La cité-État d'Asie vient d'annoncer qu'elle allait abroger sa loi qui criminalise encore l'homosexualité masculine. Singapour va ainsi tourner la page de soixante ans d'homophobie d'État.
Singapour s’apprête enfin à jeter aux oubliettes sa loi menaçant de deux ans de prison les hommes gays. "Le gouvernement va abroger la loi et décriminaliser les relations sexuelles entre hommes", a déclaré ce dimanche 21 août 2022 le Premier ministre de la cité-État asiatique, Lee Hsien Loong, à la télévision nationale. "Les homosexuels sont désormais mieux acceptés", a-t-il fait valoir, considérant que cette décision va dans le sens des "moeurs sociales actuelles et, je l'espère, apportera un certain soulagement aux Singapouriens homosexuels". Selon une enquête de l'Ipsos réalisée en juin, le pourcentage de la population soutenant l'interdiction des relations homosexuelles est en effet passé de 55% en 2018 à 44% en 2022.
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Une question se pose : comment un État considéré comme un centre financier mondial ouvert sur le monde a-t-il pu mettre autant de temps à considérer cette abrogation ? D'autres pays d'Asie se penchent sur les questions LGBTQI+, comme la Thaïlande et l'Inde où l'homosexualité a été décriminalisée respectivement en 1957 et en 2018, ou encore Taïwan où le mariage des couples homosexuels est autorisé depuis 2017. La lenteur de l'avancée à Singapour s'explique notamment par l'héritage anti-LGBTQI+ laissé par le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, dont la loi 377A qui criminalise les relations homosexuelles masculines est un vestige.
Un héritage colonial anti-LGBTQI+
Les auteurs du livre British Colonialism and the Criminalization of Homosexuality, Enze Han et Joseph O'Mahoney, expliquent à la BBC que cette loi avait été introduite sous le prisme d'une "conception victorienne, puritaine et chrétienne du sexe" : "Ils voulaient protéger les innocents soldats britanniques d'un 'Orient exotique et mystique' issu d'une vision très orientalisée de l'Asie et du Moyen-Orient selon laquelle ils étaient trop érotiques". En découle le Code pénal indien, rédigé par l'historien britannique Lord Thomas Babington Macauley en 1962, contenant le fameux article 377. Celui-ci indique que "quiconque aurait volontairement des rapports charnels contre nature avec un homme, une femme ou un animal" sera puni d'emprisonnement ou d'amendes. Ce Code pénal indien sera ensuite utilisé comme base du droit dans les autres territoires asiatiques sous contrôle britannique. Actuellement, le 377 reste en vigueur dans plusieurs anciennes colonies d'Asie comme le Pakistan, le Bangladesh, la Malaisie, Brunei, le Myanmar et le Sri Lanka.
Depuis des années, les activistes LGBTQI+ de Singapour militent pour l'abrogation de la loi coloniale conservée après l'indépendance de l'île en 1965. Dans les faits, la loi n'est pas activement appliquée et le pays jouit d'une scène LGBTQI+ de plus en plus visible, y compris des boîtes de nuit gays. Le maintien de la loi homophobe encourage néanmoins la stigmatisation des personnes homosexuelles ce qui, font valoir les militants, va à l'encontre de la Constitution interdisant la discrimination. Une stigmatisation que l'on retrouve dans la culture puisque tout contenu considéré comme "faisant la promotion de l'homosexualité" peut se voir interdit de diffusion ou censuré. En février, la Cour suprême avait toutefois décidé de maintenir la loi. Pendant le mois des Fiertés, des milliers de personnes s'étaient réunies pour faire reconnaître leurs droits.
Malgré l'avancée du gouvernement, le Premier ministre a souligné que Singapour restait une société traditionnelle qui désirait maintenir un ensemble de normes familiales et sociales. Ainsi, une autre annonce est venue obscurcir la victoire des militants LGBTQI+, celle d'un renfort juridique de la définition du mariage comme concernant un homme et une femme. Une protection juridique qui rendra difficile la légalisation du mariage pour tous. Protect Singapore, un groupe conservateur, réclame même que la définition du mariage hétérosexuel soit inscrite dans la Constitution, ainsi que les lois interdisant la "promotion LGBTQI+" auprès des enfants, rapporte la BBC. Après la décriminalisation, la marche vers les droits s'annonce encore longue…
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Crédit photo : Pink Dot SG (Facebook)/Ken Lim