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cinémaD'"Avalonia" à "Wish" : Disney en a-t-il fini avec la représentation LGBT+ explicite ? 

Par Marion Olité le 19/12/2023
"Wish, Asha et la bonne étoile", le dernier Disney

Qui dit fêtes de Noël dit nouveau Disney ! Avec Wish, Asha et la bonne étoile, le studio qui fête ses 100 ans en 2023 revient à une représentation codée queer, après le flop l'an dernier d'Avalonia et son premier personnage ouvertement gay.

Au cinéma pour Noël cette année, Wish, Asha et la bonne étoile est le 62e long-métrage d'animation sorti des studios Walt Disney. Le film nous propulse au royaume de Rosas, au large de la péninsule ibérique, où l'on suit les péripéties d’Asha, une adolescente de 17 ans qui pense vivre dans une utopie où le roi-sorcier, Magnifico, peut exaucer à volonté les vœux de ses sujets. Seulement la jeune fille découvre que les vœux des habitants de Rosas ne sont quasiment jamais exaucés et que le roi, imbu de lui-même, ne supporte pas la moindre remise en question. Un soir où Asha prie le ciel en quête d’une solution, une étoile, la bien-nommée Star, descend sur Terre pour l’aider à rétablir l’équilibre à Rosas. 

Aux manettes de ce scénario original, on retrouve Jennifer Lee, directrice des studios depuis 2018. Première réalisatrice de l'histoire de Disney, elle a remporté en 2013 l’Oscar du meilleur film d’animation pour La Reine des neiges, dont l'immense succès a marqué un tournant pour la firme dans la représentation LGBTQ+. Longtemps, les protagonistes codifiés queers de Disney – reconnaissables à leur statut de célibataire, leur comportement non hétéronormé, leur physique en dehors des standards de beauté et leur style vestimentaire – étaient les méchant·es de l’histoire. Pensez à Maléfique dans La Belle au bois dormant, Ursula dans La Petite Sirène, Jafar dans Aladdin...

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Avalonia, exception explicite

Au cours de la dernière décennie, les personnages codifiés LGBTQ+ de Disney sont devenus plus positifs, et parfois même les protagonistes du récit, comme Mérida dans Rebelle ou Raya dans Raya et le dernier dragon. Une tendance qui a culminé avec La Reine des neiges dont l’héroïne, Elsa, est codifiée lesbienne. Le Disney annuel de 2022, Avalonia : L’étrange voyage, a marqué un tournant encore plus significatif en mettant en scène pour la première fois un personnage principal ouvertement gay, l’adolescent Ethan Clade. Malheureusement, le film est aussi devenu l’un des flops les plus retentissants de l’histoire du studio.

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Avalonia : L’étrange voyage

Ne vous le cachons pas plus longtemps, après ce revers d'Avalonia, Wish semble s'inscrire dans un retour en arrière, puisqu'il ne fonctionne que sur une lecture codifiée queer. Comme nombre de princesses Disney récentes, Asha est célibataire et n'a pas d'intérêt amoureux. "Le trouble queer s’installe dès lors que les personnages rompent avec ce schéma hétéronormé : pas de désir explicite, pas d’expression d’intérêt affectif ou sexuel, pas de couple, pas d’enfant", analyse Célia Sauvage, autrice de l’essai Décoder Disney-Pixar, sorti en octobre aux éditions Daronnes. Et puis notre héroïne porte une robe violette, couleur historiquement associée à des personnages codifiés queers (Maléfique, Madame Mim, le Capitaine Crochet, Ursula…). 

