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Nos vies queersComing out tardif : s'assumer après des années de mariage hétéro

Par Pierre Cochez le 27/12/2022
couple gay

[Article à retrouver dans le magazine en kiosques] Ce n’est qu’après de longues années de mariage qu'ils se sont décidés à "vivre en vérité". Et même si ce ne fut pas simple, faire leur coming out à leur femme et à leurs enfants a permis à ces homme de commencer une nouvelle vie.

Au commencement était une femme. Lorsqu’il a rencontré la mère de ses enfants, en 1982, au début de sa vingtaine, Luc l’a avertie de ses “tendances homosexuelles”. Amoureuse, sûre d’elle, elle avait répondu : “Je te les ferai passer.” Même s’il n’avait jamais couché avec un homme, Dominique aussi savait qu’il était gay avant de se marier, à 35 ans, avec celle qui deviendra la mère de ses deux enfants et avec qui il restera dix ans. “On était sur la même longueur d’onde. Nous n’avons jamais eu de conflits et avons partagé beaucoup”, explique-t-il aujourd’hui.

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Mais les nuits étaient vides, et les corps, à l’abandon, demandaient à s’animer. “Nous vivions l’un à côté de l’autre, sans sexualité, se souvient Dominique. Je sentais que ma femme n’était pas forcément heureuse.” Après l’arrivée de leurs deux enfants, Michel et sa compagne en étaient au même point. “Les nuits, je rêvais à des hommes et je me réveillais en ayant joui”, raconte ce créatif d’une cinquantaine d’années, grand et barbu, presque timide. Un jour, son épouse lâche le morceau à sa belle-mère. “Votre fils ne m’honore plus depuis un certain nombre d’années”, lui confie-t-elle, avant que le couple ne décide de se séparer. “À la fin, nous n’en pouvions plus de tenir ce mensonge social, souffle Michel. J’ai vécu ma première expérience sexuelle avec un homme une fois séparé de mon épouse.”

Ne plus faire souffrir, et s'assumer

Après un premier enfant et quatre ans de relation, le couple de Luc bat de l’aile : “Nous n’avions plus de relations sexuelles. C’était pesant et cela la faisait souffrir.” Quand sa compagne le quitte, il découvre les saunas et multiplie les relations sexuelles avec les hommes et les femmes. “C’était comme une libération. Dans ma vie, je me suis toujours fait draguer”, sourit ce beau médecin d’une soixantaine d’années. Il retrouve toutefois son épouse alors qu’il rencontre un gros problème professionnel. De nouveau ensemble, ils font un second enfant, avant qu’elle ne parte pour de bon. “J’ai commencé une psychothérapie qui m’a permis de comprendre qu’il fallait que j’arrête de faire souffrir les femmes et que j’accepte mon homosexualité, explique-t-il. C’était la meilleure solution pour tout le monde.”

Après Saint-Cyr et un mariage “comme autrefois” – messe à Saint-Augustin et grande réception au Cercle national des armées –, c’est la veille de son entrée à l’École de guerre, à 34 ans, que Paul rencontre un garçon : “Un coup de foudre. Il est marié, père au foyer de six enfants, et me présente sa femme.” Tout explose. Le beau militaire quitte l’armée, entame une formation en business à Paris, explique la situation à sa femme, qui travaille en province. “Elle est fabuleuse et me donne une pension chaque mois, raconte-t-il. Mais une fois ma formation terminée, je ne suis pas rentré à la maison.” Son épouse finit par demander le divorce.

“J’ai pris conscience que mes parents avaient fait ce qu’ils voulaient de leurs vies et que je m’étais jusque-là contenté de leur faire plaisir.”

Dominique

Dominique a quant lui brutalement décidé de rompre à la mort de son père, en 2017. “J’ai pris conscience que mes parents avaient fait ce qu’ils voulaient de leurs vies, se souvient-il. Moi, je m’étais jusque-là contenté de leur faire plaisir et ne vivais pas la mienne. Il fallait que ça cesse.” Son épouse n’a rien vu venir : “Ça a été violent pour elle. Elle m’a dit : 'Je ne peux rien faire. On ne peut pas se battre contre un homme. Mais est-ce que tu m’as vraiment aimée ?' Je lui ai dit oui.” Il prévient aussi sa mère. “Elle m’a demandé : 'Pourquoi ne l’as-tu pas assumé avant ?' raconte-t-il. Depuis, elle attend que je lui présente un copain.” La mère de Michel aussi attend qu’il lui présente quelqu’un : “Elle est très catholique, elle m’a conseillé d’aller voir l’association de chrétiens gays David et Jonathan.” 

