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spectacleLou Trotignon : "Le stand-up m’a aidé à me rendre compte de ma fierté queer et de ma transidentité"

Par Aurélien Martinez le 29/09/2023
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"Artiste queer et trans", Lou Trotignon est l’une des révélations les plus enthousiasmantes de la scène humoristique actuelle. On l’a rencontré pour parler avec lui de son hilarant spectacle Mérou, qu’il joue à Paris et en tournée.

Théâtre de la Renaissance, à Paris. Un public on ne peut plus queer vient assister à une nouvelle édition du Pride Comedy Show, plateau d’artistes qui célèbrent "la fierté d'être qui l'on est". Sur scène, entre une performance survoltée de la drag queen Lolita Banana et un mini concert de la chanteuse Arielle Dombasle, des humoristes LGBT (Tahnee, Marine Baousson, Jessé, Laura Domenge, Noam Sinseau, Léa Lando, Roman Doduik…) dévoilent un extrait de leur spectacle. La soirée, rythmée, est une réussite, ce kaléidoscope d’univers prouvant, s’il en est encore besoin, la vitalité et la diversité de l’humour queer.

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Au milieu du show débarque Lou Trotignon avec son sketch sur le mérou, poisson qui peut changer de genre au cours de sa vie. Ou comment évoquer les questions de non-binarité et de transidentité avec un humour imagé. La salle est conquise par cet artiste encore peu connu et son approche atypique – on est loin du rire sur les petites choses du quotidien. "Quand j’ai découvert le mérou, je me suis dit : dans la nature, on existe en fait ! Pourquoi, alors, on n’arrête pas de nous dire qu’on n’est pas naturels ?" nous explique quelques jours plus tard l’humoriste trans âgé de 25 ans, que l’on rencontre à la terrasse d’un café parisien. D’où, en guise de titre à l’excellent spectacle qu’il tourne depuis plusieurs mois, le tout simple Mérou, comme une évidence – même si Sans contrefaçon a un temps été envisagé. "Le mérou est vraiment qui il veut quand il veut, il s’en fout de tout ! Et mon spectacle dit justement ça : que tout n’est pas figé, qu’on peut changer et que ça n’enlève en rien notre légitimité à exister."

L'humour queer a la cote

Dans son spectacle, Lou Trotignon déballe une grande partie de sa vie avec un sens précis de l’écriture et un jeu doux, presque en retenue. Pendant plus d’une heure, il se livre sans filtre, n’hésitant pas à aborder des sujets on ne peut plus personnels (la découverte en plusieurs étapes de son identité de genre, ses différents coming out, sa transition…), convaincu que l’intime est politique. "Quand tu es une personne trans, tu passes ta vie à répondre à des questions très intimes. En en parlant sur scène, je prends le pouvoir sur mon identité, avec mes mots, et les autres ne peuvent pas m’interrompre avec leurs remarques. C’est vraiment de l’empouvoirement – que ce mot est moche mais c’est ça !" Et le filtre de l’autodérision, soigneusement appliqué, lui permet de dédramatiser toutes les situations, même les plus difficiles. Comme lorsqu’il raconte que depuis qu’il a entamé sa transition, il est passé "du harcèlement de rue au questionnement de rue, de 'Eh, t’es bonne' à 'Eh, t’es quoi ?'" 

Résultat, son spectacle bienveillant (sauf envers les hommes hétérosexuels adeptes du beige, mais ne le méritent-ils pas ?), et surtout hilarant, rencontre un succès croissant, notamment grâce au bouche-à-oreille des spectateurs queers plus nombreux qu’il ne l’imaginait. "À mes débuts, des professionnels me disaient qu’avec mon sujet, je risquais de ne toucher qu’un public de niche. Mais la niche, c’est un chenil, il y a énormément de gens !" Une heureuse découverte qui, au fil des représentations, a pourtant fini par lui mettre la pression, lui qui se rend compte qu’il est l’une des rares voix trans dans le monde de l’humour francophone. "Je veux être à la hauteur de mon propos, j’ai envie de représenter la communauté queer en disant bien les choses. Même si, bien sûr, c’est malheureusement impossible de satisfaire tout le monde avec un spectacle."

