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sériesTom Ripley, l'anti-héros queer parfait

Par Thomas Desroches le 16/04/2024
L'acteur irlandais Andrew Scott, dans la série Ripley, sur Netflix

Portée par Andrew Scott, la série Ripley, visible en streaming sur Netflix, ressuscite un personnage dont l'ambiguïté queer fascine depuis sa création dans les années 1950 par la romancière lesbienne Patricia Highsmith.

Mais qui êtes-vous, Monsieur Ripley ? Tout en mystère et en faux-semblants, ce personnage aux multiples adaptations revient dans la série Ripley sur Netflix, réalisée par Steven Zaillian. Sublimée par son noir et blanc, celle-ci ravive notre attirance morbide pour cet homme amoral, manipulateur, escroc et meurtrier. Son interprétation par un acteur ouvertement gay, l'Irlandais Andrew Scott (vu dans le film Sans jamais nous connaître), renforce l'ambiguïté du personnage : ni hétéro, ni homo, Tom Ripley échappe aux étiquettes et redonne au terme "queer" sa signification première, à savoir un homme "étrange", "singulier", "à part".

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Thomas "Tom" Ripley est imaginé en 1955 par la romancière américaine Patricia Highsmith, qui en tire cinq thrillers. Sa sexualité, pour le moins trouble, entretient la fascination autour de ce manipulateur insaisissable. L’écrivaine distille, ici et là, de nombreux indices sur son éventuelle homosexualité, tout en le dépeignant comme un séducteur auprès des femmes. "Je ne crois pas que Ripley soit homosexuel, estimait-elle néanmoins dans un entretien accordé à Sight & Sound en 1988. Il apprécie la beauté des hommes, c’est vrai, mais il est marié. Et bien qu’il ne soit pas doué dans le domaine du sexe, il couche avec sa femme."

Alain Delon, Matt Damon et Jude Law

Dans le premier roman, Ripley s'insinue dans la vie de Dickie Greenleaf, attirant l'hostilité de la fiancée de ce dernier. "Marge pense que tu es une tapette, lui dit-il dans le premier roman. – Dickie, je tiens à mettre ceci au point, (…) je ne suis pas une tapette et je ne veux pas que quiconque imagine que j'en suis une", rétorque Ripley. Au bord du précipice, comme s’il venait d’être démasqué, il se défend d’être un “inverti” – le terme utilisé dans le récit. Dans l'adaptation de Netflix, cette scène intervient à la fin du deuxième épisode. Mais l’époque n’est plus la même : cette fois, Ripley ne dément pas et accuse la fiancée d’être jalouse. "Avant elle t’avait pour elle seule. Maintenant, elle doit te partager", souligne-t-il.

Au cinéma, l'ambiguïté qui entoure le personnage varie selon les adaptations. Elle est perceptible dès Plein soleil, de René Clément, sorti en 1960, notamment au détour d’une séquence lorsque l’escroc, interprété par Alain Delon, endosse les vêtements de Dickie – renommé Philippe pour les besoins du film. Il embrasse son reflet dans le miroir avant d’être surpris par son hôte, cravache à la main. La dimension homoérotique est à son comble avant d’être diluée, par la suite, dans le jeu de séduction entre Tom et la fiancée de son ami.

Chaque décennie connaît sa version du personnage : le cow-boy Dennis Hopper dans L’Ami Américain (1977), l’éphèbe Matt Damon dans Le Talentueux Mr. Ripley (1999), le dandy John Malkovich dans Ripley’s Game (2002) et le méconnu – car très oubliable – Barry Pepper dans Ripley et les ombres (2005). La version de 1999, d’Anthony Minghella, pousse le curseur gay encore plus loin. Les corps de Matt Damon et Jude Law, qui passent une grande partie de leur temps en slip de bain, sont de tous les plans. La tension explose tous les baromètres lors d’une partie d’échecs durant laquelle Tom Ripley demande à Dickie s’il peut le rejoindre dans son bain, ce que son ami refuse.

"Il fallait que le livre s’accorde avec notre temps et cela passe par l’attirance que Tom porte à Dickie, montrée de manière plus explicite", souligne alors le producteur, William Horberg, auprès de Vanity Fair. Certains détails ne trompent pas, comme cette scène où Tom Ripley tue l’un des personnages avec un buste de l'empereur romain Hadrien, dont l'histoire d’amour avec le jeune Antinoüs est bien connue (et l’objet des Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar). Tout un symbole.

Selon Matt Damon, interviewé dans têtu· en mars 2000 à l’occasion de la sortie du film, la séquence qui révèle le mieux la sexualité du personnage est celle du club de jazz : Tom Ripley, dont la voix est couverte par la musique, y fait une subtile déclaration d'amour à Dickie. "C’est mon coming out dans le film”, estime l’acteur. Pourtant, cette attraction ne va jamais au-delà des regards et des sous-entendus.

L'autrice lesbienne et ses méchants codés gays

Pour mieux comprendre Ripley, il faut s’intéresser de plus près à sa créatrice, Patricia Highsmith. Née en 1921 et morte en 1995, elle publie sous pseudonyme en 1952 son deuxième ouvrage, Carol, un roman lesbien semi-autobiographique avec une fin heureuse (adapté au cinéma en 2015 avec Cate Blanchett dans le rôle titre). À l'époque elle tente de "soigner" son homosexualité pour pouvoir se marier avec un homme – c'est un échec.

Si elle sort principalement avec des femmes, l’écrivaine a au cours de sa vie quelques relations avec des hommes, avec qui le sexe la dégoûte néanmoins, pour cacher son homosexualité tant au grand public qu’au milieu de l’édition. En Tom Ripley, elle trouve donc un alter ego obligé, comme elle, de se dissimuler sans cesse. D’après son biographe Andrew Wilson, il lui arrivait même de signer "Tom" à la fin de ses lettres.

De l’homophobie de l’après-guerre, l’autrice retourne la discrimination en faisant des méchants codés gays sa spécialité. Son tout premier roman, L’Inconnu du Nord-Express, publié en 1950, adapté au cinéma par Alfred Hitchcock, raconte comment une rencontre entre deux hommes dans un train se transforme en pacte criminel. Le personnage de Bruno, jamais explicitement décrit comme homosexuel, est bâti autour de nombreuses insinuations.

Mais Tom Ripley n’est pas un méchant codé gay comme les autres. En réalité, il ne rentre dans aucune case. Des décennies après sa création, il continue d’inspirer, à l’image de la série Netflix et du film Saltburn (2023), le thriller très chaud avec Barry Keoghan et Jacob Elordi, hommage direct au personnage de Patricia Highsmith. C’est là toute la force d’un anti-héros insondable, rendu éternel.

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>> Ripley, de Steven Zaillian. Disponible sur Netflix.

Crédit photo : Netflix

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