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sexoGénération chemsex : ma première fois, il y avait déjà de la drogue

Par Mathias Chaillot le 08/10/2022
chemsex illustration

La pratique du chemsex (sexe + drogue) s'observe chez des hommes de plus en plus jeunes. Si les raisons qui les poussent à consommer des produits sont diverses, la jeunesse est une population vulnérable qui doit être particulièrement ciblée par les politiques de réduction des risques.

Il n’existe pas de statistiques précises, mais la tendance est flagrante : le public des soirées chemsex s’est singulièrement rajeuni. "l y a dix ans, on y croisait surtout des hommes entre 35 et 45 ans. Aujourd’hui, la moyenne d’âge est de 27 ans", note le psychiatre et sexologue Dorian Cessa, auteur du rapport Sea, sex and chems. 

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Quelque 25% des consommateurs ayant répondu à son étude ont d’ailleurs moins de 26 ans et "sont donc encore en phase de construction sexuelle", explique le praticien : "On a beaucoup de profils assez jeunes, des personnes qui découvrent très tôt le chemsex et construisent leur sexualité autour de produits psychotropes."

Intégration et effet de groupe

Entre le covid et la fermeture des établissements gays, cette génération est entrée directement dans la sexualité par le biais des applis. Or environ 30% des utilisateurs de Grindr pratiqueraient au moins occasionnellement le chemsex. “Quand on fait partie d’une minorité sexuelle, il y a un désir encore plus fort de s’intégrer dans un groupe social, et l’on a tendance à réagir par mimétisme, explique Dorian Cessa. Si des hommes plus âgés leur proposent du chemsex, les jeunes vont penser que c’est un préalable à l’intégration communautaire.”

“C’est clairement ce qui m’a fait commencer”, approuve Théo, étudiant lyonnais. À peine arrivé à la fac, il commence sa vie sexuelle en voyant passer quelques rails de cocaïne, qu’il refuse. Lors de plans à plusieurs, il voit ensuite d’autres hommes en consommer. “Ils me disaient : 'Tu fais bien de ne pas en prendre', alors qu’ils avaient le nez dedans, relate-t-il. Un jour, comme un con, je me suis pris au jeu.” Le jeune homme commence alors à consommer de la 3-MMC six mois après le début de sa vie sexuelle.

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Le chemsex, accélérateur de sexualité

La plupart du temps, le chemsex est un formidable accélérateur dans la découverte de sa sexualité. Théo, dont les premières expériences, comme souvent, n’ont pas été très satisfaisantes, a pu sous drogues réaliser des fantasmes qui lui avaient toujours semblé inatteignables. “J’ai commencé à 18 ans, et ça m’a permis de découvrir certains kinks que je n’aurais pas assumés, confie-t-il. Ce que je regrette vraiment, c’est plutôt la consommation de drogues à laquelle ça m’a mené aujourd’hui.” À 21 ans, le jeune homme a d’ailleurs “le sentiment d’avoir vieilli trop vite”.

Étienne, 23 ans, a commencé à consommer des drogues dans le but d’expérimenter des pratiques plus poussées. Après un début de sexualité “tout à fait classique”, ce n’est qu’une fois installé seul qu’il va s’orienter vers le fist, qui l’attire, et qu’il a découvert via le porno. Tout débute alors simplement, un soir, avec un mec chez qui il accepte de prendre de la drogue, “pour être dans l’ambiance”. “Dans mon entourage, c’était banal de consommer dès 18 ou 19 ans, mais je ne connaissais pas encore le chemsex”, explique-t-il.

Kévin, 28 ans, a eu quant à lui ses premiers rapports avec les mecs vers 21 ans. Sa première prise de drogue arrive un an plus tard, et l’expérience lui semble “magnifique”. S’il fantasmait déjà sur le tag porno “sexe de groupe”, il n’avait jamais osé se lancer, jusqu’à ce que l’opportunité lui soit offerte sur un plateau : “En arrivant, j’étais terrifié, mais je savais qu’il y aurait de la 3-MMC, plein de très beaux mecs, et que je passerais un bon moment. Je me suis découvert une sexualité plus désinhibée, et beaucoup plus facile.”

L'homophobie, terreau de l'addiction

Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on essaie le chemsex qu’on va tomber dans l’addiction. Théo, par exemple, estime qu’il a eu “beaucoup de chance” de faire de bonnes rencontres, et réussit sans trop de difficultés à s’octroyer des pauses de deux ou trois mois. Mais tous n’y parviennent pas. “Parmi les personnes venant consulter en addictologie, on en trouve régulièrement ayant connu des obstacles à leur développement identitaire, comme de l’homophobie, du stress intrafamilial ou scolaire, des situations de stigmatisation, de violence…” déroule l’addictologue Dorian Rollet.

"Ils n'ont qu'une vision de la sexualité et ne parviennent pas à envisager que cela puisse se passer autrement."Pierre Cahen, sexologue

Mais si la sexualité semble soudainement “très facile”, elle peut paradoxalement l’être trop. En effet, une vie sexuelle sereine se construit le plus souvent sur le temps long, par tâtonnements, au travers de déceptions, de bonnes surprises et de retours en arrière. Aussi, ceux qui entrent dans la sexualité par le chemsex sans avoir connu autre chose ont tendance à avoir une vision faussée du sexe, et à voir dans la performance et l’intensité sous drogues la seule et unique sexualité possible. Ils éprouvent alors souvent des difficultés à percevoir ce dont cette pratique les a privés, comme une découverte de l’autre et de soi plus attentive. ...