Quand sa mère s’est alarmée de son changement de carrière et de sa rupture avec sa femme, Paul lui a fait son coming out. “Ça ne va pas être facile de le dire à ton père”, lui a-t-elle répondu. Son coup de foudre, qui a ensuite un septième enfant, le choisit comme parrain. “Il voulait que je déménage à Bruxelles pour les suivre, lui et sa famille. J’ai refusé, et il a rompu”, confie-t-il. Paul sombre alors dans la dépression : “J’ai commencé une thérapie. Je n’avais plus personne dans ma vie, j’avais l’impression d’avoir tout foutu en l’air. Je multipliais les rencontres, ma vie sentimentale ne ressemblait à rien.” 

Mieux vaut tard que jamais

C’est lorsqu’il a pris un appartement seul que Michel, lui, s’est senti “libéré” : “Avant, j’avais le sentiment de ne pas vivre ce que je devais vivre.” Il enchaîne les rencontres, danse comme un fou au Tango, devient bénévole dans un centre LGBTQI+. Son seul regret : “Être entré trop tard dans la vie gay, alors qu’au fond de moi je connaissais mon inclination pour les hommes. À 36 ans, c’était un peu tard…” Quant à Dominique, il a découvert le monde gay à 45 ans : “Sur les applis, je passe vite pour un vieux con. Et puis il y a un fossé qui se crée quand il faut que je rejoigne mes fils pour les aider à faire leurs devoirs.”

"Les enfants aussi ont souffert, mais davantage de notre séparation que d’avoir un père homo.” 

Luc

Après mon coming out, quand j’accompagnais mes deux filles à l’école, elles avaient peur que je paraisse efféminé, se souvient Michel. Aujourd’hui, elles ont la vingtaine, et elles trouvent que mon célibat dure depuis trop longtemps. Elles pensent que je devrais être plus flamboyant.” Quant à Luc et son ex-femme, ils se sont installés dans le même quartier, chacun vivant avec un de leurs enfants. “Notre priorité était qu’ils soient équilibrés et heureux. Nous nous concertions dès que l’un d’eux avait un problème”, explique-t-il. Malgré les “périodes difficiles”, le sexagénaire ne regrette rien de sa vie : “On a tous les deux souffert. Les enfants aussi, mais davantage de notre séparation que d’avoir un père homo.” C’est quand il a commencé à entretenir une relation sérieuse avec un homme qu’il a décidé de faire son coming out auprès d’eux. “Ma fille de 15 ans le savait déjà. Mon fils, alors âgé de 11 ans, m’a dit : 'C’est dégueulasse. J’ai honte', se souvient-il. Jusqu’au jour où il a lu dans têtu· le témoignage d’un de ses copains dont la mère était lesbienne.”

Aujourd’hui, Luc est avec le même homme depuis vingt ans. Ils partent en vacances dans des “maisons de famille” avec ses deux enfants, ses trois petits-­enfants, son ex-épouse et le compagnon de cette dernière. Tous sont musiciens, ce qui crée des liens. “Il y a comme une harmonie de clan autour de moi”, résume-t-il. 

Paul, lui, n’a pas eu d’enfant durant son mariage hétéro. “Si on en avait eu, je pense que je n’aurais pas franchi le pas. Nous n’aurions pas divorcé et j’aurais mené une double vie”, assure-t-il. Un jour, en allant à la pharmacie, il a un second coup de foudre. “Il est venu à la maison et il n’est jamais reparti”, raconte-t-il. Les deux hommes, qui se pacsent en 2001, se sont ensuite mariés quand la législation l’a permis. “Je me suis enfin senti capable de dire à tout le monde : 'Je vous présente mon mari.'” 

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