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lobby réacIntégristes cathos et musulmans s'allient contre l'éducation sexuelle en Belgique

Par Nicolas Scheffer le 19/09/2023
Manifestation contre le programme Evras en Belgique

Plusieurs écoles de Wallonie (Belgique francophone) ont été la cible d'incendies criminels sur fond d'une offensive commune d'associations islamiques et des catholiques intégristes de Civitas contre un programme d'éducation sexuelle à l'école, baptisé "Evras".

"Touchez pas à nos enfants !" Le slogan favori du lobby réac pour agiter les peurs parentales a résonné ce dimanche 17 septembre dans le centre de Bruxelles, où environ 1.500 personnes ont manifesté contre un programme pédagogique d'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (dit "Evras") porté par le gouvernement de la Wallonie (Belgique francophone). Une protestation organisée par une certaine Radya Oulebsir, militante musulmane, et à laquelle s'est joint Alain Escada, président de l'association catholique intégriste Civitas.

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La polémique contre le programme Evras a versé dans la violence puisqu'au moins six écoles de la région ont été ciblées ces dernières semaines par des incendies volontaires. Mercredi dernier, la justice belge a ainsi ouvert une enquête pour "incendies criminels" après des départs de feu constatés dans la nuit dans quatre écoles de Charleroi, de niveau maternel et primaire, sur les murs desquelles ont été découvertes des inscriptions hostiles comme "No Evras, sinon les prochains, c’est vous", ainsi que l'ont montré des images tournées par la télévision belge. "Des actes barbares suite à des campagnes de désinformation", a pointé sur X (Twitter) le bourgmestre de la ville, Paul Magnette. "Ces incendies sont des actes terroristes inadmissibles", a dénoncé lors d'une visite dans l'un des établissements visés la ministre francophone de l'Éducation, Caroline Désir (Parti socialiste), citée par Le Monde.

Campagne de désinformation

Evras n'est pourtant pas nouveau. Cet enseignement de la vie affective et sexuelle est obligatoire depuis 2012 mais il n'était pas systématiquement assuré faute de moyens. Cette année, les autorités de Wallonie ont donc adopté des mesures pour la généralisation effective du programme pour les élèves du sixième niveau de primaire (11-12 ans) et ceux du quatrième niveau de secondaire (15-16 ans), à raison de deux séances de deux heures. La démarche "vise à apporter une information fiable, impartiale et exhaustive et à participer au développement de l’esprit critique afin d’aider les jeunes à construire leur identité, assurer leur bien-être et à prendre des décisions éclairées", développe le site internet créé pour informer les parents, expliquant qu'il s'agit d'aborder avec les élèves les émotions, les relations affectives, les changements du corps, les sexualités et le consentement, l'orientation sexuelle et l'identité de genre, la pornographie…

Suffisant pour que les opposants au programme parlent d'incitation à la pornographie voire "d'un guide satanique utile aux pédophiles", comme le rapporte Le Monde, au sujet du guide indicatif de 300 pages destiné aux enseignants. Six associations islamiques, turques en majorité, ont publié une lettre ouverte en faveur de la liberté des parents à "guider l'éducation des enfants conformément à leurs croyances". Obligeant la ministre de l’Éducation, qui pointe "une campagne de désinformation" destinée à "attiser la suspicion" et à "faire peur aux parents", à une mise au point sur la RTBF. "On ne va évidemment pas encourager une hypersexualisation chez les jeunes, ni susciter une orientation sexuelle ou une identité de genre", mais simplement "rassurer les élèves sur des questions qu'ils se posent à la puberté" et les "protéger de situations potentiellement dangereuses ou problématiques", a insisté la ministre, citant "sexisme, violences sexuelles, stéréotypes de genres". Radya Oulebsir n'a pas désarmé pour autant, s'en prenant pêle-mêle lors de la manifestation à Bruxelles à "la culture de mort" de l'IVG, au "lobby LGBT" qui a acquis "des droits qui n’ont ni queue ni tête", qualifiant les personnes transgenres "d'anormales", le tout au nom de la "famille traditionnelle ancestrale", énumère Le Soir.

Radya Oulebsir, Civitas…

Une rhétorique réactionnaire et complotiste qui rappelle furieusement celle de Farida Belghoul qui, en 2014, avait orchestré en France l'opposition aux "ABCD de l'égalité", programme scolaire de lutte contre les stéréotypes de genre, provoquant leur abandon par le gouvernement de l'époque. Par une chaîne de SMS, cette dernière enjoignait aux parents d'élèves de retirer leur enfant de l'école pour s'opposer à la "théorie du genre" et même à l'apprentissage de la masturbation à l'école. Comme aujourd'hui, le mouvement de "Journée de retrait de l'école" (JRE) était soutenu par Alain Escada, le président de Civitas. Sur Telegram, celui-ci s'est félicité dimanche en ces termes : "J'ai pris la parole à la manifestation organisée à Bruxelles contre Evras, programme d'éducation sexuelle mis en place en Belgique francophone. J'ai rappelé que c'était l'application d'un plan mondial promu par l'OMS pour installer un nouvel Ordre Mondial Sexuel (sic) pervertissant les enfants".

En France, Civitas fait l'objet d'une procédure de dissolution engagée cet été par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, après que des propos antisémites ont été tenus lors des universités d'été du mouvement. De son côté, Radya Oulebsir s'affiche comme un soutien de l'imam frériste Hassan Iquioussen, expulsé cet été par la France (puis par la Belgique) pour des propos jugés "contraires aux valeurs de la République". Le Conseil d’Etat égrène notamment des "propos antisémites tenus depuis plusieurs années, lors de nombreuses conférences largement diffusées, ainsi que son discours sur l’infériorité de la femme et sa soumission à l’homme constituent des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination ou à la haine justifiant la décision d’expulsion". Pas de quoi refroidir l'ancienne ministre Christine Boutin, fervente opposante au mariage pour tous et qui relaie aujourd'hui la mobilisation contre Evras. En Belgique comme en France, la convergence réactionnaire catho-islamique est en marche.

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Crédit photo : Eric Lalmand / Belga / AFP