Nabil Ben Yadir est l'auteur du film le plus important qui ait été réalisé sur le sujet des crimes LGBTphobes. Dans Animals, qui sort en France ce mercredi 15 février (à Paris au cinéma MK2 Beaubourg), le réalisateur belge fait le récit de la mise à mort, en 2012 à Liège (Belgique), d'Ihsane Jarfi, jeune gay torturé pendant des heures par ses quatre assassins. Si la violence de la deuxième des trois parties du film – la plus courte – remue profondément, le réalisateur assume son geste, et têtu· le soutient sans réserve, comme une nécessité pour une prise de conscience autour des queericides qui endeuillent régulièrement la communauté LGBTQI+. Rencontre avec un cinéaste profondément engagé, et un précieux allié.
À quel moment avez-vous connu l'affaire Ihsane Jarfi, et décidé de faire ce film ?
Nabil Ben Yadir : Ma rencontre avec l'histoire, c'était au moment où ils ont découvert le corps d'Ihsane, en 2012. On avait tout de suite considéré que c’était un crime homophobe, et le récit des sévices qu'il avait subis m'avait interpellé, et même hanté. Ce qu'il a vécu, ce qu'ils en ont fait, le temps que ça a pris… et l'absence de remords de ses assassins, tout au long de leur procès, en 2014, c'était dingue. J'y suis allé, et c'est là que j'ai rencontré le père d'Ihsane. Et puis il y a eu cette scène, au tribunal, où l'un d'eux a dit : "On n'est pas des animals"…
Qu'est-ce que cette phrase nous dit selon vous ?
Je pense que le manque de mots, c'est crucial ; c'est le début de la violence. Je me rappelle qu'au procès un psychiatre avait dit que les assassins d'Ihsane avaient 300 mots de vocabulaire. L'équivalent d'une langue étrangère, mais dans leur langue principale… Je pense que c'est là que démarre le processus de déshumanisation qui aboutit à ne pas avoir de remords à taper, comme ça, dans un sac de pomme de terre, puisqu'à ce moment Ihsane n'est plus un être humain. Et ça pose la question de comment est-ce qu'on peut en arriver là, basculer comme ça. Comment une société démocratique comme la Belgique peut-elle créer de tels monstres ? Quand ça se passe loin, dans des pays antidémocratiques, on a tendance à relativiser, mais là, on ne peut pas regarder ailleurs....