"En deux heures, on arrive à faire évoluer les perceptions." Un rapport de l’OCDE démontre l’impact positif des interventions en milieu scolaire (IMS) menées par SOS homophobie pour lutter contre les LGBTphobies. Une étude salutaire, à l'heure où le lobby réactionnaire remet en cause l'existence même de ces séances, par ailleurs trop souvent zappées par les établissements scolaires.
Si leur nécessité ne saurait être remise en question, les interventions en milieu scolaire (IMS) pour lutter contre les LGBTphobies n’avaient encore jamais été évaluées en termes d’impact sur les élèves. C’est désormais chose faite, puisque l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a dévoilé ce mercredi 14 juin la synthèse d’une expérimentation menée sur les IMS réalisées depuis près de 20 ans par l’association SOS homophobie. Entre 2018 et 2022, l’OCDE a mené cette évaluation, la première du genre, auprès de plus de 10.000 élèves issus de 510 classes de collèges et lycées de région parisienne. Les résultats sont sans appel.
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L’étude compare la perception par les élèves des personnes LGBT et du harcèlement LGBTphobe avant et après avoir assisté à une séance avec les bénévoles de SOS homophobie. "Nous avons adopté une démarche scientifique, explique Marie-Anne Valfort, en charge des travaux que l’OCDE mène sur l’inclusion LGBTI+. On a procédé à une évaluation d’impact avec un groupe de contrôle pour mesurer les perceptions des élèves avant qu’ils bénéficient d’une IMS, et un groupe de traitement où les élèves répondaient à un questionnaire sur leurs perceptions des personnes LGBT après l’intervention."
Des préjugés battus en brèche
Avant intervention, c’est systématiquement chez les filles que l’acceptation à l’égard des personnes LGBT est plus forte, ainsi que dans les établissements plus favorisés. "La différence genrée n’est pas forcément très étonnante, développe Marie-Anne Valfort. L’inclusion des personnes LGBT implique une remise en cause des normes de genre traditionnelles, remise en cause à laquelle les principaux bénéficiaires de ces normes, à savoir les garçons, les hommes cisgenres, sont moins enclins à adhérer." Un rappel aussi du "double bénéfice" de la lutte contre le harcèlement LGBTphobe à l’école, qui dans le même temps participe à la lutte contre le sexisme. "Concernant la corrélation positive entre origine sociale et inclusion LGBT, c’est aussi très cohérent avec d’autres études qui montraient déjà le lien entre le niveau d’éducation et l’ouverture à des politiques visant l’égalité", complète l’économiste.
La conclusion du rapport bat en brèche "deux idées répandues" : d’abord celle qui voudrait que ces interventions seraient "trop courtes pour avoir un quelconque impact" contre les LGBTphobies. "En deux heures, et de façon assez étonnante, on arrive à faire bouger les lignes, souligne Marie-Anne Valfort. Beaucoup de gens, à commencer par nous, ne s’y attendaient pas. On a mesuré chez les élèves une évolution un mois après, et chez certains élèves cet impact persiste trois mois après. Ce sont des interventions qui les marquent. Évidemment, il faut que les enseignants prennent le relais, que d’autres actions de prévention aient lieu de façon répétée. Mais en deux heures, on arrive à faire évoluer les perceptions, et c’est un énorme résultat."
Généraliser les actions de prévention
Autre préjugé sur les IMS réfuté par les résultats de l’étude : l’expression de propos homophobes ou transphobes par des élèves pendant les séances rendrait celles-ci "contreproductives". Comme Marie-Anne Valfort le rappelle, les IMS sont justement un espace pour exprimer ces préjugés et ainsi en venir à les questionner. Et même lorsque des élèves manifestent ouvertement de l’hostilité ou du rejet à l’égard des personnes LGBT, cela n’est pas suffisant pour rendre une IMS contreproductive. "Des dynamiques de groupe positives peuvent aussi émerger, plutôt observées dans les lycées favorisés ou dans les filières générales, reprend Marie-Anne Valfort. Les discussions qui s’y déroulent révèlent un niveau de bienveillance à l’égard des personnes LGBT plus élevé que ce que les élèves anticipaient. Cela renforce l’impact positif de l’intervention, car on sait que les jeunes sont très enclins à adhérer aux normes de groupe. Dans les lycées défavorisés, et dans les filières professionnelles et technologiques, on peut observer un processus inverse, les discussions pendant l’IMS vont révéler aux élèves une norme de classe plus négative qu’attendu. Cela affaiblit l’impact positif de l’intervention mais ça ne le domine pas."
À l’heure où des établissements scolaires renoncent parfois à maintenir des ateliers sur l’égalité ou des projections de films LGBT, notamment sous la pression de groupuscules d’extrême droite, rappeler et prouver l’efficacité des IMS tombe à point nommé. Marie-Anne Valfort espère que les résultats produits par l’OCDE auront un effet incitatif pour les collèges et les lycées qui veulent engager des actions concrètes contre le harcèlement LGBTphobe. Elle pointe néanmoins "la capacité d’intervention limitée" des associations : "Nous pensons qu’il faut aller plus loin concernant l’implication des résultats en termes de politique publique. Il faut renforcer les formations du personnel enseignant autour de ces questions. On espère que ce rapport pourra nourrir une réflexion de fond sur la façon de généraliser les actions de prévention au collège et au lycée pour mieux lutter contre le harcèlement anti LGBT."
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