Caméléon mutique devant la caméra de Julia Ducournau, l'héroïne de Titane est tout son contraire lorsqu'on se retrouve en tête-à-tête. Alors que son tout premier film vient d'être sacré Palme d'or, l'actrice Agathe Rousselle est aux anges.
"J'ai toujours voulu être actrice", lâche Agathe Rousselle d'un ton assuré, moins d'une minute après que l'on se soit installés en terrasse d'un café parisien. Une Palme d'or pour son tout premier rôle sur grand écran, c'est quelque chose. Ses lunettes de soleil perchées sur le nez, l'actrice rentre à peine d'un séjour cannois qu'elle n'est pas près d'oublier. Jamais elle n'aurait imaginé qu'un tel triomphe au festival de cinéma le plus prestigieux de l'Hexagone puisse arriver : "T'oses pas y penser, tu ne veux surtout pas te porter l'œil". Mais avant d'être la nouvelle it girl de la Croisette, la révélation de Titane a mené mille vies.
Un rôle de composition
Un baccalauréat option théâtre en poche, la comédienne en herbe entreprend des études en hypokhâgne avant d'y mettre un terme. Elle débarque alors au conservatoire du XXe arrondissement pour peaufiner son acting. C'est par la suite que s'enchaînent les opportunités professionnelles plus disparates les unes que les autres. Elle fait de la photographie, lance sa griffe de mode et s'improvise même rédactrice en chef d'un nouveau média. "J'ai utilisé ma vingtaine pour faire toutes les choses que je pouvais faire, détaille-t-elle. Mais ce n'est pas très intéressant, mon parcours n'est pas non plus passionnant". Modeste.
Agathe Rousselle est généreuse, n'hésitant pas à revisiter dans le détail ces étapes de son passé. Elle est, en définitive, bien plus volubile que son alter ego dans Titane. Dans ce second film signé Julia Ducournau, elle incarne Alexia, une psychopathe énigmatique au destin… singulier, pour éviter tout spoiler. "J'ai saigné YouTube, j'ai regardé toutes les interviews de serial killers que j'ai pu trouver", appuie-t-elle. Durant le tournage, elle visionnait d'ailleurs Killing Eve pour s'inspirer du personnage dingue de Jodie Comer mais aussi beaucoup de RuPaul's Drag Race. "Ça reste de la transformation", se justifie-t-elle avec humour.
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Mais avant de s'approprier ce personnage d'anti-héroïne dans la tourmente, l'actrice se rappelle des multiples échelons à gravir pour obtenir le rôle. Un vrai parcours du combattant. "J'ai passé quatre tours d'auditions, se remémore-t-elle. Des auditions qui étaient assez longues. Il y en a une où Julia [Ducournau] m'a mis un foulard sur le bas du visage et n'a filmé que mes yeux. Je devais tourner une scène uniquement avec le regard, ce qui est ouf". Un bon avant-goût pour la suite de l'aventure, composée de training physique et de longues sessions de maquillage. "J'ai eu la totale et j'en suis très contente", garantit-elle.
Une identité à clarifier
À l'écran, dans Titane, Agathe Rousselle campe une femme-caméléon à l'expression de genre fluctuante – pour des motifs que l'on ne précisera pas afin de ne pas gâcher la surprise – et à la sexualité tout aussi évolutive. Loin des caméras, l'actrice n'hésite pas à adopter un style androgyne. Mais elle préfère éviter les malentendus. "Je suis une femme cisgenre hétéro, dit-elle. Je l'ai toujours été". Quand on lui dit que sa bio Wikipédia avance qu'elle est "no gender", c'est l'incompréhension. Elle met les choses au clair. "Je ne peux pas représenter les personnes non-binaires puisque je ne le suis pas moi-même", précise-t-elle.
Cela ne l'empêche pas d'être une fervente alliée de la communauté LGBTQI+. La grande majorité de ses amis sont homos ou trans – "en fait, maintenant que j'y pense, j'ai pas tellement d'hétéros autour de moi", réalise-t-elle avec un demi-sourire. Elle a conscience que le genre est un enjeu brûlant dans de diverses conversations sociétales. Mais ça l'épuise. "La question du genre ne devrait plus être très pertinente, affirme la jeune comédienne. J'espère qu'on vivra bientôt dans un monde où ce ne sera plus un sujet".
Des aspirations infinies
Pour l'heure, Agathe Rousselle est sur un petit nuage. "J'arrive pas dans ce métier à 20 piges, ce qui est très bien pour moi, se réjouit-elle. J'arrive à 33 ans avec un socle extrêmement clair. Je sais qui sont mes amis, je suis bien dans mes godasses". Une assurance qu'elle exsude dès nos premiers échanges. Puis, lorsqu'on évoque l'avenir, son enthousiasme est perceptible. Mais elle s'arme de patience. "Je vais déjà laisser les gens voir le film mais j'espère que ça va bouger, dit-elle. Parce que je ne veux faire plus que ça. Un plateau, c'est vraiment le seul endroit au monde où j'ai l'impression qu'il ne me manque rien".
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Très influencée par la culture anglo-saxonne, la star de Titane énumère plusieurs icônes quand on lui pose la question. De Tilda Swinton à Cate Blanchett en passant par Michaela Coel, l'actrice principale et créatrice de l'excellente série I May Destroy You. Elle ne s'opposerait pas à une filmographie éclectique, alliant du thriller – "Fincher, c'est mon rêve absolu, je passe ma vie à regarder Zodiac" – et de la comédie – "pourquoi pas avec Dupieux ou Éric Judor". Elle ne fait pas non plus une croix sur sa carrière de modèle. "On n'est pas obligé d'être une seule chose et c'est bien ce que raconte Titane d'ailleurs", conclut-elle.
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Crédit photo : Diaphana Distribution