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Queer coded"Maman, j'ai raté l'avion" : et si Kevin était un enfant queer ?

Par Marion Olité le 24/12/2023
Kevin, dans "Maman, j'ai raté l'avion"

Sorti en 1990, le film Maman, j'ai raté l'avion est devenu un classique de Noël, qu’on ne se lasse pas de revoir à l’approche des fêtes. Si les mésaventures du très futé Kevin McCallister (Macaulay Culkin) sont une ode au pouvoir des enfants, elles résonnent en particulier auprès du public LGBT.

Le film a été imaginé par le scénariste John Hughes en se demandant, lors d'un voyage, ce qu'il aurait pu oublier de pire. Résultat : Maman, j’ai raté l’avion, réalisé par Chris Colombus, raconte comment la famille McCallister, pressée de partir fêter Noël à Paris, oublie son benjamin, Kevin (Macaulay Culkin), âgé de huit ans. Le titre américain, Home alone (“Seul à la maison”) est bien plus parlant que la version française. Ravi à l’idée de passer la semaine de Noël loin de sa famille, le jeune Kevin s’adapte rapidement à sa nouvelle vie en solo, avant de réaliser que deux voleurs convoitent sa maison. Le duo de criminels, qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre, ne sait pas à qui il a affaire… S’ensuit la plus belle rouste flanquée par un enfant à des adultes de l’histoire du cinéma. Un deuxième volet, Maman, j’ai encore raté l’avion, sorti deux ans plus tard en 1992, reprend les mêmes ingrédients en déplaçant l’action à New York. 

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La situation dans laquelle se trouve Kevin McCallister au sein de sa famille trouve d’emblée un écho dans l’expérience LGBTQ+. Dès les premières minutes du film, la tribu défile dans les escaliers et ne cesse de le rabaisser. Qu’il s’agisse d’un oncle radin, d’une sœur tendance mean girl ou de son horrible grand frère, tout le monde semble s’être passé le mot pour maltraiter Kevin, sous le regard de parents débordés et pas franchement intéressés par les états d’âme de leur petit dernier. À bout, le jeune incompris lance cette réplique contradictoire : “Quand je serai grand et marié, je vivrai seul !” Dans la mesure où Kevin est en train de grandir dans un foyer très hétéronormatif (il a trois frères et soeurs, et le triple de cousins et cousines), on peut entendre dans cette affirmation une première résistance au seul modèle qu’on lui offre. 

Le vilain petit Kevin de la fratrie

Sensation de n’avoir rien en commun avec sa famille, d’être le vilain petit canard de la tribu, pression accrue lors des fêtes de fin d’année… Les personnes LGBTQ+, dont le taux de rupture familiale est bien supérieur aux hétéros, ont d'emblée de quoi s’identifier à Kevin, qui plus est à Noël où les tensions familiales s'exacerbent. La relation compliquée du personnage avec sa mère rapproche également Kevin du vécu queer. Débordée, Kate a tendance à relativiser les sentiments de son fils. À la suite d’un échange difficile – il lui dit que sa famille le déteste, elle lui répond d’en demander une autre pour Noël ! –, il s’énerve à nouveau : “Je ne veux pas de nouvelle famille, la famille, c’est nul !” Le diptyque se termine toutefois par les retrouvailles émouvantes entre Kevin et Kate, qui s’excusent mutuellement à New York. 

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Dans son comportement, le personnage de Kevin McCallister est également codifié queer, ou gay. Son père dit de lui qu’il est un "funny guy" (“un drôle de bonhomme”), les voleurs le traitent de “creep” (“anormal”) et un cousin lui lance "you are such a disease" (“tu es une telle plaie”). Kevin ne manifeste d'ailleurs aucun intérêt pour la gente féminine, ni dans le premier film, ni dans sa suite. Après avoir découvert la réserve de Playboy de son grand frère Buzz, il s’écrie simplement : “Personne ne porte de vêtements, c’est dégoûtant !” À l’origine des punitions subies par Kevin dans les deux films, Buzz est sa Némésis : un personnage d’ado bêta caractérisé par une hétérosexualité agressive (il demande à son cousin si la rumeur des Françaises qui ne s’épilent pas est vraie). 