Cette princesse métisse – la deuxième héroïne noire de l’histoire de Disney après La princesse et la grenouille – est proche de son animal compagnon, Valentino, un bouc “drama queen” codifié gay. Il porte un nom de couturier, fait des blagues sur les fesses, adopte une voix théâtrale et peine à contrôler ses émotions. Valentino est présenté comme un mâle mais il ne correspond pas aux codes de la masculinité hétéro, alors même que Disney pratique généralement un anthropomorphisme hétéronormé sur ses personnages animaux. Parmi les exceptions à la règle, citons Timon et Pumbaa, l'incontournable duo codifié gay du Roi Lion

Wish, une représentation queer light

La magie est aussi un élément révélateur d’une potentielle queerness : dans La reine des neiges, Elsa en a honte et la cache depuis de nombreuses années. Dans Wish, Asha en fait l’expérience quand elle rencontre Star, l’être venu des cieux qui la dote de pouvoirs magiques (sous-entendu, de queerness) dont elle ne sait trop quoi faire au début du film. Cette adorable étoile n'étant pas genrée, Star peut être vu comme un protagoniste non-binaire. Une interprétation similaire avait cours pour le personnage de Lake dans Élémentaire, le long-métrage d’animation Pixar (dans le giron de Disney depuis leur fusion en 2006), une lecture renforcée par le choix d'un interprète non-binaire, Ava Kai Hauser, pour lui prêter sa voix dans sa version originale.

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Wish, Asha et la bonne étoile

Si Star est une étoile muette, Asha est en revanche incarnée en version originale par l’actrice queer Ariana DeBose. À une époque où les choix de casting sont scrutés à la loupe quand il s’agit de représenter une minorité, celui-ci ne passe pas inaperçu, et pousse là encore vers une lecture queer du personnage d’Asha. Dans un film centré sur la notion d'estime de soi (cf. la chanson "I'm a star"), on était toutefois en droit d’en espérer davantage sur la représentation LGBTQI+.

Un pas en avant, deux pas en arrière 

Alors, le flop d’Avalonia l’année dernière a-t-il poussé Disney à la prudence ? Depuis plusieurs années, le studio se cherche, esthétiquement entre 3D et 2D (Wish propose un mélange des deux), et connaît une période de transition comparable la fin des années 1980. Alors en panne d’inspiration, la compagnie avait pu compter sur ses talents LGBTQ+ pour se réinventer : le compositeur et metteur en scène gay Howard Ashman, venu de Broadway et recruté en 1986, avait travaillé avec Alan Menken sur de nouveaux modèles musicaux qui ont donné les chef-d’œuvres La Petite Sirène, La Belle et la Bête ou Aladdin“Avec des chansons qui expriment les désirs des princesses protagonistes, et avec des tubes tous azimuts, Ashman a apporté un savoir-faire théâtral – et une bonne dose de camp – aux films d’animation de Disney", note dans le Washington Post l’universitaire Peter C. Kunze. D’autres personnalités gays ont marqué cette époque de renaissance, comme le directeur de casting Albert Tavares ou Andreas Deja, animateur superviseur qui a contribué à la création de personnages cultes (et souvent codifiés queers) comme Scar, Jafar, Hercule ou Lilo. 

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La Reine des neiges 2

Mais si les films Disney sont souvent imaginés par des créatifs queers ou allié·es, les actionnaires voire le grand public se montrent bien plus conservateurs. D'autant que la firme fait face à des censures étatiques (en Russie, en Chine ou dans des pays arabes), mais aussi à des offensives réactionnaires et procès en “wokisme” dès qu’un personnage LGBTQ+ ou racisé pointe le bout de son nez. Finalement, chaque fois que Disney propose un vrai pas en avant – comme dans Avalonia ou la série animée The Owl House créée par Dana Terrace, scénariste bisexuelle qui a imaginé une jeune héroïne queer –, c’est pour en faire dans la foulée deux en arrière.

Redevenu fin 2022 PDG de l'entreprise, Bob Iger a annoncé le 29 novembre, au DealBook Summit à New York, que Disney allait lever le pied sur la pédale politique : "Les créateurs ont perdu de vue ce que devait être leur objectif numéro un. Nous devons d’abord divertir. Il ne s’agit pas d’(envoyer) des messages". On croise quand même les doigts pour que dans La Reine des Neiges 3, Elsa ait (enfin !) une petite amie. Réponse en 2025.

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Crédit photo : The Walt Disney Company