[Article à retrouver dans le têtu· de l'automne disponible en kiosques, ou sur abonnement.] Dis-moi quel est ton signe et je te dirai si on est compatibles. L’astrologie est devenue un élément important de la culture et de la sociabilité lesbiennes, jusque dans les rendez-vous amoureux.
“Si j’ai le choix entre une Verseau ou une Gémeaux, je choisis la Verseau direct, y’a pas à hésiter”, s’amuse Florane, 23 ans, Vierge ascendant Balance. Eh oui, les Gémeaux, ces traîtresses girouettes à deux visages, sont les pestiférées du marché de la charte astrale. “En vrai, le signe astro, c’est la première question qu’on pose en rancard, poursuit-elle. Et après on a un long débat sur ceux de nos ex.” La Bélier serait impulsive avec des accès de colère, la Capricorne voudrait tout contrôler, quant à la Cancer, elle serait casanière et près de ses sous (soit les portraits respectifs de mon ex, de ma mère et de mon meilleur pote).
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Vous pensiez probablement que l’attrait pour l’astrologie avait disparu avec le siècle dernier, mais force est de constater que cette pratique connaît un regain de popularité. À l’époque, on lisait déjà avec un plaisir et un sérieux coupables les horoscopes pourtant simplistes des journaux. Perso, lorsque j’étais en école de journalisme, je vérifiais celui de ma crush – Sagittaire – avant les soirées étudiantes pour évaluer mes chances. Après les années 1990, l’âge d’or de la prédiction avec des figures comme Madame Soleil ou encore Élizabeth Teissier, l’astrologie a été jugée has-been et réservée aux ménagères un peu crédules. Mais ça, c’était avant que les queers s’en emparent, et plus particulièrement les lesbiennes. Ainsi, les mèmes du compte Instagram Astrologouine sont suivis par 25 000 personnes. On y trouve des blagues à base de Mercure rétrograde, de Taureaux gourmandes et de Poissons pleurant six fois par jour. Abusé ? Une fois, alors que mon rendez-vous Tinder paraissait super timide, j’ai tenté de briser la glace en lui demandant son signe. “Poisson. – Ah ouais ? Bah du coup, t’as pleuré combien de fois ce week-end ?” ai-je répliqué. Elle a rigolé, répondu “six”… avant de fondre en larmes.
Mais plus généralement, les références astrologiques ont pris la même place sur les réseaux sociaux lesbiens que les coupe-ongles sur nos tables de nuit. Combien sommes-nous à partager notre charte astrale avec nos crush, voire nos collègues sur des applis comme Horos ou Co-star ? Avant chaque rencontre, Lisa, 23 ans, demande ainsi à son entourage d’analyser la compatibilité de son signe avec celui de son date : on n’est jamais trop prudente.
Ce papier est écrit par une Balance
Pour faire simple, l’astrologie étudie l’influence des planètes sur une personne, en fonction de leur position au moment de sa naissance. Par exemple : votre élue est née le 15 octobre, félicitations, elle est Balance – sûrement le meilleur signe, c’est une Balance qui vous le dit. Vous pouvez donc vous attendre à voir sourdre chez elle une séductrice invétérée qui a peut-être un peu de mal à prendre des décisions. Mais attention, tout ne repose pas uniquement sur le signe solaire. Car si votre Balance est née aux alentours de 3 h 20 à Lens, dans le Pas-de-Calais, elle est non seulement ascendante Lion, mais sa Lune l’est également. Elle vous paraît fière et sûre d’elle ? Ce n’est pas qu’une impression : elle déborde de confiance et son esprit de compétition est sans égal. Fuyez si vous craignez de vous faire dévorer par autant de sex-appeal. Mais heureusement, la loyauté et la générosité sont aussi des attributs royaux. Et si vous partagez avec elle un signe d’air – comme Verseau, Gémeaux ou Balance –, vos chances de conclure sont très importantes.
