La Sécurité sociale offre aux personnes vivant avec le VIH une prise en charge à 100%. Mais l’apparition de la mention “affection de longue durée” à chaque passage de leur carte Vitale les oblige à s’outer devant les pharmaciens ou les médecins. Un article à lire dans le magazine de fin d'année disponible en kiosques.
Pour un rhume, une IRM ou un détartrage, dans un cabinet médical ou une pharmacie, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) se voient dans l’obligation de s’outer régulièrement, si ce n’est plusieurs fois par semaine, lorsque le passage de leur carte Vitale déclenche sur l’écran de leur interlocuteur la mention “ALD” – signalant les affections de longue durée, dont le VIH fait partie. Permettant une prise en charge à 100 % des soins qui y sont liés, cette mention suscite presque immanquablement une question des professionnels de santé au sujet de la nature de l’affection.
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“Je m’installais dans une nouvelle ville, raconte Arthur, 37 ans. J’ai pris rendez-vous chez un généraliste, avec qui tout s’est d’ailleurs plutôt bien passé, ce qui ne fut pas le cas à la pharmacie…” Alors qu’il se rend dans l’officine pour une prescription qui n’a rien à voir avec son VIH, la praticienne lui demande alors quelle est son ALD. “J’étais un peu gêné, je ne savais pas comment répondre, alors j’ai simplement dit : « C’est pour mon traitement chronique »”, raconte-t-il. Mais la pharmacienne n’en reste pas là, et enfonce le clou. “Elle a visiblement vu une ancienne prescription dans mon dossier, et elle a répondu : « Ah, le VIH ! » Toutes les personnes présentes dans la pharmacie m’ont regardé, se souvient-il. J’étais très mal.”
Outings forcés ou sérophobie
Lors du passage de la carte Vitale, les personnels soignants ont en effet accès à des informations classiques, comme notre date de naissance, notre caisse de rattachement à la Sécurité sociale, ou encore notre adresse, mais pas seulement. “Si l’on sait quand le patient a une ALD, on ne sait en revanche pas laquelle, détaille Bruno Madeleine, président du conseil central des pharmaciens titulaires d’officines à l’Ordre des pharmaciens. On n’a pas à le demander, et c’est certainement maladroit de scander cela dans une officine. Je ne peux que regretter ce type de comportements.”
Une situation que Philippe Rossignol, 57 ans, volontaire auprès de l’association Aides à Laval, et séropositif depuis vingt ans, connaît par cœur : “Au début, je n’étais pas très à l’aise avec ma séropositivité et cela pouvait être compliqué dans certaines pharmacies. Aujourd’hui, je me sens bien mieux et je fais de la pédagogie.” Il conseille ainsi aux patients craignant d’être outés de trouver, dans la mesure du possible, une pharmacie PVVIH-friendly. “J’habite dans un petit département rural où pousser la porte du local d’Aides est déjà compliqué pour les personnes qui ne sont pas out, et je sais bien qu’il n’est pas toujours possible d’éviter les outings forcés ou la sérophobie, note-t-il. Dans ce cas, c’est mieux d’y aller accompagné.” Corinne, 57 ans, activiste de la lutte contre le VIH/sida, a pris l’habitude d’accompagner des personnes séropos récupérer leur traitement puis de faire remonter à l’Ordre des pharmaciens les comportements gênants ou discriminatoires des professionnels. “Je suis incapable de compter le nombre de fois où j’ai vu des personnes se faire outer devant tout le monde, confirme cette travailleuse sociale communautaire qui vit avec le VIH depuis 36 ans. La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était aux urgences ORL [oto-rhino-laryngologistes].”
En cas de comportement volontairement inapproprié, Bruno Madeleine recommande de faire un signalement sur le site de l’Ordre des pharmaciens ou via une lettre adressée au président du conseil régional de l’Ordre dont dépend le lieu d’exercice du pharmacien concerné. “On est intraitables sur les signalements que l’on peut recevoir. On a un dispositif qui nous permet de déposer des plaintes, explique Bruno Madeleine. Mais pour cela, il doit y avoir un signalement.”
“Les médecins n’ont pas à avoir connaissance de l’ALD lorsqu’elle n’a aucun rapport avec les soins.”
Toutefois, l’outing par carte Vitale ne concerne pas uniquement les passages en pharmacie. En réalité, quel que soit le rendez-vous médical, les personnes vivant avec le VIH peuvent craindre que leur statut sérologique ne soit dévoilé au comptoir de l’accueil. Ce qui se résout très simplement en passant par un questionnaire de santé à remplir par écrit, que de plus en plus de cabinets utilisent par souci de discrétion. Au-delà du malaise que crée l’outing, et qui peut freiner des personnes séropositives dans leur accès aux soins, la question n’est pas toujours le fait d’une simple maladresse, et peut être liée à de la sérophobie, laquelle peut même aller jusqu’à un refus de prise en charge. En effet, dans un testing réalisé en 2015 auprès de 440 cabinets dentaires dans 20 villes différentes, Aides avait démontré que 33,6% d’entre eux avaient tenté de se débarrasser des patients qui se présentaient comme vivant avec le VIH. Un chiffre effarant.
“Les médecins n’ont pas à avoir connaissance de l’ALD lorsqu’elle n’a aucun rapport avec les soins, martèle Nicolas Sergeant, coordinateur social chez Act Up-Paris. La personne qui vient consulter n’a aucune obligation d’en faire mention.” Or lui reçoit nombre de témoignages d’outing forcés survenus lors de rendez-vous médicaux. Des questions indiscrètes, parfois sérophobes, souvent posées lors de consultations avec des spécialistes hors parcours de suivi VIH. “La question qui revient le plus c’est « comment vous êtes-vous contaminé ? », s’insurge Nicolas. Cette question n’a aucun intérêt médical, alors pourquoi la poser ?” Son conseil : ne pas répondre. ·
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