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spectacle"Heureux soient les fêlés" : rencontre avec François Mallet, humoriste à suivre

Par Aurélien Martinez le 09/09/2022
François Mallet

"Bipolaire, gay et patineur artistique…" François Mallet a fait de son parcours atypique un seul-en-scène original, hilarant et prometteur, Heureux soient les fêlés. Depuis la rentrée, il joue son spectacle à Paris tout en se lançant dans une petite tournée en France.

Il est seul au milieu de la scène, assis sur une chaise, afin d’expliquer à un psy imaginaire le bouleversement que fut pour lui l'arrêt du patinage artistique. Il est calme, apaisé ; son phrasé est serein, loin du tourbillon qu’il s’apprête à faire vivre au public pendant un peu plus d’une heure. Lui, c’est François Mallet, et après cette introduction achevée par une danse sur glace sans glace (logique), il se présente énergiquement à la salle : "Je suis bipolaire, gay et patineur artistique !" Voilà le triptyque qui guidera son seul-en-scène Heureux soient les fêlés, joyeuse surprise dans un monde de l’humour souvent formaté autour de quelques thèmes censés parler à tout le monde – l’amour, le couple, la famille, la vie quotidienne, les réseaux sociaux, le quinoa…

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"Des gens font des spectacles sur les autres, sur la société. Moi, ça m’a plutôt intéressé de parler de moi ; de faire une introspection pour ensuite aller toucher des choses chez les gens. Surtout que je le trouve intéressant, original, mon cocktail ! C’est comme ça que je tractais à Avignon cet été : des patineurs gays il y en a beaucoup, des bipolaires gays il y en a beaucoup, mais des bipolaires gays et patineurs il n’y en a pas tant que ça !", nous raconte-t-il avec un immense sourire à la terrasse d’un café parisien à deux pas de La Comédie des 3 Bornes où il a élu domicile pour quelques mois. Cette approche sincère (il livre littéralement l’entièreté – ou presque – de son être sur scène, sans retenue) donne toute la force à son aventure à la fois drôle et intelligente. 

Jacquouille de l’amour

Plus que l’homosexualité et le patinage, c’est surtout la bipolarité qui est au cœur de son récit. Comme lors de cette séquence désopilante où il se retrouve en clinique privée, "le Club Med de la psychiatrie". Avec un talent certain d’interprétation, il dépeint son quotidien parmi les autres patients (sacrée Jacinthe), les activités auxquelles il doit participer (ah, l’art thérapie) ou encore ses rapports avec les professionnels de santé (bien pratiques pour obtenir un Kinder Bueno apporté directement en chambre). Une focalisation sur sa maniaco-dépression (il explique sur scène tous ces termes) qui n’était pourtant pas le sujet avec lequel il imaginait initialement faire rire…

"Je sais que je suis bipolaire depuis 2017 ; je joue le spectacle depuis 2019. Forcément, au tout début, je ne parlais pas vraiment de ça ; plutôt de sensibilité au sens large, développe-t-il. Dans les premières versions, il y avait par exemple une part plus grande accordée à l’homosexualité, avec notamment une scène de coming out face à ma famille. Ça a changé car plus je jouais le spectacle, plus je le remaniais, et plus je reléguais l’homosexualité à la marge. Pour moi, maintenant, le cœur du spectacle c’est : moi, jeune homme bipolaire qui faisait beaucoup de patinage, qui a arrêté brutalement ce sport et pour qui ça a été un traumatisme."

D’où le changement de titre de son solo, appelé jusqu’à cet été Follement sensible, et devenu aujourd’hui Heureux soient les fêlés. Mais si le spectacle comporte désormais peu de blagues sur son homosexualité même, celle-ci y est bien présente en filigrane, entre transfert affectif sur son psychiatre (l’un des passages les plus drôles) et recherche désespérée de l’amour – il explique avoir été une sorte de "Jacquouille de l’amour qui disait okay à tout ce qui passait".

De la glace aux planches

Sur scène, François Mallet parle donc de lui, avec recul et humour. "Je vous rassure, je ne fais pas ça pour me réparer ; du moins pas consciemment !" Les planches des théâtres n’étaient pourtant pas à quoi il se destinait gamin, comme on le comprend vite pendant la représentation. Né en 1994 dans l’Ain, puis ayant grandi dans les montagnes autour de Grenoble et à Lyon, le petit François rêvait donc de patinage artistique, sport qu’il a pratiqué assidument de ses 8 à 18 ans. "J’ai tout donné pendant dix ans, et notamment trois ans de sport-études au lycée. C’est à cette période que je me suis rendu compte que mes résultats n’étaient pas à la hauteur pour espérer une grande carrière professionnelle et faire les Jeux olympiques." Il décide alors de quitter la glace et intègre Sciences-Po Lyon dans l’idée de devenir journaliste. "J’imaginais remplacer un jour Nelson Monfort au commentaire des compétitions de patinage !"

Sauf qu’après cinq ans d’études et des premiers pas dans les médias, il se met à douter : est-ce vraiment la vie à laquelle il aspire ? C’est à cette même période qu’il s’essaie à la scène, d’abord en prenant des cours de comédie puis en tentant un concours d’humoristes avec un tout premier sketch : "J’arrivais sur scène en maillot de bain avec des palmes aux pieds et une planche de piscine en main pour raconter le cours d’aquafitness que j’avais fait un jour avec ma mère !" Il se prend au jeu avec plaisir, commence écrire dans son coin puis, au fil des mois, à construire une première ébauche de spectacle qu’il jouera au Boui Boui, petit café-théâtre lyonnais, presque 400 fois en deux ans et demi – de 2019 à 2022.

C’est avec ce spectacle, remanié depuis quelques mois avec le metteur en scène Nicolas Vital (il travaille notamment avec Bérengère Krief et Laura Felpin, et n’a pas encore fini avec François Mallet nous confie ce dernier !), qu’il espère rencontrer un public encore plus large. Dans cette optique, après un mois de juillet au Festival d’Avignon, il vient tout juste de quitter Lyon, direction Paris, afin de, peut-être, pouvoir rajouter un quatrième qualificatif à son slogan "bipolaire, gay et patineur artistique" : celui d’humoriste à succès !

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>> Heureux soient les fêlés

À la Comédie des 3 Bornes (Paris) chaque mardi à 20h jusqu’à fin janvier 2023. Et en tournée à Auxerre les 27, 28 et 29 octobre (festival Rire à Flots), Mâcon le 24 novembre (Vendanges de l’Humour ; extrait) et le 4 décembre (Cave à musique), Grenoble les 19, 20 et 21 janvier (la Basse cour), Vienne le 9 mars (Festival d’humour), Saint-Maurice-de-Beynost le 28 avril (salle Artémis).

Crédit photo : François Mallet