[Dossier à lire dans le magazine têtu· de l'hiver ou sur abonnement] Peu importe qu’on soit plus basset, berger ou bichon. Nos chiens sont toujours là pour nous. Meilleur anti-dépresseur du monde, bouillotte écologique de qualité supérieure, sans aucun préjugé (à part sur les chats) et ouverts à toutes les identités : tous les toutous sont dans la commu !
"Quand on a un chien, on devient le centre de son univers, on fait partie de la meute", avance Nicolas, 65 ans. Voilà plus de vingt ans qu'il nourrit une passion pour les bouledogues français, un petit trapu au comportement de gros molosse – "le chien de pédé par excellence !" précise-t-il. C'est vrai que le cliché c'est un roquet minuscule du style chihuahua (le bear, à la rigueur, optera probablement pour un terrier, du genre de Pollux), plutôt qu'un malinois ou un bouvier bernois.
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Du côté des lesbiennes, si les chats font carton plein, Chloé, au contraire, a craqué pour Gigi, son border collie, une grande bête dynamique au caractère affirmé et expansif qui n'hésite pas à donner de la voix. Anna et Agathe, elles, ont opté pour un spitz nain, petite boule touffue également appelée loulou de Poméranie. Sauf qu'elles l'ont baptisée Monique, en hommage à Monique Wittig, sainte mère des lesbiennes. Comble de son inclusion dans la commu, la petite chienne participe à toutes les manifestations saphiques de la capitale, vêtue de sa mini-doudoune et de son sac à dos flanqué d'un énorme "Dyke" (gouine, en français). "Elle a été abandonnée par un élevage après avoir été exploitée dans le but de faire des portées, explique Anna. On est d'autant plus sensibles à ce sujet qu'on se projette naturellement dans ces histoires d'exploitation de femelles." Avec ce passif, qui s'étonnera que Monique rêve de vivre en non-mixité sur l'ile de Lesbos, entourée d'autres chiennes et de maîtresses dévouées ? En attendant, elle évite les mâles à tout prix et montre les crocs dès qu'ils l'approchent. "Finalement, c'est une lesbienne politique", s'amuse Anna.
Une relation unique
A-t-on jamais, en revanche, vu un chien homophobe ? Certes, il y a bien cet utilisateur du réseau social Reddit qui a fait le buzz fin octobre en prétendant que son chien n'avait pas supporté de le surprendre au lit avec un mec. Après avoir assiste aux performances de son maître en bon soumis, l'animal refuserait aujourd'hui de lui obéir et grognerait à chaque tentative de caresse. Mais c'est plutôt l'exception canine qui confirme la règle. "Le chien, c'est de l'affect, du vivant, mais du vivant qui ne nous juge pas, qui ne nous rejette pas, souligne Nicolas. S'il ne t'accepte pas, c'est qu'il a une bonne raison, et au moins ce n'est jamais en rapport avec ton orientation affective, ton identité de genre ou ta couleur de cheveux." Nos amis à quatre pattes n'ont en effet que faire des apparences et ont d'ailleurs la réputation de faire preuve d'une acceptation sans bornes. "Ce qu'un chien te renvoie, c'est ce que tu es au fond de toi, peu importe l'habit, le décor, les lumières, les paillettes ou les larmes", résume Nicolas.
"Je suis très impliquée dans son éducation. Avoir un chien, c'est prendre la responsabilité de sa vie."
"Aucun faux-semblant, garantit Chloé. Cette authenticité lui a permis de nouer une forte intimité avec Gigi. "À ses côtés, je me sens protégée", complète la femme de 39 ans. Cette compagnie lui apporte en outre un sentiment concret de sécurité : "Je me permets des choses que je n'osais pas faire avant et que j'ai pourtant toujours voulu réaliser. On se balade en forêt, je prends ma voiture, je m'arrête dans un bled et on dort ensemble dedans." À vrai dire, elle passe la majorité de son temps avec sa chienne. "Ce n'est pas comme si ça se limitait à la sortir quinze minutes par jour, insiste-t-elle. Je suis très impliquée dans son éducation. Avoir un chien, c'est prendre la responsabilité de sa vie."
Ce qui ne va pas sans quelques avantages : "Tu as beau être au fond du trou, il faut quand même le promener, le nourrir. Ça te permet de ne pas perdre pied." Au-delà d'apporter une routine salutaire, nos petits compagnons peuvent s'avérer de précieux soutiens. "Quand tu te sens mal, quand il y a des tensions dans ton couple, il le sent. Il te console à sa manière, confie Nicolas d'une voix tendre. Le chien t'accueille, te fait la fête, il t'apaise par sa simple présence. Bien sûr, il permet de lutter contre une certaine forme de solitude ; on peut aussi lui parler, par contre, le jour où il te répond, ça devient inquiétant."
Un membre de la famille choisie
Mais bien que Nicolas prenne très au sérieux l'éducation et le bien-être de ses toutous, il ne les considère pas comme ses enfants, un comportement qui a plutôt tendance à l'agacer. "La thèse de l'animal de substitution est disqualifiante, dévalorisante, analyse le sociologue Jérôme Michalon, spécialiste des relations humains/animaux. C'est une manière de dénoncer la décadence d'une société qui ne serait plus capable de se reproduire." Ce discours du type "on détruit nos familles et tout part à vau-l'eau" nous est familier : on le croirait tout droit sorti de La Manif pour tous. De plus tout le monde ne porte pas sa famille biologique dans son cœur, en particulier quand c'est elle qui nous rejette. "Il n'y a pas forcément de confusion généralisée, de substitution entre le chien et l'enfant, affirme Jérôme Michalon. En revanche, on peut parler de famille pour se référer à l'ami, le confident. Tout dépend de la définition qu'on lui donne."
