Abo

politiqueDissolution annoncée de Civitas : Darmanin n'avait-il pas vu la haine anti-LGBT ?

Par Nicolas Scheffer le 09/08/2023
Civitas, lors d'une manifestation le 4 avril 2013 contre le mariage pour tous

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé vouloir engager la dissolution du mouvement catholique intégriste Civitas pour des propos antisémites tenus lors de ses universités d'été en Mayenne. Depuis dix ans, cette association politique d'extrême droite attisait déjà la haine contre les personnes LGBTQI+.

"National-catholicisme", ainsi peut être résumée la ligne politique de Civitas, association d'hurluberlus d'extrême droite fondée en 1999, pétainiste, et qui se veut depuis 2016 un parti politique. Ce lundi 7 août, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé sur X (Twitter) sa volonté "d’instruire la dissolution de Civitas" après que des propos antisémites ont été tenus lors des universités d'été du mouvement, organisées du 29 au 31 juillet en Mayenne.

À lire aussi : Marion Maréchal et Natacha Polony : bal tragique de panique transphobe

La déclaration en question, filmée, émane de l'auteur Pierre Hillard, compagnon de route de Civitas, qui dit regretter l'époque d'avant 1791, date à laquelle les juifs de France ont reçu la nationalité française. Son raisonnement est le suivant : "La naturalisation des juifs ouvre la porte à l'immigration. À partir du moment où vous donnez la nationalité aux juifs, vous ne pouvez pas la refuser aux boudhistes, aux musulmans, etc". Des propos relevant à la fois de l'antisémitisme et de la xénophobie, que le ministre de l'Intérieur a qualifiés "d'ignominieux", annonçant la saisine du procureur et l'engagement du processus de dissolution. Pas trop tôt ! Depuis sa résurgence sur la scène politique il y a une dizaine d'années, Civitas attise également sans vergogne la haine contre les personnes LGBTQI+.

Civitas contre la loi Taubira

En 2012-2013, cette "oeuvre de reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France" a ainsi été, sans surprise, aux avant-postes de la lutte contre la loi Taubira ouvrant le mariage aux couples homosexuels, laquelle fut l'occasion d'un déferlement de propos ouvertement homophobes. Civitas affrétait alors des bus de toute la France pour que les rues de Paris résonnent du cri de "Oui à la famille, non à l'homofolie". Alain Escada, président de l'association qui revendique alors 100.000 sympathisants, déclare que l'homosexualité est "un mauvais penchant qui nécessite d'être corrigé" et qu'"une personne qui a de tels penchants devrait être abstinente" – la doctrine de l'Église catholique. Et de développer dans la presse :"Le mariage homosexuel, c'est la boîte de Pandore qui va permettre que d'autres revendiquent le mariage polygame ou le mariage incestueux".

Les manifestations de Civitas accueillent par ailleurs les Jeunesses nationalistes qui scandent les pires slogans homophobes : "Non aux pédés, la famille c'est sacré", "la France a besoin d'enfants, pas d'homosexuels"… Tandis que le projet de loi est débattu à l'Assemblée nationale, Civitas organise encore des prières de rue devant le palais Bourbon. L'une des trois figures majeures du groupuscule, l'abbé Xavier Beauvais, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet dans le Ve arrondissement de Paris où l'on célèbre la messe en latin, a en outre été condamné en appel en 2016 pour injure raciale après avoir déclaré en 2013 : "Y a bon Banania, y a pas bon Taubira".

Civitas contre Bilal Hassani et le "lobby LGBT"

Reboosté par la campagne présidentielle d'Éric Zemmour, le lobby réac reprend dix ans plus tard du poil de la bête, avec Civitas aux premières loges. En avril dernier, alors que Bilal Hassani doit se produire à Metz dans une salle de concert qui fut une église il y a 500 ans, le mouvement appelle à dénoncer la "profanation de nos églises". Devant les menaces, et de crainte que l'extrême droite s'en prenne au public, le concert est annulé. Sur Telegram, Civitas s'en félicite en ces termes : "Le travesti marocain (sic) Bilal Hassani annule son concert dans l'église Saint-Pierre-aux-Nonnains à Metz sous la pression de groupes catholiques dont Civitas. Preuve que la mobilisation des catholiques paye !".

Autre cheval de bataille : empêcher de dire aux enfants qu'ils peuvent être qui ils souhaitent. Et les exemples de manquent pas. Dans plusieurs villes de France, Civitas s'est activé pour faire interdire des lectures de contes pour enfants par des drag queens. "Il existe encore dans les lois de notre pays la notion de 'bonnes mœurs', même si elle est souvent mise à mal par des initiatives outrées et outrageantes", justifie Franck Bouscau, responsable du mouvement en Île-de-France, dans une lettre à la mairie du 13e arrondissement de Paris.

En mars dernier, des établissements scolaires de Loire-Atlantique prévoient de proposer à une trentaine de classes d'aller voir un spectacle musical intitulé "Fille ou garçon ?", une représentation validée par le ministère de l'Éducation nationale, portant de manière sensible sur l'homoparentalité, les inégalités de genre et l'identité de genre. Civitas s'insurge alors contre ce qui est décrit une "propagande grossière des théories subversives et déconstructrices de la famille naturelle et traditionnelle", rapporte Le Figaro. Évidemment, on pouffe quand on lit qu'il s'agit de l'œuvre de "lobbies" qui veulent exercer "un nouveau totalitarisme sur la société française".

À lire aussi : "Lobby LGBT" : les ressorts de cette arnaque inventée par l'extrême droite

En juin dernier pour le mois des Fiertés, reprenant une vidéo de l'artiste Ian Padgham qui avait ajouté à l'ordinateur des arcs-en-ciel à l'arc de Triomphe, la chaîne Telegram de Civitas dénonce "la propagande LGBT, ad nauseam...". Même le Rassemblement national, allié objectif du mouvement mais qui ne cache plus ses élus gays, fait les frais de cette homophobie tous azimuts, comme sur Telegram en septembre 2017 : "Le lobby LGBT s’est emparé de nombreux leviers de commande au sein du FN et se renforce par cooptation". Dans le même message, le groupuscule affiche un programme politique clair : "Il est temps d’admettre avec lucidité que notre camp ne parviendra pas à conquérir les commandes de l’Etat par des élections"… Mais il aura donc fallu attendre 2023 pour que Gérald Darmanin réalise à qui il a affaire avec Civitas. Entretemps, le ministre a rejoint les rangs des repentis de la Manif pour tous. L'enquête de ses services dénoncera-t-elle enfin, au même titre que les propos antisémites du mouvement, ses multiples positions homophobes ?

À lire aussi : Contre "la propagande LGBT", le RN organise le lobby réac au Parlement

À lire aussi : De Poutine à l'extrême droite française : le vrai lobby LGBTphobe

Crédit photo : Kenzo TRIBOUILLARD / AFP