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pornoUn rapport du Haut conseil à l'égalité dézingue le porno sans rien comprendre à la sexualité gay

Par Vincent Daniel le 27/09/2023
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Intitulé "Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique", ce document de plus de 200 pages se plante lourdement sur nos sexualités.

La libération sexuelle de 1968 n'a plus qu'à se rhabiller. Dans le cadre du projet de loi pour "sécuriser et réguler l'espace numérique", le Haut conseil à l'égalité (HCE), lieu de réflexion pour évaluer les textes en préparation, a rendu ce mercredi à Bérangère Couillard, la ministre de l'Égalité, un rapport concernant l'industrie du porno. Aussi, derrière l'objectif évidemment louable de lutter contre les violences faites aux femmes, ce texte remet la sexualité gay dans le placard.

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Ainsi, à la page 34 de ce rapport qui en contient 250, un chapitre est consacré à la pornographie LGBTQI+. Quand bien même ils sont consentis, les jeux de rôles, les bukkake ou le fist sont renvoyés à des "soubassements misogynes" qui alimenteraient un culte de la domination. On est affligés à la lecture des lignes décrivant la relation actif-passif chez les hommes. Un niveau rare d'ignorance et de stigmatisation de nos sexualités. "Même lorsqu’elles s’adressent à des hommes homosexuels, la pornographie reproduit un script dominant (viril) versus dominé (efféminé). À titre d’exemple, les Twinkies (jeunes hommes en général imberbes), souvent 'bottom' (passifs), sont d’emblée assimilés au féminin. Ils subissent à ce titre des multiples pénétrations brutales en étant qualifiés de 'salopes à jus', dont la seule raison de vivre est de donner du plaisir à des mâles stéroïdés", est-il écrit. Visiblement, le HCE n'a pas visionné de vidéos mettant en scène des power bottoms…

Un pan de notre culture LGBTQI+

Le même schéma se reproduit sur nos chers daddy. Le rapport se plante allègrement, prenant au premier degré les titres des vidéos : "Le 'porno gay' n’est, comme dans la pornographie qui cible un public hétérosexuel, pas exempt non plus de représentations d’inceste ('beau-papa suce la grosse bite de son fiston', 'sandwich à papa' sont des titres largement disponibles) ou de violences sexuelles commises contre des enfants."

Cofondateur de têtu· et auteur de I Love Porn, publié en 2021 Didier Lestrade rappelait à juste titre : "Bien sûr, il existe des relations de pouvoir très fortes dans la sexualité gay, mais il n’y a pas cet aspect aliénant qui existe dans le porno hétéro, et qui n’est pas sans répercussions aux niveaux psychologique et sexuel." N'en déplaise au HCE, le porno fait partie intégrante de notre culture LGBTQI+. D'ailleurs, la pornographie, qui a une place dans nos désirs et nos fantasmes, a également su s'inscrire dans nos vies, et notre histoire. "À partir du début des années 1980, le porno a répondu au moment de panique qui traversait la communauté gay durant la crise du VIH, laquelle a tout de même duré très longtemps, rappelle Didier Lestrade. Maintenant que le sida est beaucoup moins inquiétant, notamment depuis les trithérapies, et surtout la PrEP, les jeunes ne peuvent imaginer à quel point le porno a été un dérivatif pour nous."

"Qui fait l'homme, qui fait la femme…"

Aujourd'hui, le porno peut non seulement aider un adolescent en quête d'identification, mais aussi être un outil de lutte contre l'insivibilisation, un endroit où l'on existe et apprend à composer avec nos désirs. Et le journaliste d'expliquer que le porno constitue aussi un compagnon de route utile face à l'isolement. "Moi, ça fait vingt ans que je suis parti à la campagne, où je savais que les relations seraient moins nombreuses. Ça, je l’ai accepté dès le départ. Mais si je n’avais pas eu le porno durant ces années de solitude, j’aurais craqué." Dans son livre, Lestrade écrit : “J’ai tout de suite compris que le porno participerait à l’évolution des droits des homosexuels." Il documente un "porno éthique""transformatif", fidèle à nos modes de vie et de baise. Un art au même titre que le cinéma ou la musique qui participe à notre émancipation.

"Le X est le prolongement du militantisme et montre par le sexe ce que les activistes demandent avec des pancartes. Les slogans exigent le droit de s’aimer et de baiser comme on veut ; le porno le met en image."

Didier Lestrade, dans son livre I love porn

Et l'avis des principaux concernés dans tout ça ? Il est tout simplement inexistant dans ce rapport. Travailleur du sexe, porte-parole de leur syndicat, le Strass, Thierry Schaffauser s'en indigne sur X (ex-Twitter) : "Comment pouvez vous dire que les passifs sont 'assimilés au féminin' ? Ca vaut pas mieux que 'qui fait l'homme, qui fait la femme'… Votre rapport est juste homophobe !" Enfin du côté de la recherche, les scientifiques Florian Vörös et Béatrice Damian-Gaillard achèvent le HCE dans un post publié sur la plateforme de blogs de Mediapart : "Les luttes contre l’exploitation patriarcale et capitaliste, contre les violences sexistes et sexuelles, pour des représentations médiatiques des corps plus diversifiées et pour une meilleure éducation à la sexualité seront d’autant plus émancipatrices qu’elles cesseront de traiter 'la pornographie' comme un bouc-émissaire." N'en jetez plus.

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Crédit photo : Shutterstock