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portraitÉlodie Petit, auteure fiévreuse et poète engagée

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 04/10/2022
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Poète et éditrice, Élodie Petit, auteure de Fiévreuse Plébéienne, démasculinise et débinarise la langue dans une nouvelle version de son texte, dont un extrait est publié dans la catégorie "Champ libre" du têtu· de la rentrée, actuellement en kiosques.

"La langue bâtarde est le fruit névrosé de l’accouplement d’une langue littéraire ténue avec un langage de rue, un argot rural […] Elle n’a pas peur d’être dramatique, dramaqueen, lyrique dans ses larmes, élégiaque à l’amoure, saphique, mielleuse, ouvertement érotique, pornographique et gênante", écrit Élodie Petit dans Fiévreuse Plébéienne, un recueil de poésies sorti en mai dernier aux éditions du Commun. 

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Tour à tour érotique, provocant ou explicitement politique, le texte impressionne également par sa forme, l’écriture étant portée par une typographie inclusive développée par la collective queer franco-belge Bye Bye Binary. Une alliance qui radicalise la démarche poétique initiale. "Dans la première version de Fiévreuse [publiée par Rotolux press sous une forme plus courte en 2019], j’avais déjà commencé à tout féminiser. Mais dans cette nouvelle version, il s’agit vraiment d’une démasculinisation et d’une débinarisation du langage. Le sexe est devenu la sexe. L’amoure prend un e. Lae corps est non-binaire."

Désacraliser la langue littéraire

La quête de libération d’une langue et d’une forme bâtarde, la poète et auteure la creuse farouchement depuis longtemps. Tout commence il y a un peu plus de quinze ans, aux Beaux-Arts de Saint-Étienne, alors qu’elle est encore étudiante. "Là-bas, je dessinais que des trucs de cul, des immenses partouzes avec de l’alcool et de la drogue."

À côté des dessins, il y a toujours l’écriture. Si l’école d’art lui propose des visions masculines et hétéros pour parler de sexe, comme celle de l’auteur Georges Bataille (dont elle détourne aujourd’hui le nom en Gorge Bataille comme performeuse), elle préfère toutefois remonter du côté de la littérature érotique pédée : celle de Guillaume Dustan, de Pierre Guyotat ou encore de Tony Duvert. 

En devenant libraire aux Mots à la bouche à Paris, elle comblera par la suite tous ses manques en littérature gouine et trans, mue par des textes qui parlent d’amour et de désir saphique. "Je suis fanatique de l’amour, de la poésie aux essais théoriques aux textes complètement tartes !" La poésie amoureuse de Renée Vivien, les larmes de Violette Leduc, les correspondances entre Liane de Pougy et Natalie Clifford Barney, mais surtout les textes de l’autrice Kathy Acker, "une meuf qui s’empare de l’écriture sexuelle de manière crue et directe". Cette dernière lui apprend à désacraliser la langue littéraire et la pousse à une liberté formelle inédite.

"Tout est fait en école d’art pour individualiser ta pratique. La dimension collective, je l’ai apprise au sein du militantisme."

Aux Beaux-Arts, elle rencontre celui qui deviendra son meilleur ami, Marguerin Le Louvier, avec qui elle écrit et édite, depuis 2010, des fanzines érotico-poétiques et punk, ouvertement queers, aux éditions Douteuses, en partie rassemblés au sein du recueil Anthologie douteuses, publié en 2021 par Rotolux press. L'ouvrage, à l’extravagante couverture rose fluo, a connu un véritable succès, et n’en finit d'ailleurs pas de repartir en réimpression. 

Comme elle le rappelle simplement : "Tout est fait en école d’art pour individualiser ta pratique. La dimension collective, je l’ai apprise au sein du militantisme." Aussi multiplie-t-elle ces dernières années les collaborations avec d’autres auteures, poètes, artistes et musiciennes. Elle est notamment membre du collectif d’autrix queer et féministe RER Q avec Wendy Delorme, Rébecca Chaillon, Claire Finch, Etaïnn Zwer et Camille Cornu. "RER Q a été hyper important, ça a changé complètement mon rapport à la scène, ça m’a fortifié. D’un seul coup, sur scène, on était six. On a vraiment appris. Se déplacer pour lire de la poésie comme un groupe de rock, c’est génial". 

Rendre sa noblesse à la lutte des classes

Rompre l’individualisme créatif, les barrières entre la scène et le texte, entre des espaces institutionnels, artistiques et/ou alternatifs pour lire et performer autrement la poésie, tels semblent être ses moteurs. "Les textes peuvent se métamorphoser dans d’autres espaces. J’aime bien qu’il y ait de la poésie entre deux concerts, à 23h. Ça va avec l’envie de désacraliser et de populariser la poésie. Je trouve ça important que mes textes puissent circuler aussi bien dans des institutions d’art contemporain que dans des bars lesbiens ou des squats." Dans cette quête d’hybridité, la langue poétique d’Élodie Petit est éminemment politique, en ce qu’elle dérange et subvertit les structures de pouvoir et de domination traditionnelles.

D'ailleurs, une des questions centrales de l'auteure reste la lutte des classes et comment en rendre compte. Issue d'une banlieue HLM, originaire d’Asnières-sur-Seine, Élodie grandit dans une famille de la classe moyenne, elle-même issue d’une génération prolétaire. C’est en retournant vivre dans le quartier bétonné de son enfance, où sa grand-mère vit encore, que se renforce sa volonté de donner plus de place à la question des violences de classe : "Cette histoire dans laquelle j’ai baigné s’est infusée, j’avais vraiment envie de rendre une noblesse à ce sujet, j’ai l’impression que ça passe souvent à la trappe dans nos luttes."

"La poésie est le terrain idéal pour revendiquer, expérimenter et parvenir à occuper l’espace."

Fruit d’un collage minutieux et d’assemblages de textes écrits, pour certains, lors d’insomnie, ou encore en prise de notes sur son portable, Fiévreuse Plébéienne raconte ces enjeux sans détour. Prenant comme point de départ un échange épistolaire entre deux figures toutes droit sorties de Dirty Dancing, Johnny la prolo, sorte de double fantasmé de la poète, et BB, une jeune femme issue de la classe bourgeoise, les voix poétiques ont le genre et la passion qui se troublent. Il en résulte un recueil d’une sensualité folle, foisonnant et magnétique.

À propos de la visibilité accrue dont bénéficient son travail et certaines voix minorisées au sein de la littérature au cours de ces dernières années, Élodie Petit reste mesurée mais enthousiaste. "La poésie est le terrain idéal pour revendiquer, expérimenter et parvenir à occuper l’espace. Quand j’interviens aujourd’hui dans les écoles d’art, je vois que les étudiantEs sont de plus en plus queers et politiséEs. Je trouve ça magnifique et je sais que ça déplace l’autre en face."

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Crédit photo : Gaëlle Matata