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États-Unis"RuPaul’s Drag Race All Stars", une saison 8 en mode mineur

Par Marion Olité le 27/06/2023
"Rupaul's Drag Race All Stars"

Tandis que la saison 2 de Drag Race France arrive cet été, la huitième de RuPaul’s Drag Race All Stars bat son plein aux États-Unis, mais ne fait pas l’unanimité. La formule atteindrait-elle ses limites ? 

Lancée en 2009, l’émission RuPaul’s Drag Race a muté en une franchise tentaculaire, comprenant une dizaine d’adaptations internationales sur quatre continents (Royaume-Uni, Espagne, France, Thaïlande, Brésil, Canada, Australie…) et des spin-offs tels que Secret Celebrity Drag Race, UK vs The World ou Drag Race All Stars, le plus populaire de ces émission dérivées. Diffusée à partir de 2012, cette dernière réunit la crème de la crème des drag queens des précédentes saisons. Des compétitrices hors-normes, passionnées par leur art et qui savent jouer avec les codes de la télé-réalité. Aucun fan n’a oublié les victoires d’Alaska (All Stars s2), Trixie Mattel (All Stars s3) ou Shea Couleé (All Stars s5). L’excellence drag a culminé en 2022 avec une saison 7 iconique, composée de huit queens ayant déjà remporté une saison de Drag Race. Au terme de ces Jeux olympiques du drag, Jinkx Monsoon a été couronnée "Queen of all Queens". 

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Un an plus tard, la formule All Stars montre quelques signes de fatigue avec une saison 8 en demi-teinte. À l’inverse de la saison précédente, la production a recruté cette année des queens souvent éliminées tôt dans leurs saisons respectives (Mrs Kasha Davis, Naysha Lopez, Jaymes Mansfield, Kahanna Montrese…). Un choix louable, mais compliqué à marier avec l’excellence attendue dans un All Stars. On note une inévitable baisse de niveau, en particulier dans les défilés, qui souffrent de la comparaison avec la saison 7. 

Challenges poussifs

Diffusée sur la plateforme Wow (Netflix propose aussi quelques anciennes saisons), RuPaul’s Drag Race All Stars reprend les ingrédients de la série mère : des challenges, des éliminations, des rebondissements et une couronne. À la différence près que les queens doivent s’éliminer entre elles, ce qui ne manque pas de créer des tensions. En saison 7, pour davantage de bienveillance, la mécanique du jeu avait changé et les queens ne votaient plus les unes contre les autres, mais la saison 8 a remis en place les règles d’antan… et les dramas qui vont avec ! Et si certains challenges cultes, comme le "Rusical" ou le "Snatch Game", restent indispensables tant ils font partie de l’ADN de Drag Race, les autres défis proposés lors de cette saison (le "Supermarket Ball", une parodie de série policière…) manquent cruellement d’originalité. 

La seule nouveauté de taille dans ce All Stars 8 a été créée pour booster les audiences de l’émission sur les réseaux sociaux. Il s’agit des "Fame Games", une compétition dans la compétition durant laquelle les queens éliminées dévoilent chaque semaine les tenues qu’elles prévoyaient de porter dans les épisodes suivants. Ce prix de consolation – 50.000 dollars à la clé pour celle qui sera élue "Queen of the Fame Games" – donne l’impression que tout doit être exploité jusqu’à la moelle. Ces "Fame Games" confèrent également du pouvoir aux fans de Drag Race, dont une partie peut se montrer extrêmement toxique envers certaines queens, allant jusqu’au harcèlement en ligne.   

Des queens en burn-out

Le montage manipulateur de RuPaul’s Drag Race, critiqué plus d’une fois, fait encore des siennes cette saison. Les queens s’épuisent dans des dramas montés en épingle, au lieu de se concentrer sur la qualité de leur drag et de créer une émulation de groupe positive. Psychologiquement à bout, Heidi N Closet, l’une des queens favorites de la saison, a ainsi quitté le programme dans l’épisode 4. Rebelote trois épisodes plus tard : cette fois, c’est Kahanna Montrese qui menace de prendre ses cliques et ses claques. Face à cette saison chaotique, Mama Ru remotive les troupes, persuade la drag queen de rester dans la compétition… pour mieux la virer à la fin du même épisode ! Que deux candidates soient prêtes à jeter l’éponge en une seule saison en dit long sur la pression qu’elles subissent.   

La saison souffre également d’un manque de variété dans le classement des queens. Kahanna ne méritait pas de figurer quatre fois en "bottom", quand les victoires successives de Jimbo ont mené à trois lip-sync où l’on a baillé très fort, la queen canadienne ne sachant tout simplement pas en faire. Dans une saison qui manque de sororité et de mentors bienveillant, personne ne pense à  aider Jimbo, ce qui aurait pu donner un montage "flashdance" assez fun. Sur les réseaux sociaux, les fans affichent leur perplexité devant cette saison 8, qui semble avoir perdu l’équilibre entre télé-réalité et célébration de l’art du drag

L’empire Drag Race essoufflé ?

La vache à lait Drag Race serait-elle à court de mamelles à presser, comme le dessine avec humour Lady Bunny sur Instagram ? La drag queen, amie de RuPaul et régulièrement référencée dans l’émission, a fait savoir qu’elle n’était pas faite pour ce format car elle ne voyait pas le monde du drag comme une compétition géante. 

Alors, comment redorer le blason de Rupaul’s Drag Race All Stars ? La production pourrait revenir aux sources en recalibrant le programme comme un écrin plus rare, diffusé tous les trois ou quatre ans. Cela permettrait à la production de choisir ses candidates avec soin, tout comme ses challenges et ses idées de défilés. All Stars vise l’excellence, l’émission a donc besoin de qualité davantage que de quantité. 

Si un dépoussiérage s’impose sur ce format, l’empire Drag Race se porte en vérité plutôt bien. Les franchises internationales lancées ces dernières années ont permis de redonner de la fraîcheur à une compétition américaine très formatée. Ce grand control freak de RuPaul a dû céder sa place d’animateur. Cela donne des émissions aux styles plus variés qui font briller les drag queens, comme Drag Race France, animée par la sublime et bienveillante Nicky Doll, ou Drag Race Espagne, menée par la truculente Supremme de Luxe. Le 22 juin, Valentina et Lolita Banana (révélée par Drag Race France) ont inauguré Drag Race Mexico

Chaque pays possédant sa propre culture drag, ses références de pop culture, ses spécificités régionales, c’est un bonheur de les découvrir. Ainsi, en France, les queens de la saison 1 nous ont fait rire avec leur gouaille typiquement frenchy et nous ont impressionnées par leurs superbes looks, parfois plus marquants que ceux d’All Stars 8, avec un budget pourtant bien moindre… Drag Race reste un formidable vivier de talents, une vitrine incroyable pour l’art du drag et pour mettre en avant les problématiques de la communauté LGBTQI+. Ses versions internationales permettent de revenir aux sources d’une pratique qui repose sur le fait-main et la créativité queer. 

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Crédit photo : RuPaul's Drag Race All Stars