Abo

magazineAloïse Sauvage, Lala &ce… les lesbiennes mouillent le micro

Par Tessa Lanney le 23/06/2023
Aloïse Sauvage et Mila Furie lors d'une performance à la soirée lesbienne parisienne Wet For Me.

[Article à lire dans le magazine têtu· de l'été, chez vos marchands de journaux] Une nouvelle génération d'artistes lesbiennes a décidé de chanter le sexe comme jamais. À côté d’elles, Lil Nas X passerait même pour un prude ! Focus sur cette vague de chaleur venue du Gouinistan.

"Parler de désir, c’est politique”, amorce Aloïse Sauvage quand je l’interroge sur le tournant très cul que la chanteuse française donne à sa carrière. Alors que je la regarde avaler son plateau de sushis, je ne peux m’empêcher de penser au “sex appeal de la policière me fait mouiller devant derrière”. Ce classique de Sexy Sushi, précurseur, nous a accompagnées dans l’éveil de nos sens lesbiens, lorsqu’on balbutiait encore maladroitement les paroles de Rebeka Warrior : “Elle m’attache avec ses menottes, la policière se déculotte.” Plus tard, complètement assumées, en phase avec nous-mêmes, on a célébré notre sexualité d’un grand “je prends mon pied, je prends mon pied”.

À lire aussi : The Aces exorcisent leur enfance mormone et queer dans un nouvel album plus rock

Aujourd’hui, de nouvelles muses ont nos amours lesbiens plein la bouche : Hoshi refuse “d’effacer tout ce qui [l]’attire”, Pomme promet une vie grandiose aux filles qui prendront son cœur, Angèle voudrait que tu sois sa reine ce soir. Toutes clament le droit d’aimer qui bon leur semble, d’avoir des papillons dans le ventre et des femmes dans la tête, surtout si elles leur brisent le cœur. Mais les rires et les larmes, on connaît, et l’on veut désormais que les popstars nous donnent de la sueur, que les chuchotements deviennent des cris et les promesses d’amour éternel des orgasmes à n’en plus finir.

Une vague de chaleur lesbienne

Suzane s’était pliée à l’exercice avec “Cl(i)t is good”, en 2022, un hommage à la branlette féminine. La main bien en évidence glissée sous les plis d’une culotte de satin, un jean déboutonné à la hâte, dans l’intimité de ses draps ou en équilibre précaire sur une chaise en bois, les femmes qui portent le clip s’explorent sans détour. La chorégraphie des doigts est millimétrée, entrecoupée de soubresauts incontrôlés et de gémissements intempestifs le temps d’un “rêve classé X / non censuré”. Alors oui, une chanson sur l’exploration solitaire, on l’applaudit de la main libre, mais ce qu’on veut surtout, c’est que notre “pussy fa[sse] des jumping jack”, bordel ! Lala &ce nous a convaincues.

“Ramenez toutes vos hoes [« salope »] je vais leur faire goûter le miel.”

Lala &ce

La rappeuse dit les termes : “Girl j’te donne ça bien, j’suis dans pussy jusqu’à la fin” (“Parapluie”), “Ramenez toutes vos hoes [« salope »] je vais leur faire goûter le miel”, “Chérie laisse-toi faire, j’vais faire couler le nectar”, “Elle remue j’y mets la patte” (“Nectar”). Elle en remet une couche dans “Show me love”, avec un clip qui fait mouiller dans les chaumières : du peau à peau, des mains qui se promènent, des plans serrés qui exacerbent la sensualité de ces entrelacs. “Il en est ressorti un truc très hot et sensuel. Je m’imagine toujours ce son en boîte”, déclare celle qui use de sa verve pour nourrir le fantasme : “Comment ton back bounce [« ton cul s’agite »], c’est pas possible.” Ça claque, on aime. Lala &ce nous allume en un tour de main, de façon totalement décomplexée. “Je ne suis pas particulièrement militante, j’essaie juste de normaliser ça, développe-t-elle. J’ai fait accepter mon homosexualité dans ma famille en montrant que c’est une sexualité comme les autres. Je ne force pas le truc quand je dis des paroles explicites.”