Quand on l’interroge sur sa jeunesse, parler de lui frontalement à des inconnus (jusqu’à évoquer son sillon interfessier) n’a pas tout de suite été un plan de carrière, nous assure celui qui a grandi à Rambouillet, "ville un peu conservatrice façon Manif pour tous". "Mon enfance a été compliquée, avec une famille pas forcément méchante mais ignorante" confie-t-il, avant de préciser dans la foulée qu’"aujourd’hui, ça va mieux". Plus jeune, il voulait être "plus androgyne, garçon, mais j’ai laissé ces envies de côté parce qu’on te fait vite comprendre que c’est mieux d’être une meuf hétéro".

Le stand-up pour dédramatiser

Après le lycée, il quitte Rambouillet "soulagé", direction Sciences-Po Paris, avant de bifurquer en philosophie tout en travaillant dans un club de strip-tease afin de gagner de l’argent. Il détaille longuement cette expérience sur scène, là aussi avec beaucoup d’humour – comme lorsqu’il imagine plier consciencieusement ses vêtements après s’être dévêtu devant son premier client. Avec ses économies, il part ensuite seul en Grèce pendant un an et rencontre le monde queer et anarchiste : une révélation. "Là-bas, tout le monde pensait que j’étais lesbienne alors j’ai dit OK ! J’ai eu mes premières expériences avec des meufs et des personnes trans. Et toutes les questions que j’avais laissées de côté plus jeune sont revenues."

De retour en France, il poursuit quelque temps ses études en philosophie, puis les arrête. "Ce n’était pas pour moi." On est début 2020, la crise sanitaire s’approche, et avec elle le confinement, source de grande remise en question. À cette époque, Lou Trotignon cherche à mettre des mots sur son vécu de jeune vingtenaire. "Au début, je voulais écrire des livres, mais je trouvais ça trop dramatique. J’avais envie de dédramatiser les choses." La passion du stand-up qu’il avait gamin (il apprenait par cœur les sketchs du DVD du Jamel Comedy Club) se rappelle alors à lui par un détour inattendu : dans une téléréalité, un mec "pas très bon essayait d’en faire". Et si, finalement, c’était le moyen d’expression qu’il cherchait inconsciemment depuis tant d’années ?

Avec comme bagage les dix années de théâtre amateur de son adolescence, il se lance pleinement dans cette voie à la sortie du confinement : il prend des cours d’écriture, se forme avec des artistes, tente des scènes ouvertes… Et se révèle à lui-même. "Quand j’ai commencé le stand-up, je pensais être une meuf hétéro donc mes premiers sketchs c’était : tout le monde pense que je suis lesbienne mais pas du tout ! Depuis, j’ai dû tout réécrire ! Le stand-up m’a vraiment aidé à me rendre compte de ma queerness et de ma transidentité." Son spectacle Mérou est ainsi en perpétuelle évolution depuis sa première en juillet 2022, même s’il commence à se figer avec le temps et les représentations – déjà une trentaine. Un seul-en-scène qui rencontre un public de plus en plus large, ce qui, l’espère Lou Trotignon, le mènera loin. "Mon but, c’est d’aller un jour au Montreux Comedy Festival et de dire sur scène, devant des milliers de personnes : bonjour je suis trans et c’est OK. Ce serait fort."

>> Mérou,de Lou Trotignon, les jeudis à 19h30 à La Nouvelle Seine, Paris. Et en tournée à Lille (23 septembre), Genève (6 et 7 octobre), Marseille (13 et 14 octobre), Toulouse (3 novembre), Bruxelles (18 novembre), Bayonne (1er et 2 décembre), Avignon (16 décembre).

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Crédit photo : Sara Saadia Hamdine