Nous avons consciencieusement épluché le programme 2022 du Festival d’Avignon, versants "in" (du 7 au 26 juillet) et "off" (du 7 au 30 juillet). Soit quelque 1.600 propositions ! Voici ce que nous en avons retenu.
Théâtre - Deux fois plus d'Olivier Py
Pour son dernier festival "in" en tant que directeur (le Portugais Tiago Rodrigues sera ensuite le nouveau chef de la cité des papes), l’auteur, metteur en scène et comédien Olivier Py a décidé de se faire plaisir : un spectacle de presque 10 heures (avec entractes) dans la continuité de sa Servante culte de 24 heures (oui, 24) dévoilée en 1995. Baptisée Ma jeunesse exaltée, cette aventure renfermera, on l’imagine, toutes les obsessions qui font le sel du théâtre de celui qui se définit, entre autres, comme catho et homo. Et en fin de festival, le même Py renfilera la robe de sa fameuse Miss Knife pour un tour de chant qu’il effectue depuis plus de 30 ans. « [Au départ] nous n’étions pas loin de l’opprobre, chanter en travesti était extrêmement scandaleux, pouvait même déclencher de la violence. Aujourd’hui, c’est en famille que l’on vient voir Miss Knife et cela me procure beaucoup de joie » (extrait du programme).
Ma jeunesse exaltée, du 8 au 15 juillet au Gymnase du lycée Aubanel
Miss Knife et ses sœurs, le 26 juillet à l’Opéra d’Avignon
Cabaret - Madame Arthur
Phare des nuits queer parisiennes (côté Pigalle) qui vient de fêter ses 75 ans, le cabaret Madame Arthur posera ses valises à Avignon pendant dix jours – ou plutôt dix soirs. Quatre créatures (c’est ainsi que se nomment les performeurs et performeuses du cabaret), et non des moindres (on est sur des figures du lieu : Charly Voodoo, Martin Poppins, Odile de Mainville et Vaslav de Folleterre) proposeront, au Théâtre du Roi René, « une création inédite, irrévérente et désopilante ». Quoi de mieux pour terminer une journée harassante à courir de théâtre en théâtre ?
Du 12 au 22 juillet (relâche le 18 ) au Théâtre du Roi René
Théâtre - La Machine de Turing
« C’était indispensable, quand j’ai reçu le Molière de l'auteur francophone vivant, d’affirmer que la pièce était un acte militant d’un gay qui défend un autre gay. » En 2020, l’auteur, metteur en scène et comédien Benoît Solès nous parlait longuement de sa Machine de Turing. Un spectacle sur la vie du mathématicien et cryptologue britannique Alan Turing dont les travaux ont permis d’accélérer la fin de la Seconde Guerre mondiale – il avait inventé une machine, ancêtre de l’ordinateur, capable de décoder les messages cryptés des Allemands. Mort en 1954 après avoir été condamné à la castration chimique pour « indécence manifeste et perversion sexuelle », Turing a été oublié des livres d’histoire jusqu’à qu’un film le remette sur le devant de la scène (Imitation Game, en 2015), puis cette pièce à l’efficacité redoutable dans sa narration – d’où son succès dingue depuis sa création en 2018 dans le "off" du Festival d’Avignon.
Du 7 au 30 juillet (relâches les 11, 18 et 25) à la Scala Provence
Humour - Lolla Wesh
Drag-queen barbue dont le « coucou » rauque est devenu signature, Lolla Wesh sera dans le "off" d’Avignon avec une nouvelle version de son solo baptisé Stand-up drag – et sous-titré « on ne peut plus rien dire ». « J'ai longtemps rejeté le stand-up, je supportais mal les blagues sur les LGBTQIA qui font tant rire les hétéros, les vannes racistes qui amusent tant les blancs, fatiguée de l'humour qui se moque des gros ou qui dénigre les femmes », écrit-elle. On est curieux de la découvrir sur scène avec tout son bagou, son humour sarcastique et son pouvoir de fascination camp presque punk.