“Viens qu’on se colle / J’crois que j’suis folle de toi / J’veux qu’on décolle / Donne-moi ton corps de femme.”

Aloïse Sauvage

Dès ses débuts, Aloïse Sauvage tentait de faire monter la mayonnaise de l’érotisme. Avec “À l’horizontale”, elle parlait alors de cul avec subtilité – certes il n’y a pas besoin d’un diplôme pour comprendre les tenants et les aboutissants : “J’te propose qu’on / À l’horizontale”, “Tremper ses lèvres / Ou tempérer la fièvre”, “Les draps trempés c’est pas que pour la scéno”. Mais pour son nouvel album, Sauvage, la chanteuse ne tortille plus. Loin d’un titre anodin, “Joli Danger” est une prise de position annonciatrice de renouveau, que ce soit dans le clip ou dans ses paroles : “Viens qu’on se colle / J’crois que j’suis folle de toi / J’veux qu’on décolle / Donne-moi ton corps de femme”, “J’veux te sentir trembler / Joli danger”. Son langage imagé – “Buée sur l’pare-brise / J’aime quand tu lâches prise / J’aime quand ta langue se balade” – se met cette fois au service d’un son langoureux dans lequel les histoires d’amour ne se limitent pas à des échanges platoniques voués à l’exaltation de sentiments prudes, comme dans “XXL” : “Salive de l’autre sur le coin des lèvres / Bébé, on va faire simple / Mets tes mains sur mon torse, envahis mes tempes.”

“En activité, la lave coule et brûle les draps.”

Meryl

À force de visibilité, les figures lesbiennes font des petits, et les chansons qui parlent de désirs saphiques se multiplient. Si l’on n’en est pas encore aux odes au cunni à la radio, difficile de passer à côté de la rappeuse martiniquaise Meryl et de son EP Ozoror, sorti en avril. Quoi de mieux pour symboliser l’envie grandissante aux creux de nos reins que le titre “Coca-Cola mentos” ? “En activité, la lave coule et brûle les draps”, belle métaphore pour parler de jouissance féminine dans ce qu’elle a de plus liquide. Si les paroles sont brûlantes, le clip reste soft et repose surtout sur des jeux de regard, avec des clins d’œil aux pensées caliente grâce à une vision infrarouge des corps. On ne joue plus à touche-pipi.

"J’ai des images de toute la nuit et des sensations dans mon corps encore humide.”

Louisadonna

Dans l’hyper-pop de Louisadonna, le contenu est encore plus moite. Après des singles explicitement queers sur son premier album, comme “Elle est taureau” et “Contre-nature”, la jeune femme se lâche avec “Humide”, dans lequel, encore empreinte de l’odeur de son amante, elle nous transporte dans une journée post-sexe pleine d’images fantasmagoriques. La chanteuse dit les choses comme elle l’entend, de façon brute et sans détour : “J’ai des images de toute la nuit et des sensations dans mon corps encore humide”, “elle oscille entre mes doigts”. Louisadonna s’octroie volontiers le droit de jouer avec les interdits, de les contourner, notamment dans le clip d’“Humide”, où elle apparaît les jambes écartées avec un coquillage entre les cuisses, pour remettre au centre du propos cette vulve que tu n’as pas le droit de montrer.

Fièvre Sauvage à la Wet For Me

Les actes parlent plus que les mots, aussi crus soient-ils. Aloïse Sauvage l’a prouvé à l’occasion des 15 ans de la Wet For Me, incontournable soirée lesbienne parisienne. Il est alors 2h du matin, et les oreilles du public presque intégralement féminin sont transies par la techno et l’électro. Les premiers hauts se sont déjà envolés, les paillettes sur les yeux maculent d’autres visages, et les pelles se roulent dans tous les sens. Ce soir-là, la chanteuse monte sur la scène de la Machine du Moulin rouge pour interpréter “Joli Danger” aux côtés des danseuses Mila Furie, Xiomara Virdó et Michelle Tshibola. Aloïse et ses abdos saillants, Mila et son boule qui chamboule, rien n’était prémédité et pourtant, une alchimie se crée. Tous les regards sont braqués sur elles. À plat ventre, la danseuse se déhanche alors que la chanteuse à califourchon sur elle fait des va-et-vient. Le public tombe en extase devant le spectacle, en pleine fièvre Sauvage, on hurle des “baise-moi !”, et les cris cassent – littéralement – le limiteur de décibel. Le bruit et la fureur.

