À 26 ans, le chanteur Chéri s'érige comme un nom à retenir, marquant la scène pop française avec une musique plurielle, rythmée et très queer. Son EP Cheripop, paru ce printemps, est la bande-son idéale de nos nuits d'été.
Fin 2021, un certain Chéri se glissait dans notre radar. Dans son déstabilisant "Quiero Comerte", l'artiste s'amusait avec sa voix et son vocodeur, mêlant sonorités pop et électro, le tout sur des paroles en français et en espagnol. Son nouvel EP, Cheripop, sorti au mois de mai, poursuit cette trajectoire. En huit morceaux s'y affine le portrait d'un chanteur mélancolique, déterminé à exorciser ses peines pour grandir. "Mon désir profond, c'est d'être de plus en plus libre et de me débarrasser des obstacles qui me bloquent, confie-t-il à têtu·. Je chante les choses pour les expier."
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L'un des meilleurs exemples de ce modus operandi est peut-être "Mi Feminidad". À travers ce titre, Chéri ausculte le rapport qu'il entretient avec sa propre féminité, lui qui se définit comme "queer, gender fluid, dans le spectre de la non-binarité en tout cas". Au gré des paroles, il tient deux discours. Le premier, en français, s'adresse aux esprits étriqués : "Si vous saviez le mal que vous nous faites, quand tu regardes mal, quand tu mets en doute". Le second, en espagnol, fonctionne comme un cri de ralliement : "Montrez-vous aux politiques, montrez-vous aux homophobes !".
Fluidité à tous niveaux
Né d'un père espagnol et d'une mère française et ayant grandi entre le Vaucluse et l'Andalousie, Laurent – c'est son prénom à la ville – manie les deux langues sans effort. "En français, c'est difficile d'écrire des choses frontales sans que ce soit un peu mauvais ou trop cheesy, explique-t-il. Quand je veux être plus direct, plus cru ou plus engagé, c'est là que je vais utiliser l'espagnol."
L'artiste avignonnais n'a pas toujours été aussi cash. Enfant, il était "hyper renfermé" et "pas très jovial". À l'âge de 9 ans, il se pointe dans le salon familial avec son casque et son baladeur, et se met à entonner "Une étincelle", des L5, devant ses parents pour les convaincre de lui laisser suivre des cours de chant. "Ils m'ont dit que je n'avais pas à faire tout ça et qu'ils étaient d'accord, précise-t-il en rigolant. Je ne demandais pas grand-chose en règle générale donc ce n'était pas un caprice. Là, j'ai vite été beaucoup plus heureux et épanoui." Poussé par sa prof de musique, il trouve vite le chemin de la scène et part même, dès ses 12 ans, en tournée nationale pour le spectacle Émilie Jolie. "C'était l'expérience de ma vie", se souvient le jeune chanteur avec tendresse.
Contre le système
Aujourd'hui, son identité queer et son art s'imbriquent pour ne former qu'un seul tout cohérent. Mais le chemin fut sinueux : "Ça a été très long pour comprendre un peu qui j'étais et comment je voulais m'exprimer et me présenter aux yeux du monde. Mais je mets un point d'honneur à ce que ce soit une réflexion joyeuse. Toujours. Je tiens à ce que le coming out soit plutôt qu'une énorme teuf où on sabre le champagne qu'une épreuve où on pleure dans les bras de papa ou maman." Chéri, lui, sort du placard à 19 ans, après avoir obtenu son bac STG comptabilité – "J'étais nul à l'école et ils ne m'ont pris que dans cette filière", dit-il sans amertume – et déménagé à Paris. La capitale est alors un catalyseur, aube d'un nouveau chapitre mais aussi d'un parcours de déconstruction : "Il m'a fallu six ans pour détruire ma carapace. Quand on passe une vie à être un personnage qui n'est pas nous, ça s'ancre en soi."
Qu'il soit sur scène ou en train d'arpenter les rues parisiennes, Chéri s'assume, piochant dans les codes du féminin comme du masculin pour façonner une identité sienne. "Si je n'avais pas pu être moi-même, je n'aurais pas pu défendre ma musique actuelle, appuie-t-il. Mais c'est hyper difficile d'exister en tant qu'artiste queer en France. J'ai entendu des choses violentes de la part de professionnels de la musique. On a déjà dit de moi que j'étais habillé de manière trop gay. J'ai entendu cette phrase horrible : 'On a déjà signé un homosexuel donc on ne va pas pouvoir en signer un autre'. Ce ne sont pas des gens volontairement homophobes mais ce sont des gens qui répètent des schémas de pensée sans prendre le temps de les questionner..."
Qu'importe, le chanteur est décidé à s'investir à fond pour atteindre ses objectifs. Adorateur de la culture popstar – son adolescence était bercé par les épisodes de Hannah Montana –, il aspire à une carrière dans cette veine. "Je veux faire des grosses tournées internationales, j'ai envie d'être tout le temps sur scène, s'enthousiasme-t-il. Mais surtout, je veux trouver un public fidèle et une carrière qui dure. Je me rappelle être allé au concert de Yelle l'an dernier : il y avait des jeunes qui venaient de la découvrir et d'autres qui la suivaient depuis le début. C'est ça qui me fait rêver."
Crédit photo : Ilan Brakha