Une résilience toute queer

Maltraité par sa famille, donc, Kevin leur répond du tac au tac, de façon assez insolente. Il faut saluer le jeu de Macaulay Culkin, 9 ans l'époque – il en a aujourd'hui 43 –, qui multiplie les mimiques et les réactions exagérées pour notre plus grand plaisir. Il n’est d'ailleurs pas le seul à apporter au film un esprit camp : le grotesque des deux voleurs, le duo Harry (Daniel Stern) et Marvin (Joe Pesci), qui auraient dû mourir vingt fois vu ce qu’ils subissent, vient s’y ajouter, ainsi que l’hilarante parodie de film de gangstersAngels with Filthy Souls, qui se moque des codes du genre du polar, très masculin. Kevin aime aussi passer du temps dans sa salle de bain : avec sa serviette nouée autour de la taille, il énumère devant sa glace les différents produits qu’il a utilisés. Il aime prendre soin de lui, ce qui l’éloigne du modèle de masculinité traditionnelle. 

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Dans le deuxième opus, Kevin se retrouve seul à explorer la ville de New York. Son arrivée y est comparable à celle d’un jeune queer quittant sa ville d'origine, dans laquelle il ne se sent pas à sa place, pour une cité plus importante où il pourra exprimer son identité avec plus de facilité. Kevin découvre des endroits où il se sent bien, se déplace en limousine, et ses goûts de luxe le guident au Plaza Athénée. Rien n’est trop beau pour notre diva de dix ans ! 

Les deux voleurs, qui le poursuivent chez lui puis à New York, peuvent être compris comme incarnant l’hostilité de la société envers les LGBTQI+. Et la réponse de Kevin à ces adultes malintentionnés est on ne peut plus queer… Par deux fois, il leur botte les fesses en faisant appel non pas à sa force physique, mais à son talent pour imaginer toutes sortes de pièges dévastateurs. Parce que le monde est violent avec lui, Kevin lui rend la monnaie de sa pièce. “Les enfants sont résilients”, lance un personnage pour rassurer la mère de Kevin. Le concept de résilience, soit cette capacité à surmonter de grandes difficultés et à faire de ses traumatismes une force n’est, là encore, pas étranger à la commu. 

La famille choisie de Kevin

Comme trop de personnes LGBTQ+, Kevin ne peut compter que sur lui-même et doit affronter ses peurs. Il puise en lui de nombreuses ressources pour survivre : il apprend à faire sa lessive, va faire ses courses seul, se réchauffe ses plats au micro-ondes tel un célibataire endurci… Mi-enfant, mi-adulte, il est forcé de grandir à vitesse accélérée. 

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Kevin croise néanmoins sur son chemin des figures bienveillantes. Tout d'abord un vieil homme, Marley, dont il avait initialement peur et qu'il encourage à se réconcilier avec son propre fils, avec lequel il est brouillé depuis des années. On peut imaginer que cet homme, né dans les années 1920/30, fut un gay au placard, marié, à une époque où l’homosexualité était criminalisée. Et que son fils n’a pas supporté d’apprendre sur le tard l’homosexualité de son père. Car Marley a des allures de mentor gay, qui protège Kevin, un enfant queer comme il le fut aussi. Leur relation déjoue les hiérarchies traditionnelles entre enfants et adultes : Marley écoute les conseils de son jeune ami, et les deux s’apportent mutuellement de l’attention. 

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Cette dynamique se retrouve dans le deuxième volet, où Kevin fait cette fois la rencontre à Central Park d’une femme sans abri, la Dame aux pigeons. Celle-ci lui vient en aide face aux voleurs, et en échange il lui redonne foi en l’humanité. "À la fin du film, la dame aux pigeons et Kevin sont devenus une sorte de famille choisie l'un pour l'autre", note Sadie Collins dans Them. La journaliste voit dans la Dame aux pigeons un personnage codifié lesbien puissant. Ces personnages de marginaux positifs (une représentation rare sur les écrans) permettent à Kevin de survivre en milieu hostile. Ce dernier offre à sa nouvelle amie une moitié d’aile de colombe et lui dit qu’il conserve l’autre moitié, afin qu'ils restent “amis pour toujours”. Les deux films revalorisent ainsi les liens de l’amitié intergénérationnelle. 

Si Maman, j’ai raté l’avion sent bon la nostalgie des nineties, le diptyque reste intemporel dans ce qu’il raconte de l’enfance, mais aussi des joies et des difficultés à faire famille quand on ne se sent pas comme les autres. Il ouvre ainsi une porte qui parlera à beaucoup, celle de faire famille autrement. 

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Crédit photo : 20th Century Fox