"C'est justement parce que les animaux ne sont pas des humains et qu'ils ont des qualités foncièrement différentes qu'on préfère passer du temps avec eux."
"Tout comme la communauté queer, un chien peut aussi être un refuge. C'est aussi ça, la famille choisie", assure Chloé. Certes, un toutou ne remplacera pas ta pote prête à s'enfiler une demi-douzaine de shots après une rupture, ou cet ami qui t'a initié à l'art du lavement à grand renfort de schémas détaillés. "Certains pensent qu'on vient chercher chez l'animal ce que l'on ne trouve plus chez l'être humain, avance le sociologue. Sauf qu'en fait, c'est justement parce que les animaux ne sont pas des humains et qu'ils ont des qualités foncièrement différentes qu'on préfère passer du temps avec eux." Cette relation construite au terme de siècles de domestication repose sur une forte interdépendance.
Révélateur de notre rapport aux autres
Prochaine étape pour nos potes poilus (aucun rapport avec les furries) : rejoindre la commu ? Le truc, c'est que parfois, on y étouffe : Machine a couché avec l'ex de Chose alors qu'elle continue à être pote avec Truc, qui s'est pourtant fait call-out la semaine dernière... "On est tout le temps les uns sur les autres, à se juger et à se condamner en place publique pour des broutilles", continue Chloé, qui voit dans sa relation avec Gigi l'opportunité de créer un échange à la fois équitable, respectueux et bienveillant. Et bien qu'il y ait une forme d'altérité, elle est convaincue que "notre chien est le miroir de nos propres comportements".
Chloé a remarqué que puisque les gens ont moins de filtre, de retenue avec les animaux, leurs travers se font jour en leur présence. Si un chien n'a pas envie d'être touché mais que vous forcez quand même le passage – pire, si vous vous offusquez quand l'animal rechigne –, ça peut être assez révélateur de votre rapport aux autres. Et face à une femme qui promène sa chienne, les comportements sexistes sont également d'autant plus visibles. À quasiment chaque promenade, Chloé trouve un homme pour lui "mecspliquer" l'éducation de Gigi.
"Les chiens sont des éponges qui te montrent ce qu'il y a au plus profond de toi."
"Les chiens sont des éponges qui te montrent ce qu'il y a au plus profond de toi, détaille Nicolas. Si tu en croises un, regarde son maître et tu comprendras : c'est très rare de voir un bouledogue français agressif." En effet, à voir ce grand ours polaire à la barbe taillée sur un large sourire, on imagine volontiers des animaux qui tiennent plus du nounours que du canidé. "Quand j'observe Gigi, et notamment ses interactions avec ses pairs et avec les humains, je vois des comportements sociaux qui nous appartiennent, à mon ex-copine et à moi, en particulier des réflexes de défense qui nous sont propres", s'amuse Chloé. Par exemple toutes les deux sont intransigeantes : "Si un mec fait le moindre geste déplacé, ça pète ; elle aboie dès que quelque chose ne lui plaît pas. J'en suis très fière", clame-t-elle à l'intention de la principale intéressée, avide d'attention. Autre avantage non négligeable, "avec un chien, on se passe de mots, renchérit Chloé en caressant nonchalamment la tête de son border collie au brushing ébouriffé noir et blanc, assis entre nous au Bonjour Madame, un bar lesbien parisien. Si Gigi n'est pas contente, elle s'en va. Il n'y a pas plus direct, le rapport est beaucoup plus honnête."
Un soutien au quotidien
Plus qu'un bon pote avec qui l'on traîne de temps à autre, "c'est l'amour inconditionnel", résument Agathe et Anna, qui appellent Monique "mon bébé". Bon, ça passe : ma mère appelle le sien "nénette à sa mère", ce qui est extrêmement gênant. D'ailleurs maman, si tu peux arrêter de m'envoyer toutes les photos de ton beagle en train de bailler... ou au moins les cadrer correctement ! En toute bienveillance, notons que celle d'Anna a offert à Agathe une paire de chaussettes avec la bouille de Monique imprimée de long en large. Que ce soit par la joie qu'elle apporte au couple, ou par sa façon de dédramatiser le quotidien, le petit spitz permet à ses maîtresses de surmonter leur anxiété. "Tu ne peux pas être trop dans ta tête, les yeux rivés sur ce qui te préoccupe, explique Agathe. Tu as ce petit être juste trop content d'être avec toi, une boule de chaleur qui te soigne. Elle nous rappelle quelle magnifique famille on forme. C'est miraculeux." Résultat, moins de disputes.
"L'animal est dépourvu de stéréotypes sociaux, ce qui crée un effet de confiance nécessaire pour engager un travail thérapeutique."
"Quand c'est tendu entre nous, Monique se barre, s'amusent-elles, regards complices à l'appui. C'est un déclic, on doit désamorcer la situation avant qu'elle ne dégénère, avant même qu'on ne se rende compte qu'on était en train de hausser la voix." En même temps, flemme de se coltiner les cris de deux gouines énervées. Force à toi, Monique. Selon Nicolas, "le chien t'apprend à faire attention à l'autre, parce que lui fait toujours attention à toi sans que tu demandes quoi que ce soit." Ce qui est mis en avant lorsqu'on se pose la question de ce que seul l'animal peut apporter, c'est encore l'authenticité qui revient sur le tapis. "L'animal ne ment pas, ne juge pas, note ainsi Jérôme Michalon. Il est dépourvu de stéréotypes sociaux, ce qui crée un effet de confiance nécessaire pour engager un travail thérapeutique. Ça produit un relâchement de la pression sociale." Tous les chiens ne sont peut-être pas des lesbiennes politiques convaincues comme Monique, mais sont pour sûr nos meilleurs alliés.
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Crédit photo d'illustration : Thoai et Rita
