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magazineHumour : rencontre avec Jessé, jeune premier de la scène queer

Par Aurélien Martinez le 20/09/2023
Jessé Rémond Lacroix, humoriste et acteur né en 1992 Chez lui à Paris le 24 février 2023

[Article à retrouver dans le têtu· de l'automne en kiosques ou sur abonnement] Jolie bulle d’humour à l’écriture ciselée, Message personnel, le premier spectacle de Jessé, est l’une des bonnes surprises de la nouvelle scène humour queer.

Durant les confinements, certains ont commencé à cuire leur propre pain, mais Jessé, lui, a peint. En vert lichen. Pas des toiles, mais tout un mur de son appartement, se demandant ce qu’il ferait, après ça. De cette période, il a gardé une monomanie pour cette couleur interdite au théâtre par la tradition superstitieuse, quand bien même un projet lui tient à cœur depuis longtemps : monter sur les planches, seul. Messager de Louis XIV dans la série Versailles, il a joué dans un téléfilm sur Molière, mais aussi au théâtre pendant presque trois ans aux côtés de Francis Huster et Régis Laspalès dans une pièce de Laurent Ruquier.

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Son compagnon photographe, devenu entre-temps son ex – “On s’entend toujours très bien. J’ai toujours de très bons rapports avec mes ex d’ailleurs… quand je ne les ghoste pas !” –, s’improvisant directeur artistique, Jessé dévoile un soir de février 2022, dans une toute petite salle parisienne, son premier seul en scène baptisé Message personnel, comme la chanson de Françoise Hardy, bien sûr, ou comme les MP (messages privés) sur Instagram. À chaque génération sa référence.

Des valises de légumes bio

Il fallait que je crée les choses moi-même, pour ne pas être dépendant du désir des autres”, explique, avec le recul, Jessé Rémond Lacroix, qu’on a retrouvé au printemps dans son nouvel appartement parisien – pour cause de rupture, donc – avec, toujours, un mur vert lichen, et dans un splendide ensemble du même ton. Son spectacle suit le parcours d’un mec aujourd’hui trentenaire – “Mais je dirai toujours sur scène que j’ai 29 ans !” –, son enfance à la ferme, sa première fois (avec un Allemand de passage), son amour pour son chien, Tinkerbell (les plus de 20 ans n’auront pas la réf), sa fascination pour sa belle-mère – “J’aurais pu faire un spectacle juste sur elle !” – et sa vie de Parisien homo qui, en soirée, rencontre beaucoup trop d’hétéros soucieux de spécifier qu’ils ne le sont pas, homos. Les anecdotes s’enchaînent avec un sens affûté de l’écriture, filant un stand-up au ton badin mais non dénué de nostalgie, et qui évite avec grâce tous les faux pas, même sur des sujets parfois plus graves.

Né le 9 juillet d’une année pas si lointaine (il a 29 ans, on vous dit !) non loin de Dijon, le petit Jessé est élevé près des champs, une grande partie de sa famille travaillant dans l’agriculture, bio de surcroît. Ce qui lui permet, toujours aujourd’hui, de décliner sa passion pour le vert jusque dans son assiette, puisque sa mère lui envoie, comme de la contrebande, des valises de légumes à Paris. Voilà pour l’univers, a priori banal d’un provincial "monté" à la capitale mais qui, au fil de son spectacle, s’avère plus complexe qu’il n’y paraît, tant le garçon observe, et sait tirer les fils de ce qui l’entoure. Et s’il n’hésite ni à caricaturer ni à manier l’ironie, ici pas de malaise, pas de coups bas. “La violence peut être dans les situations que je décris, mais elle n’est jamais dans le jeu”, analyse celui qui revendique les influences de Blanche Gardin et Hannah Gadsby.

Jessé ne sera pas Miss France

Jessé jongle habilement sur scène, s’engouffrant avec gourmandise dans des sujets légers – le sexe façon agneau sacrificiel, les expressions à la con, Paris Hilton… – tout en donnant une place importante à sa quête des origines, qui l’emmène sur de drôles de chemins : fruit d’un adultère, il découvre en grattant une histoire familiale plus décalée qu’il ne le pensait. “Tout est vrai dans le spectacle, sauf les prénoms !” précise-t-il. Gamin, il avait aussi de grands rêves et voulait être Miss France, paléontologue ou chirurgien esthétique – “mais jamais pompier ni policier”. Il n’a donc pas échappé dès l’école à l’apprentissage que font tous les jeunes queers, qui paient cher leur différence. Jessé se reconnaît d’ailleurs en Lucas, ce jeune de 13 ans qui s’est suicidé en janvier après avoir connu le harcèlement scolaire homophobe. 

“Quand on monte sur scène en affirmant être homo, avoir été harcelé et venir d’une famille qui n’est pas la famille nucléaire classique, on est en quelque sorte engagé. Donc maintenant je le suis, oui, mais je ne le cultive pas, et je ne cherche pas à être de tous les combats. Je laisse ça à mon père communiste !” Et s’il voudrait crier aux jeunes “tenez bon, gardez la tête haute, le harcèlement s’arrêtera, et il se passera de belles choses quand vous grandirez”, sur scène il pousse l’humour noir sur le sujet. “Je reçois pas mal de messages sur les réseaux sociaux de gens qui me remercient d’avoir, avec l’humour, mis des mots sur leurs traumas, sur ce qu’ils ont pu vivre en étant enfants. J’ai même quelques mecs hétéros qui me disent qu’ils ont pris conscience des harceleurs qu’ils avaient pu être plus jeunes.” D’ailleurs, lance-t-il dans son spectacle, “est-ce que les mères des harceleurs se doutent de qui sont leurs fils ?” 

>> Message personnelde Jessé. Au Théâtre du Marais, à Paris, à partir du 21 septembre. Tournée en 2024.

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Crédit photo : Audoin Desforges