Ayant proclamé, dès le lendemain de sa prise de fonction, son gouvernement “allié des personnes LGBT”, la Première ministre, Élisabeth Borne, en a donné depuis quelques preuves, mais aussi un regrettable démenti avec le maintien de la ministre Cayeux…
Si vous avez lu notre numéro d’été, vous vous souvenez sans doute de notre appel : “La France doit reconnaître les victimes de sa répression anti-gay.” Nous commémorons en effet cette année les 40 ans de l’abolition, grâce au duo Robert Badinter-Gisèle Halimi, de la dernière loi de répression de l’homosexualité, qui justifia jusqu’en août 1982 la persécution des homos par la police française. Sur ce front, l’exécutif a fait un pas cet été, et même un pas de deux.
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Le président de la République, c’est inédit, a ainsi publié le 4 août sur les réseaux sociaux un texte célébrant la dépénalisation de l’homosexualité. “Aujourd’hui, nous nous souvenons de cette injustice, des souffrances qu’elle a infligées. Je pense à tous ceux qui étaient entravés dans leur liberté, leurs amours, qui furent arrêtés, jugés, sanctionnés. La Nation n’oublie pas”, a écrit Emmanuel Macron. Élisabeth Borne, sa nouvelle Première ministre, s’est quant à elle rendue ce jour-là dans le centre LGBTQI+ d’Orléans afin de dévoiler les premières mesures de son gouvernement en faveur de l’égalité des droits et de la lutte contre l’homophobie. Au premier rang desquelles trois millions d’euros débloqués sur trois ans pour créer “dix nouveaux centres en France et renforcer les 35 qui existent déjà”, l’objectif étant d’en avoir deux minimum dans chaque région en métropole, et un dans chaque région d’outre-mer.
Acceptant d’embarquer têtu· dans sa voiture, de retour d’Orléans (l’interview est à lire ici), la Première ministre a par ailleurs répondu à notre demande – et celle des 2.500 signataires de notre pétition – de reconnaissance des victimes des lois homophobes. “Il y a nécessairement une attente de réparation, il faut que nous soyons à l’écoute des personnes concernées, a-t-elle admis. Nous devons avancer dans les prochains mois pour réparer ce qui peut l’être sur la base de dispositions qui restent à définir.” Une proposition de loi en ce sens a été déposée par le sénateur socialiste de l’Hérault, Hussein Bourgi.
“Ces gens-là…”
Sauf que, dans le même été, on aura également assisté à un sacré retour en arrière concernant la tolérance du gouvernement aux paroles LGBTphobes. Devenue le 4 juillet ministre des Collectivités territoriales, Caroline Cayeux s’est vu reprocher son opposition au mariage pour tous, laquelle lui avait fait déclarer en 2012, alors qu’elle était sénatrice, que celui-ci était “contre nature”. Interrogée début juillet sur Public Sénat, après donc près de dix ans de réflexion, elle a répondu : “Oui, je maintiens évidemment mes propos.” Avant, doublant la faute, de se défendre de toute homophobie en ajoutant avoir “beaucoup d’amis parmi tous ces gens-là”… Devant le tollé légitimement suscité, le gouvernement a encore renchéri dans l’erreur en lui faisant bricoler des excuses qu’on a essayé de nous faire avaler malgré leur manque criant de sincérité : “On a droit à l’erreur une fois”, “les gens changent” (Olivia Grégoire, ministre du commerce), “le débat est clos” (Olivier Véran, porte-parole du gouvernement).
Ainsi, Christophe Béchu, autre ministre (de la Transition écologique) au passé anti-mariage pour tous (il était également sénateur à l’époque), sans même prendre la peine de présenter des excuses pour avoir comparé l’idée d’unir les homos à celle de marier des frères et sœurs, s’est ripoliné publiquement la conscience en évoquant les “moments de grâce” qu’il aurait vécus depuis lors en mariant des couples homos, “grâce” qui certifierait à l’entendre sa métamorphose progressiste. Circulez, tout est pardonné !
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On pourrait argumenter des heures une idée somme toute assez simple : refuser aux homos l’accès à une institution de la République, ici le mariage, du simple fait qu’ils sont homos, est homophobe jusqu’à la moelle. Mais on oublierait surtout, en acceptant les quelques excuses bredouillées dans l’affaire Cayeux comme un sésame vers l’absolution, d’examiner non pas simplement la position politique prise dans cette bataille passée par trois ministres actuellement en poste (en ajoutant celui de l’Intérieur, Gérald Darmanin, alors député), mais aussi précisément les armes qu’ils ont choisi d’y employer. L’une considérait la reconnaissance de cette union comme “contre nature”, l’autre la comparait à l’inceste, quand le troisième promettait qu’il ne respecterait jamais la loi Taubira ! Tout en admettant n’avoir pas pris soin d’éclaircir la position de sa ministre avant de l’embarquer dans son équipe, Élisabeth Borne a balayé la polémique au cours de notre interview : “Caroline Cayeux a tenu des propos malheureux qu’elle regrette profondément. J’en ai parlé avec elle, et elle m’a dit être absolument désolée d’avoir tenu des propos qui ont pu blesser.” Or l’air éculé du “on peut changer” n’efface pas les mots prononcés, ils sont indélébiles. La droite, celle du gouvernement comme celle des Républicains, voudrait remiser aux oubliettes non seulement son combat – perdu – contre l’égalité des droits, mais aussi la violence de ses propos contre les personnes LGBTQI+ jusque dans les cénacles de la République.
La faute de madame Cayeux ne nous intéresse même plus ; ces gens-là se sont disqualifiés tout seuls. C’est la tête de l’exécutif qui s’est ici rendue coupable d’une désolante compromission. Serait-il donc impossible qu’un gouvernement “allié des personnes LGBT”, comme l’a proclamé Élisabeth Borne au lendemain de sa nomination, soit en premier lieu composé uniquement… d’allié·es ? Le président de la République aurait d’ailleurs dû le comprendre dès la bronca suscitée quelques semaines plus tôt, quand, préalablement à la nomination de Borne, il avait fait tester dans l’opinion le nom de la présidente du Grand Reims (Les Républicains), Catherine Vautrin : veto unanime des progressistes, à cause de sa participation à La Manif pour tous. Le maintien, envers et en même temps, de ses camarades de combat de l’époque peut donc être légitimement compris, sinon comme une provocation, au moins comme du mépris. Dans le nouveau monde politique, dont Emmanuel Macron a lui-même tant plaidé l’avènement, le pragmatisme ne peut plus tout excuser, et les paroles ne s’envolent plus. Le respect des citoyens commande que l’on cesse de les prendre pour des buses.
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Photographie Yann Morrison