Aloïse Sauvage,lesbiennes,chanteuses,génération,Wet For Me,Sauvage,lesbienne,pomme,suzanne,chanteuse lesbienne,musique
Crédit photo : Studio Louche

Un homme aux mille conquêtes ne fera qu’accroître sa virilité et son prestige. Une femme ? c’est une pute. Un plaisantin qui montre ses fesses en publicsera applaudi. Une femme qui exhibe son glorieux fiak ? Une pute. N’est pas travailleuse du sexe qui veut, chacun son métier. Si tu as des choses à dire, rallonge d’abord ta jupe de quelques centimètres. Cache ce décolleté si tu veux être écoutée. Femmes, nous vous réservons les bons sentiments. Contez fleurette dans des comptines si ça vous chante – que ce soit à vos amantes ou à vos amants. Le cul, le vrai, celui qui suinte, qui colle, qui se termine en râles ne convient pas à la délicatesse de votre tempérament. L’apanage du sexe est celui des puissants. Contrôler son corps et ce qui lui fait du bien, c’est trouver une forme d’indépendance qui ne vous sied guère au teint.

C’est si facile d’accuser les femmes de vulgarité, déplore Louisadonna. À l’inverse, à l’école, les garçons dessinent des bites dans tous les coins alors qu’on ne connaît pas encore l’existence de notre clitoris. Mais représenter une chatte, ce serait trash.” Alors la chanteuse fait jaillir du lait entre deux rochers et couler du miel sur des cuisses. Mais elle ne s’arrête pas aux analogies et montre les corps qui se caressent, se frottent langoureusement, ainsi que les baisers qui se perdent dans le cou. Le tout en bord de mer. “Je veux juste avoir le droit de dire que je ken des mecs et des meufs au même titre qu’un artiste masculin, résume-t-elle. Je prends de la place et je m’octroie la liberté de parler comme je l’entends. Notre vécu est cru, et pourtant on nous interdit ce langage. C’est une manière de nous bâillonner, de nous empêcher de parler de nos propres corps.”

“Mais dans la rue y’a des porcs / Elle pense à ça quand elle sort / Avec moi t’es safe /On est si bien dans l’espace.”

Lala &ce

Et lorsque ce ne sont pas nos pairs qui nous font taire, l’autocensure s’en charge. Parler de sexe, quand on a reçu une éducation féminine, n’est-ce pas prendre le risque de perdre toute crédibilité ? Contourner les attentes, ou bien s’en foutre… les artistes sont libres de placer le curseur où bon leur semble. Être lesbienne est loin d’être un fardeau. Se construire hors des carcans hétéronomés peut même être une bénédiction. Sans parler de la joie indicible de désirer et d’être désirée par une femme. Rien de plus logique que de vouloir hurler ce bonheur, en particulier dans sa musique. Peut-être la parole se libère-t-elle à mesure que nos réflexions sur notre identité se précisent. Peut-être la remise en question de notre approche du genre a-t-elle un rôle à jouer. Peut-être tout simplement que les revendications et l’amour se conjuguent mieux dans l’exaltation de la passion. “Mais dans la rue y’a des porcs / Elle pense à ça quand elle sort / Avec moi t’es safe /On est si bien dans l’espace”, nous dit Lala &ce. Velléités militantes ou ras-le-bol des ciseaux de la censure, les faits sont là, les artistes lesbiennes ont chaud et ne se contenteront pas d’être une soupape.

À lire aussi : Jehnny Beth : "Je ne savais pas que j'étais perçue comme une icône lesbienne"

Photographie : Studio Louche