Du 7 au 30 juillet (relâches les 11, 18 et 25) au Théâtre de l’Ange
Théâtre - Une histoire d’amour
Alexis Michalik, c’est l’auteur, metteur en scène et comédien qui est arrivé à attirer au théâtre jusqu’aux spectateurs et spectatrices les plus réfractaires grâce à des pièces captivantes habilement conçues. Sa dernière, créée en 2020 et joliment titrée Une histoire d'amour, ne déroge pas à la règle – même si elle plonge davantage dans l’intime des personnages que ses précédentes. Ici, deux femmes s’aiment, décident d’avoir un enfant par insémination artificielle, mais les aléas de la passion vont contrarier le possible conte de fées… « Que je raconte une histoire entre deux femmes, deux hommes ou un homme et une femme, pour moi c’est simplement une histoire d’amour, il n’y a pas plus d’impact que ça. Mais je comprends que ça puisse en avoir sur certains spectateurs, je m’en rends compte au fur et à mesure » nous déclarait-il à la création de cette « comédie dramatico-romantique » (on a presque failli chouiner) qui est, une nouvelle fois, un grand succès.
Du 7 au 30 juillet (relâches les 11, 18 et 25) à la Scala Provence
Cabaret - Les 12 Travelos d’Hercule
Sorte de bar-cabaret présenté par son équipe comme un « salon culturel et une résidence d’artistes », le Délirium est une institution à Avignon, qui participe au festival à sa manière : décalée. Il proposera ainsi en soirée son fameux Cabaret du Délirium où l’on pourra croiser du beau monde. Notamment les excellents 12 Travelos d’Hercule et leur spectacle incroyablement maîtrisé (on sent la formation de comédien de ces drag-queens) entre lip syncs plus ou moins contemporains (passion yodel) et chansons live créés pour le spectacle. Énorme coup de cœur.
Le Cabaret du Délirium, du 8 au 24 juillet (relâches les 10 et 11 juillet)
Les 12 Travelos d’Hercule, du 12 au 14 juillet
Théâtre - Passif
« Passif traite de violences, notamment de la violence conjugale au sein d’un couple d’hommes » annonce la note d’intention de ce spectacle du collectif rémois Plastics Parasites qui s’ouvre avec un comédien dans la pénombre. « J’ai tué mon amant sans aucun motif au 255 rue des Rosiers » sont ses premiers mots. La suite sera une plongée au cœur de cette violence (au sein du couple, mais également de la famille, du monde du travail ou contre soi-même), avec des mots crus, cliniques, qui n’épargnent pas le spectateur – même si l’habillage scénique et sonore s’éloigne du réalisme pour ouvrir le récit. « Et chacun de ses coups me prouve son amour, et chacun de ses coups vient chasser ma douleur, et chacun de ses coups semble nous réunir. » Dur.
Du 7 au 26 juillet (relâches les 13 et 20) à la Caserne des pompiers
Humour - Sois un homme mon fils
« Chez nous, la féminité est interdite aux femmes, et encore moins aux hommes. Ma mère, elle a tout de suite vu ma différence. C’est pour ça qu’elle a dit un jour à l’un de mes frères : tue-le, si tu peux tue-le. » L’an passé, nous avions rencontré le comédien et auteur Bouchta pour Sois un homme mon fils, seul-en-scène entre l’humour et la tranche de vie sur son histoire dure, touchante et parfois incroyable d’« arabe et pédé ». Un spectacle sincère (et encore fragile lorsque nous l’avions découvert), Bouchta se livrant sans retenue mais avec beaucoup de rires – « je ne peux pas raconter la misère sans le lubrifiant qu’est l’humour ! »
Du 7 au 30 juillet (relâches les 11, 18 et 25) au Cinévox Théâtre
Musique et poésie - Kae Tempest
Cette année, l’emblématique et intimidante Cour d’honneur du Palais des papes sera investie le temps d’une soirée par Kae Tempest, figure du spoken word et icône non-binaire poétique acclamée au Royaume-Uni que têtu· avait rencontrée en avril dernier à l’occasion de la sortie de son quatrième album The Line Is a Curve – « la poésie, c'est un réanimateur » nous disait-iel. Son art, qui mêle intime et politique, est une véritable déflagration qui devrait clôturer originalement le "in" du festival.
