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Affaire CayeuxÀ Beauvais, une agression homophobe qui en dit long

Par Elodie Hervé le 29/07/2022
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Un jeune homme a été victime d'une agression homophobe le week-end dernier à Beauvais. Une agression qui lève le voile sur l'absence de politique de lutte contre les discriminations dans la ville dirigée depuis 20 ans par Caroline Cayeux.

Derrière la maison de la jeunesse et des associations, des familles attendent le bus. Ici, à Saint-Jean, il ne passe pas souvent. C'est dans ce quartier populaire, non loin de la gare de Beauvais, dans l'Oise, qu'Andrès*, 26 ans et son jeune frère Tomás*, 20 ans, tous les deux Portugais, sont venus passer leurs vacances chez leur cousine, Talia*, 29 ans. L’appartement de Talia est au rez-de-chaussée et donne sur un petit chemin passant.

Regardez, le pédé est sorti

Ce samedi 23 juillet, l’air est chaud, les fenêtres ouvertes. Andrès danse dans l'appartement. Dehors, un groupe l’aperçoit et ricane. Son déhanché serait jugé "trop féminin", "trop pédé" selon les trois jeunes gens.  L’après-midi passe et les cousins décident d’aller prendre l’air dehors, pour profiter de la fraîcheur de la fin de journée. "Regardez, le pédé est sorti", aurait lancé un garçon du groupe. Andrès, qui ne parle que peu français ne comprend pas bien ce qu’ils disent. "Ma cousine m’a traduit mais je savais que ce n’était pas tendre", explique-t-il. "On ne veut pas de pédés dans le quartier”, aurait continué la bande. Talia a l'habitude. Bisexuelle, elle n'en fait pas vraiment étalage dans cette partie de la ville pourtant décrite comme calme par les habitants. "On était trois femmes lesbiennes ou bies dans ce quartier, une est partie, une ne sort jamais à cause de la violence qu’elle subit au quotidien et moi je vis mes histoires loin du quartier”, souffle-t-elle.

Iels poursuivent leur balade. Ce ne sont que des mots après tout, se dit Talia. “C’est quand nous sommes revenus que tout a dégénéré”, se souvient-elle. Entre-temps, la nuit est tombée, mais le groupe de jeunes garçons 16-18 ans maximum dira-t-elle à la police, est lui toujours là. “On a dit pas de pédés dans le quartier”, reprend le groupe. Talia craque et leur demande d’arrêter. “Ta gueule sale pute. Tu vas te prendre une tarte.

Violences volontaires

Andrès aurait alors tenté de s'approcher pour apaiser la situation et éviter que sa cousine subisse une agression physique. Un des garçons l'aurait alors bousculé et asséné un premier coup de poing. “C’est à ce moment-là que tout le groupe a sauté sur mes deux cousins”, dira Talia dans sa déposition à la police que têtu· a pu consulter. Un des garçons du groupe se serait alors emparé d’un tronc d’arbre à proximité et aurait frappé Tomás, le petit frère, derrière la tête. Celui-ci a raconté à la police avoir perdu connaissance. À son réveil, un violent mal de tête, et du sang coule le long de sa joue. Selon les victimes, le visage ensanglanté de Tomás aurait déstabilisé les agresseurs. Une minute d’inattention qui aurait permis à Andrès, Tomàs et Talia de prendre la fuite et de s’enfermer dans l'appartement. Leurs agresseurs leur auraient alors balancé des pétards dans les jambes avant de s'enfuir à leur tour. Plusieurs riverains affirment à têtu· n'avoir rien entendu.

À l’hôpital, Tomás aura plusieurs points de suture sur la tête et doit être surveillé pour s’assurer qu’il n’a pas de lésions plus graves. Deux plaintes ont aussi été déposées et "une enquête a été ouverte pour chef de violences volontaires sans incapacité de travail, à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ou identité sexuelle de la victime", indique Caroline Tharot, procureure de Beauvais. Les menaces et les insultes sexistes contre Talia n’ont pas été retenues.

