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interviewJehnny Beth : "Je ne savais pas que j'étais perçue comme une icône lesbienne"

Par Florian Ques le 07/06/2023
Jehnny Beth était présente au Festival de Cannes, où a été projeté son premier court-métrage, Stranger.

Jehnny Beth avait deux raisons d'être présente au Festival de Cannes 2023. À l’affiche d'Anatomie d’une chute, le film de Justine Triet qui est reparti avec la Palme d'or, elle présentait également son premier court-métrage, Stranger, co-réalisé avec Iris Chassaigne et dans lequel elle joue face à Agathe Rousselle. La musicienne, comédienne et maintenant réalisatrice française a répondu à nos questions sur sa carrière au pluriel.

C'est dans un petit café d'une rue confidentielle de la Croisette, à Cannes, que Jehnny Beth débarque, parfaitement ponctuelle. En ce mois de mai 2023, la jeune femme est au Festival de Cannes pour défendre Stranger, son tout premier projet en tant que co-réalisatrice. C'est avec Iris Chassaigne que l'artiste âgée de 38 ans signe ce court-métrage singulier, où Agathe Rousselle (révélée dans Titane) incarne une femme perdue en quête d'un nouveau souffle de vie.

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Avec Stranger, Jehnny Beth ajoute une nouvelle corde à son arc. Car en plus du cinéma, elle est également musicienne, et a déjà à son actif plusieurs albums, en solo, avec son groupe Savages, ou encore en binôme avec son compagnon, Johnny Hostile. On a aussi pu la voir comme comédienne dans Les Olympiades de Jacques Audiard et plus récemment dans Anatomie d'une chute de Justine Triet, Palme d'or cette année. Ouvertement bisexuelle, Jehnny Beth est aussi une icône pour une partie de la communauté lesbienne. Un statut dont elle n'était pas tout à fait au courant…

On connaissait Jehnny chanteuse, compositrice, productrice, comédienne… et maintenant on te découvre réalisatrice au cinéma. C'était la suite logique de ton parcours ?

J'avais des envies plutôt inconscientes de réalisation. Je trouve que c'est un métier très dur, et qui demande une certaine maturité sur beaucoup de choses. Je ne pense pas que j'aurais pu le faire avant, et je trouve ça génial d'avoir pu débuter en co-réalisant avec Iris Chassaigne [réalisatrice de trois courts-métrages, dont le dernier s'intitule Swan dans le centre]. Quand elle est arrivée sur le projet, beaucoup de choses étaient déjà mises en place, et il nous restait deux mois avant de tourner.

Tu avais déjà tout préparé à l'avance ?

J'avais déjà contacté Agathe Rousselle, car après avoir composé mon dernier album, j'avais envie d'écrire un court-métrage qui lui serait lié, un projet musical inédit. À partir de là, en l'espace d'un an, j'ai trouvé l'équipe, le décor, la costumière, j'ai effectué des repérages… Quand Iris a grimpé à bord, elle m'a proposé de devenir co-réalisatrice, et j'ai accepté. Il m'a semblé qu'elle était la pièce manquante du projet, car elle avait des choix de mise en scène radicaux qui me plaisaient beaucoup.

"Je ne fais pas exprès de représenter des personnages féminins marginalisés. Je crée des personnages qui font partie de ma norme."

Ce film a un aspect queer, comme dans beaucoup de tes projets. C'est important pour toi ?

Je ne le fais pas de manière consciente ou politisée. Je le fais parce que ce sont des sujets qui m'intéressent et me passionnent. C'est comme quand on me demande si c'est important de représenter des personnages féminins marginalisés qu'on ne voit pas souvent : je ne le fais pas exprès. Je crée des personnages qui font partie de ma norme.

Tu sais que tu es aujourd'hui considérée comme une icône lesbienne ?

Vraiment ? Non je ne savais pas du tout que j'étais perçue comme une icône lesbienne, tu me l'apprends ! (Elle sourit.) Je suis toujours hyper touchée quand des gens se retrouvent dans ce que je fais, qu'importe d'où ils viennent. J'ai une identité queer, mais je trouve que la sexualité est intime et personnelle. Ça ne définit pas entièrement une personne. Mais je ressens beaucoup de bienveillance envers la communauté, ça c'est sûr !

"En général, on me donne toujours les rôles casse-gueule."

Comment tu choisis les projets auxquels tu prends part en tant qu'actrice ?

Entre Kaamelott et Audiard, il y a un grand écart ! (Rires.) En vérité, ce sont les réalisateurs et réalisatrices qui vont me pousser à m'investir dans un projet. Par exemple, Alexandre Astier, j'adore son travail et sa personne. Idem pour Jacques Audiard, Justine Triet… J'ai tout de même l'impression d'incarner des personnages très variés, qu'on ne me propose pas chaque fois la même chose. C'est là que ça devient intéressant : quand je ne sais pas comment je vais m'y prendre. Là, pour Anatomie d'une chute, il fallait avoir à la fois de la douceur et de la fermeté. En général, on me donne toujours les rôles casse-gueule. C'est un vrai travail d'équilibriste, en fin de compte.

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Jehnny Beth dans le film Kaamelott (crédit photo : SND)

Tu seras aussi au casting de Split, la toute première série lesbienne française…

C'est grâce à Iris ! Je la trouve d'une intelligence folle sur le cinéma. À la base, elle est chercheuse, mais quand je l'ai rencontrée, je me suis rendu compte qu'elle avait une vraie réflexion de cinéaste et qu'elle avait une idée très nette de ce qu'elle voulait faire. Elle a des ambitions qui vont au-delà de cette série. Lors du premier jour de tournage, j'ai eu l'impression de la voir naître en tant que réalisatrice, et c'était hyper émouvant. C'est aussi une des premières à m'offrir un rôle principal et ça, on ne l'oublie pas !

La série, qui débarque à la rentrée sur France.tv Slash, comprend plusieurs scènes de sexe. Comment as-tu abordé ces passages ?

Il y a eu tout un travail avec une coordinatrice d'intimité. Ça n'a pas été évident, mais j'ai trouvé ça très passionnant. Souvent, ce métier est comparé, sur les plateaux, à celui d'un gendarme, or ce n'est pas du tout ça. C'est une ouverture vers la créativité et non un frein. Sur Split, les scènes d'intimité, ce sont celles qu'on a tournées le plus rapidement. Donc il faut se questionner sur tout ça à l'avance, parfois à coups de questions très crues : est-ce qu'elle jouit ? Quel est l'acte sexuel performé ? Comment va-t-on le réaliser techniquement ? C'est comme une scène de cascade. On ne fait pas sauter un acteur du troisième étage sans se poser toutes les questions d'organisation et de sécurité au préalable.

Si l'on te donnait un budget sans limites pour réaliser ton premier long-métrage, tu ferais quoi ?

C'est une très bonne question… Je pense que j'essaierais de faire un film avec beaucoup de musique. Mes films préférés sont ceux qui lui accordent une vraie place, qui comprennent que ce n'est pas à la fin d'un montage qu'il faut penser à la musique.

Tu as fait un premier album solo en 2020. On peut en espérer un autre ?

Il y aura Stranger, qui est actuellement en finalisation. L'idée était de faire deux objets artistiques qui se répondent. Il se trouve que le film a été sélectionné à Cannes, donc sa vie a démarré plus tôt que prévu, et c'est génial. C'est un joli tremplin.

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Crédit photo : Jehnny Beth dans Les Olympiades, Memento Distribution.