The Line Is a Curve, le 26 juillet dans la Cour d'honneur du Palais des papes
Mais aussi, en vrac – et pas (encore ?) vus
Lilith(s). « Un seule-en-scène pas complètement seule dans lequel Lylybeth Merle nous partage sa transition de genre. » Au Théâtre des Doms, vitrine de la création contemporaine de la Belgique francophone, on ira découvrir cette courte proposition (35 minutes) présentée comme un « documentaire scénique et sororal entre théâtre et numéro de cabaret ».
Portraits détaillés. « "Mais au fait, qu’est-ce qui fait pédé.e ?" Cette performance kaléidoscopique est un collage de matières textuelles, visuelles et sonores produites par des pédé.e.s, des gays et des bis pour parler des pédé·e·s et de leurs ami·e·s. » À voir au Théâtre du Train Bleu, l’un des lieux les plus passionnants du "off" d’Avignon.
Portrait de Raoul. « En perruque, en robe et en chansons, Raoul s’est toujours cherché et il s’est toujours trouvé. » Un solo du fascinant Raoul Fernandez (il a notamment bossé avec Copi et Noureev) écrit par Philippe Minyana et mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo. Sur le papier, ce casting nous donne très envie.
Comment Virginie D a sauvé ma vie. « Un texte percutant incarné par l’autrice du texte, avec des extraits de King Kong Théorie de Virginie Despentes. » Un spectacle déjà passé dans le "off" Avignon et qui, visiblement, rencontre un certain succès – nous ne l’avons pas encore vu.
Tom à la ferme. « Adaptée au cinéma par Xavier Dolan en 2013, cette pièce de Michel Marc Bouchard est l'une des plus marquantes du théâtre contemporain. » Le collectif québécois Nacéo a ainsi mis en scène cette histoire d’un jeune homme qui vient de perdre son amoureux et se confronte à la famille de ce dernier. « Succès Avignon "off" 2021 » annonce le programme. D’accord.
Tom na Fazenda | Tom à la ferme. Une autre version (2h50 tout de même) du texte de Michel Marc Bouchard, qui a visiblement été acclamée de l’autre côté de l’Atlantique (l’Association québécoise des critiques de théâtre l’a célébrée), et qui passe dans un des théâtres du "off" les plus solides niveau programmation – la Manufacture.
Gazon Maudit. « La comédie culte de Josiane Balasko, adaptée et mise en scène pour la première fois au théâtre. » Et pourquoi pas, tant ce film sur une hétéro qui s’amourache d’une lesbienne a marqué son époque. Nous sommes curieux de savoir ce que la metteuse en scène en fera aujourd’hui, plus de 25 ans après sa sortie.
François Mallet / Heureux soient les fêlés. « Bipolaire, gay et patineur artistique : autant vous dire que si François était né aux États-Unis, il y a longtemps qu’il serait une icône avec un show humoristique sur glace, Céline Dion en première partie. En attendant, il joue tous les soirs à 22h30 à la Tâche d’Encre et c’est un peu son Vegas à lui. » On est donc sur de l’humour.
Killian Couppey dans Moi. « Dans ce spectacle, je vais vous parler de Moi ! Parce qu'il faut dire qu'à 23 ans : être gay, dépressif, faussement méchant, sans prépuce avec une famille digne d'un feuilleton américain, j'en ai des choses à dire. » On est donc, là aussi, sur de l’humour.
Papa(s) tu feras maman ! « Ils sont gays et veulent un enfant ! Elle est homophobe et assistante sociale ! Une seule solution : devenir hétéro ! » Au vu du pitch, de l’affiche et des nombreux points d’exclamation, tout ceci sent fortement la comédie potache comme on peut en voir tant dans le "off" d’Avignon !