“L’astrologie essaie d’expliquer pourquoi les êtres humains ont certaines envies, certaines peurs”, avance Mathilde Fachan, qui a fondé le podcast Z comme Zodiaque. Au contraire de l’horoscope, qui tient de la divination, de la prédiction, “cette discipline vise à la connaissance de soi et des autres, et s’inscrit dans une démarche de développement personnel, affirme Romy Sauvayre, sociologue des sciences et des croyances à l’université Clermont Auvergne et au CNRS. C’est ce qui touche davantage les jeunes générations, qui se cherchent encore et peuvent éprouver des difficultés à nouer des relations. L’astrologie offre une boîte à outils, nous donne la marche à suivre, nous oriente en fonction de notre date de naissance et de la position des astres.”
"Ce n’est pas un outil magique pour tout régler, c’est une grille de lecture symbolique”
“Ce n’est pas uniquement un reflet des idées, des fantasmes, de la structure, des idéaux de la société. Ce n’est pas non plus un outil magique pour tout régler, c’est une grille de lecture symbolique”, appuie Mathilde. Cette grille fournit des clés de compréhension qui reposent sur un référentiel commun. Ainsi, Mars représente l’action, la prise de décision, la ténacité, quand la Lune est rattachée à l’imagination, à la créativité, etc. Ces symboliques forment une base malléable qui se prête à la réappropriation ; on peut en faire des blagues, y intégrer des éléments de pop culture ou encore un référentiel queer. “Franchement, je suis assez sceptique sur l’efficacité de l’astrologie, admet Nina, une Cancer de 27 ans. Mais quand je rencontre une personne hyper organisée, sévère ou un peu rigide, j’adore demander si elle est Capricorne.” Anna, elle, jure ne pas s’occuper des signes astro des gens avant de leur parler. Vierge ascendant Lion avec sa Lune en Gémeaux, elle ne devrait pas être attirée par les Capricornes, les Gémeaux ou les Scorpions. Ça n’a peut-être rien à voir mais en effet, “d’expérience, [elle] les trouve foncièrement méchants et manipulateurs”.
L'astrologie, les queers, Tintin et le capitaine Haddock
“Il y a des ramifications avec la culture queer”, soutient Mathilde, notamment “un intérêt pour la symbolique, pour la narration”. Dès lors qu’on grandit à la marge, la soif de représentations grandit. Trouver des gens qui ressentent ce que l’on ressent, qui vivent ce que l’on vit devient une obsession, on cherche des signes partout. En l’absence de personnages ouvertement LGBTQI+, il fallait pouvoir lire entre les lignes, déceler l’ambiguïté, creuser les non-dits : Ryan dans High School Musical, Frodon et Sam dans Le Seigneur des anneaux, Tintin et le capitaine Haddock… Mais comment expliquer cette popularité particulière chez les lesbiennes ?
Déjà, l’éducation féminine : comme l’astrologie a toujours été cataloguée “truc de meufs”, il n’est pas rare de se retrouver autour d’une table à lire l’horoscope avec toutes les générations de femmes de sa famille. Une socialisation genrée qui les oriente vers l’empathie et la prise en charge émotionnelle. En outre, de par leur éducation, elles sont encouragées à exprimer leurs émotions et à décortiquer celles des autres pour prendre soin d’eux. “Même si l’astrologie traverse toute la communauté LGBTQI+, les lesbiennes vont en avoir un usage plus prolixe, et s’en servir comme un langage supplémentaire pour analyser leurs relations”, analyse Mathilde, qui constate encore un certain dédain de la société vis-à-vis de l’astrologie, et plus largement de “tout ce qui est associé au féminin”, des trucs de meufs considérés comme irrationnels. “Les femmes lesbiennes, qui se sont affranchies du regard du patriarche, du masculin dominant, vont se dire : « Tu vas te moquer de moi pour ça aussi ? C’est pas grave, tu te moques déjà de ma sexualité, de ma manière de m’habiller, du fait que je ne dépende pas de toi. Une moquerie de plus ou de moins, ça me fait une belle jambe »”, balaie Mathilde. Et puis l’homosexualité féminine a elle-même longtemps été considérée comme contre nature, en opposition au monde rationnel, à la place soi-disant naturelle de la femme, alors pourquoi ne pas chercher à se construire via des codes alternatifs. Mais bon, je suis mal placée pour parler : je sors avec une Gémeaux.
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Illustration : Gazzo studio