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reportagePresse, tabac, refuge : à Lons-le-Saunier, le buraliste est de la famille

Par Morgan Crochet le 01/01/2024
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[Reportage à lire dans le têtu· de l'hiver ou sur abonnement] À Lons-le-Saunier, préfecture du Jura, les personnes LGBT+ peuvent sans craindre pousser la porte de leur petit buraliste : Olivier-Paul leur offre écoute et bienveillance.

Photographie : Noémie Lacote pour têtu·

Au pied du premier plateau jurassien, Lons-le-Saunier, en cette fin d’après-midi de novembre, s’enfonce dans l’obscurité. Dans la rue Saint-Désiré, entre la préfecture et la place de la Liberté, où se tient le théâtre au cœur de cette petite cité de 17.000 habitants, Le Royal, bureau de tabac arborant fièrement un autocollant et un drapeau arc-en-ciel en vitrine. Un homme d’une quarantaine d’années y entre, et commence par traîner entre les rayons avant de s’adresser au patron : “Je vois que vous avez le drapeau. – Depuis que j’ai ouvert ici, je l’ai toujours eu. C’est la première fois que vous venez ? – Ouais. En fait, j’ai eu une relation avec un garçon durant mes vacances, et je viens de me séparer de mon épouse. Je me rends compte que c’est ce qui me convient le mieux.”

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Originaire de Salins-les-Bains, Olivier-Paul Peyrache, fringuant Jurassien de 58 ans, n’a jamais quitté sa région, où il a ouvert son commerce il y a huit ans. Autocollant, drapeau et magazine têtu· en vitrine, mais aussi mise à disposition des numéros de SOS Racisme, Flag! et Jura Fiertés… Tout est fait pour indiquer à sa clientèle LGBTQI+ qu’elle trouvera chez lui un espace safe. Ce qui est loin d’être un détail dans ces petites villes où associations et lieux communautaires se comptent sur les doigts de la main, quand il y en a. “Si un homme achète ici un magazine féminin ou veut feuilleter la page maquillage d’un hebdo, il ne sera pas jugé. Et vice versa pour les filles. D’ailleurs, l’autre jour, il y en a deux qui se sont embrassées à l’intérieur après avoir acheté des cigarettes, devant moi, devant tout le monde, tatouages à l’air. Personne n’a bronché, et il n’aurait pas fallu. Ici, les gens sont protégés. Ils le savent.”

Bureau d'écoute

Parmi les habitants de la ville, Olivier est clairement identifié. “Tout le monde sait que je suis gay. Je joue énormément avec ça. Et puis je suis aussi très ouvert, donc je parle facilement et je participe à beaucoup de choses.” Alors passer sa porte est plus facile. Et se confier à lui aussi : “L’année dernière, un homme cherchait des cassettes, des vidéos, des choses comme ça. Je l’ai tout de suite mis à l’aise et lui ai conseillé de se rendre à Dijon, au centre LGBTQI+, pour rencontrer des gens, apprendre des choses, faire des sorties. Depuis, il continue à faire ses achats chez moi.”

Le Royal joue également un rôle d’espace sécurisant à destination des plus jeunes de la communauté. “Un ado vient causer un petit coup quand ça ne passe plus avec les autres gamins du magasin de jeux vidéo en face. Il est un peu rond, a un coup de crayon sur l’œil, du fond de teint, des cheveux courts et une boucle d’oreille. Il est souvent en jogging, mais avec un rang de perles autour du cou.” Le temps qu’il se sente suffisamment à l’aise pour retrouver les jeunes de son âge, l’adolescent passe un peu de temps avec Olivier-Paul. Ces échanges simples comptent probablement beaucoup, tant on sait à quel point pouvoir parler de soi sans crainte d’être jugé, dénoncé, est important. “Quand j’ai ouvert le magasin, il y en avait un qui venait s’asseoir chez moi tous les matins en attendant le bus. Il préférait patienter ici, sur un tabouret, plutôt que rester avec les autres. On causait, il regardait deux ou trois magazines jusqu’à ce qu’il ne lui reste que trois minutes pour rejoindre ses camarades.” Mais si ses clients LGBTQI+ semblent rechercher la protection et l'écoute du buraliste, c’est aussi pour ses conseils que certains franchissent le seuil de son commerce. “Il y a un petit couple de jeunes qui sont vendeurs dans un magasin, relate-t-il. Quand ils se sont séparés, il y en a un qui est venu pleurer vers moi en disant «tu ne sais pas ce qu’il m’a fait». Puis le lendemain, c’est l’autre qui est venu.”

Fierté jurassienne

Olivier-Paul est né avant la dépénalisation de l’homosexualité. Durant les années sida, alors qu'il sort avec un coiffeur lyonnais rencontré à Mykonos, ce dernier s’avère séropositif. “On a été cinq ans ensemble, puis son état s’est aggravé les deux dernières années et il est mort en 1997. Je me suis beaucoup occupé de lui. Jusqu’au bout”, murmure-t-il.

Difficile, quand on se promène dans les rues de la ville, déserte après 19 h, sans bar communautaire et encore moins de centre LGBTQI+, d’imaginer qu’une vie queer y fait son chemin, loin de la frénésie et de l’effervescence des métropoles. Et pourtant : “J’ai au moins quatre ou cinq clients qui passent parfois apprêtés avec des faux cils, une perruque, des talons, une robe, etc. Alors évidemment je leur dis «bonsoir madame, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?» Ça peut peut-être en faire rire certains, mais moi non. Je suis probablement le seul commerce où ces personnes peuvent se rendre ainsi sans s’attirer d’ennuis”, explique Olivier-Paul, qui n’hésite pas non plus à donner quelques coups de pouce : “Il y a une femme trans qui m’a apporté de la publicité pour son site web, parce qu’elle fait des vêtements par correspondance. Elle me dit qu’elle a du mal à trouver du travail ici, elle va de petit boulot en petit boulot. C’est navrant.”

Contrairement à beaucoup, Olivier-Paul n’a pas souffert d’homophobie dans sa famille. C’est peut-être pourquoi il rechigne à évoquer ce qu’il lui faut endurer à l’extérieur, malgré sa résilience. “Bien sûr, on voit de temps en temps, dans les supermarchés, des parents qui nous montrent à leurs enfants comme si on était au zoo. Mais moi, j’ai choisi de ne pas relever.” En ville, il n’hésite d’ailleurs pas à témoigner de l’affection à son compagnon. “De quoi faudrait-il avoir peur, à notre âge ? On se promène ensemble, on va au marché, on fait les brocantes. On ne rase pas les murs. J’ai toujours ma main dans la sienne. Dans mon village, on participe à tout et on est très bien accueilli.” Cette année, l’association Jura Fiertés, créée en mai et dont Olivier-Paul est adhérent, a organisé la première Pride de Lons-le-Saunier. Le soir, la place de la Liberté était illuminée aux couleurs de l’arc-en-ciel.

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