Les quatre musiciennes du groupe américain The Aces reviennent avec un nouvel album introspectif, I've loved you for so long, inspiré de leur éducation mormone. têtu· les a rencontrées lors de leur passage à Paris.
À bord d’un vieux van ou dans un bar de motards, voilà où l’on s'attend à croiser un groupe de rock constitué majoritairement de lesbiennes. C’est pourtant sur une terrasse, à l’ombre d’une charmante verrière et autour d’une tasse de thé que nous avons rendez-vous avec le quatuor américain The Aces. À en juger par leur dernier album, I've loved you for so long, Alissa et Cristal Ramirez, Katie Henderson et McKenna Petty – qui ont toutes commencé la musique entre 8 et 10 ans dans le garage des soeurs Ramirez – ont renoué avec leurs premières amours, l’indie rock.
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Au placard, donc, le ton plus "lisse et policé" de leurs derniers albums ; les musiciennes de The Aces sont bien décidées à renouer avec leurs racines fondamentalement rock. Un retour qui n'est pas dû au hasard, puisqu'elles passent en revue certains moments fondateurs de leur éducation. À les voir arriver bras dessus, bras dessous, enchaînant les blagues sur leur virée parisienne, difficile d’imaginer que ces artistes pétillantes ont grandi au sein de l’Église mormone à Provo, dans l’Utah – environ 62% des habitants de cet État de l'ouest des États-Unis se déclarent mormons –, où elles ont dû faire face à un défi de taille : grandir en étant queer, et parvenir à s'accepter.
De la "joie queer à l'état pur"
Grandir dans une communauté religieuse en étant lesbiennes a en effet laissé des séquelles sur les membres de The Aces – McKenna, la bassiste, est la seule hétéro du groupe. Ce sont ces plaies que vient panser I've loved you for so long, conçu durant le confinement, à une période où elles sont en pleine introspection. En résulte "une réflexion sur le fait de se sentir en paix avec soi-même, sur la santé mentale, sur les répercussions de notre passé sur notre présent". En grandissant, "on sentait qu’on ne rentrait pas dans le moule, c’était oppressant. On ne parvenait pas à trouver notre place, expliquent-elles. Notre entourage nous demandait si on comptait faire carrière dans la musique, nous faisant remarquer qu’il faudrait bien qu’on se marie un jour et qu’on fonde une famille, qu'on rentre dans la norme. On sentait qu’on n’avait pas le choix." Alors toutes quatre se sont construites ensemble, par elles-mêmes, et selon leurs propres valeurs, leurs envies, sans mode d’emploi.
Aujourd'hui, The Aces assume fièrement sa queerness. En témoigne "Girls Make Me Wanna Die", la chanson la plus "gay as fuck" de l’album. "Elle parle de l’envie qu’on a, quand on est ados et dans le placard, de révéler nos sentiments à notre crush. On est toutes passées par là, développent-elles à grand renfort de regards complices. Craquer sur une amie proche, crever d’envie de lui dire à quel point on l’aime tout en redoutant sa réaction. On est jeunes, naïves, on romantise absolument tout, on surinterprète chaque interaction, on s’invente des signes qui n’ont pas lieu d’être." Les musiciennes avaient déjà posé les galons de leur visibilité via "Bad Love", cette fois "la chanson la plus queer de toute [leur] discographie", pour laquelle elles avaient mis le paquet : "'Bad Love' est le reflet de ce moment où tu es prêt à montrer qui tu es publiquement, à en être fière, à le crier. On n'en avait plus rien à faire de ce que les autres pouvaient penser. C’est la joie queer à l’état pur qu’on voulait retranscrire."
"On naît tous dans un monde hétéronormatif qui nous apprend qu’on ne correspond pas à ce que la société attend de nous, que l’on vaut moins que les autres et qu’on devrait se cacher."
Mais Alissa, Cristal et Katie ne perdent pas de vue le chemin qu’il leur reste à parcourir. "Si seulement c’était simple de se détacher de la honte, de l’homophobie intériorisée, soufflent-elles. C’est quelque chose de très vicieux, on pense avoir dépassé tout ce conditionnement jusqu’à ce que de vieux réflexes émergent au détour d’une conversation ou face à une situation." Plusieurs fois, les artistes ont même été choquées de leurs propres réactions. "Qu’on le veuille ou non, l’éducation laisse une empreinte à laquelle il faut être attentif. Si ça ne correspond pas aux valeurs auxquelles on aspire, il faut être capable de prendre les choses en main et de faire un travail sur soi pour changer sa façon de penser." Plus facile à dire qu’à faire… Et c’est pour cela que The Aces prône l’indulgence, parce qu'"on naît tous dans un monde hétéronormatif qui nous apprend qu’on ne correspond pas à ce que la société attend de nous, que l’on vaut moins que les autres et qu’on devrait se cacher."
Le groupe se montre intransigeant lorsqu’il s’agit de s’engager pour la communauté. "On a grandi loin de tout modèle, dans un État où il n’y avait aucun espoir pour les personnes queers. Ce n’est pas rare aux États-Unis, où de nombreux États font passer des lois LGBTphobes, soulignent-elles. On a l’impression d’être à un tournant. C’est impensable pour nous de ne pas se faire entendre, en particulier par ceux qui partagent notre vécu." Elles ne se sont d’ailleurs jamais posé la question de savoir si elles devaient ou non être des artistes engagées : "Notre existence même est politique. Dès lors que l’on veut parler de nos vies, ça devient politique. Surtout quand nos existences sont menacées. Le simple fait d’être des artistes queers et féminines dans un pays où notre santé est menacée, où le droit à l’avortement recule, c’est déjà être politique."
L'importance du coming out… et de Sam Smith
Non contentes de simplement occuper la scène, elles comptent bien continuer à prendre la parole pour défendre les sujets qui leur tiennent à cœur. "Ce serait suffisant d’être simplement nous-mêmes si on vivait dans un monde où nos identités et nos sexualités sont normalisées, mais ce n’est pas le cas. Nous avons besoin de représentation." Mais elles le savent, le coming out est "une aventure très personnelle", et ce qui a été libérateur pour elles ne le sera pas forcément pour d'autres, qui ne disposent pas forcément de la même sécurité. Mais quand c’est le cas, elles maintiennent que le coming out est nécessaire. "L’argument 'ça ne regarde que moi et personne d’autre, c’est ma vie privée' est très limité quand on pense aux combats qui ont été menés pour que l’on puisse vivre librement, avancent-elles avec fermeté. Quand on a de l’influence, quand nos déclarations et nos actions ont une portée importante, c’est un devoir de l’utiliser pour le bien de sa communauté." Elles ne tardent d'ailleurs pas à citer Sam Smith, dont le courage les a grandement inspirées. "Iel a toujours rencontré un grand succès. En faisant un coming gay puis un autre non-binaire, iel n’a pas hésité à se mouiller alors qu’iel savait que ça allait engendrer une vague de haine, insistent-elles. La plupart des gens n’auraient pas pris ce risque."
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