Polémique Cayeux

Si cette agression homophobe ressemble à beaucoup d'autres, le contexte ici est un peu différent, puisque que Beauvais est la ville dans laquelle la ministre Caroline Cayeux est élue maire depuis mars 2001, soit 21 ans. Une ministre appelée à la démission même par son propre camp depuis qu'elle a qualifié les personnes LGBTQI+ de “ces gens-là” sur un plateau de Public Sénat, après avoir réitéré ses propos sur son opposition au mariage pour toustes. Contactée par têtu·, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur cette agression homophobe. Sa chargée de communication tient à préciser qu’elle a une vraie politique de lutte contre les LGBTQIphobies dans sa ville, et qu'un local a été alloué à SOS homophobie, en 2018.

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"En 2018, la mairie nous a prêté une salle éloignée du centre-ville deux heures par semaine, pendant un an. Ils n'ont fait aucune communication à ce sujet, ni dans leur bulletin, ni ailleurs. En un an personne n'est venu. On avait plus l'impression qu'on avait eu le local parce qu'ils ne pouvaient pas dire 'non', mais rien n'a été fait pour lutter contre l'homophobie", assure pourtant Martine Gérald, co-déléguée de SOS homophobie Picardie.  

« Une erreur de communication » 

Le premier adjoint de la mairie de Beauvais, Franck Pia, candidat à la succession de Caroline Cayeux, tente toutefois de défendre l'action de la mairie dans la lutte contre les discriminations, et de convaincre de la bonne volonté des élus beauvaisiens sur ces sujets : “J’avais l’intention de prendre contact dès la rentrée avec les associations, souligne Franck Pia, pour voir quelles actions on peut engager avec eux. Moi je n’ai aucun souci avec l’homosexualité, madame le maire non plus. Ces propos sur le plateau de Public Sénat, c’est une erreur de communication.”

Quand on lui demande quelles associations la mairie compte rencontrer en septembre, l'élu s'emmêle : "Celles qu’on connaît : SOS homophobie, LGBT pourquoi pas..." On lui demande plus de précisions puisqu'on ne connaît pas cette deuxième asso. "LGBT... En fait, elle est rattachée à SOS homophobie". Un doute nous vient. Le premier adjoint aurait-il confondu le sigle avec le nom d'une asso ? A-t-il connaissance de ce que LGBT veut dire ? Perplexe, on lui pose la question. "Savez vous ce que LGBT veut dire?" "Non mais c’est pas ça, pour moi c’est un mouvement. Je parle du mouvement LGBT..." Visiblement mal à l'aise, il botte en touche. "J’ai pas tous les acronymes en tête mais je connais SOS homophobie, et on est ouvert sur toutes ces questions”.

"Les élus sont largués", confirme Claire Lequièvre, présidente de Clin d'Oeil, l'asso LGBTQI+ de l'Oise basée à Compiègne. "La question des LGBTQI+ est inexistante dans l'Oise. Il n'y a pas de structures, pas de lieux de vie et aucune dynamique territoriale. Nous n'avons aucun lien avec la mairie de Beauvais ou ses élus. Nous intervenons deux fois par an en moyenne dans un bar associatif (non LGBT) et on est en contact avec la préfecture de l'Oise pour faire des formations auprès des agents. Mais la mairie de Beauvais, non." Chez SOS homophobie, même constat : depuis la fermeture du local, "nous n'avons eu aucun contact avec la mairie" déplore Martine Gérald. Franck Pia lui-même finit par reconnaître qu'aucune action spécifique n'a été faite "pour les homosexuels".

Le ministère à la rescousse

La préfecture de police explique suivre le dossier avec attention. “La préfète de l'Oise, Corinne Orzechowski, en lien avec le cabinet de Mme la ministre Isabelle Rome, [...] réfléchit à des actions spécifiques de sensibilisation qui pourront être mises en place dans le quartier Saint-Jean.”

Quant à Andrès et Tomás, ils ont, eux, décidé d’écourter leur séjour en France. Talia dit redouter des représailles. “Ils savent qu’on a porté plainte et depuis, ils viennent se mettre devant mon appartement et pointe l’intérieur avec des lampes de poche. Tomás a fermé les volets par crainte et pendant plusieurs jours on n'est pas sorti de la maison, maintenant on sort mais que le jour. On vit dans la peur.” À ce jour, aucun de leurs agresseurs n’a été retrouvé. “Les investigations se poursuivent aux fins d’identifier les auteurs des faits”, assure Caroline Tharot.