrit noir sur blanc ‘je suis gay’, mais c’était évident, tout le monde l'a compris », explique-t-il. « Je me suis dit que je n’avais rien à perdre à part quelques connaissances qui m’ont supprimé de leurs amis Facebook. Mais j’en ai gagné beaucoup d’autres ».
Avec sa soeur cadette, seul membre de sa famille qu’il continue à voir régulièrement, il a bien essayé d’avoir une discussion. « Je l’ai appelée un soir, je lui ai dit ‘je suis gay’, mais elle m’a répondu ‘je suis fatiguée, je vais aller me coucher’ et elle a raccroché ». Plus tard, quand elle vient lui rendre visite en France, elle voit des numéros de Têtu traîner chez lui et lui reproche d’avoir « trop de magazines sexy », sans vouloir en discuter davantage. « Elle a mis du temps à accepter je crois, admet Roland, mais maintenant ça va ».
Première Pride
Dans son village, Roland reste discret. Un sage décision, selon Luc : « c’est plus difficile de vivre son homosexualité à la campagne, il y a beaucoup de qu’en dira-t-on, d’homophobie latente ». Roland, lui, dit ne pas en être victime. « Peut-être que les gens le savent, mais je n’ai jamais eu de problème », affirme-t-il. En y réfléchissant, il y a bien des ados qui l’ont traité de « pédé » un soir où il se rendait sur une aire de drague, « mais ça, ce n’est pas grave », assure-t-il. « Je suis comme je suis et j’en suis fier, si les gens ne l’acceptent pas, c’est leur problème, pas le mien ».
Il aurait aimé vivre davantage dans l’anonymat, à Paris, où la communauté gay est tellement plus nombreuse et où vit son amant, qu’il ne peut voir aujourd’hui qu’une ou deux fois par an. Mais Roland ne peut pas se permettre la vie parisienne. Et il n’est pas le genre d’homme à avoir des regrets. Il trouve des avantages à sa vie à la campagne, « le calme, la forêt ». Mais aujourd’hui, Roland est surtout heureux d’avoir échappé au coronavirus ; il espère pouvoir continuer à vivre sa nouvelle vie le plus longtemps possible. Il espère aussi pouvoir réaliser un rêve : participer à sa première pride, en novembre prochain, à Paris.
*Le prénom a été modifié
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