[Reportage à lire dans le magazine têtu· ou en vous abonnant] La presque bretonne Nantes est l’une des villes les plus accueillantes de France pour les personnes LGBTQI+, alors que la droite réactionnaire est très présente dans la région.
Ce samedi soir, la terrasse de La Plaisir, un bistrot queer de l’île de Nantes, est pleine d’une jeunesse à cheveux décolorés, crop tops et paillettes. "Beaucoup de lieux queers ont ouvert ces derniers temps", se félicite la patronne, Joy, 33 ans, cheveux frisés, t-shirt noir et tatouages aux bras. La communauté lesbienne s’approprie d’ailleurs facilement celui qu’elle a ouvert avec sa compagne, la scène LGBTQI+ de la ville ayant longtemps été composée uniquement de bars gays ou friendly.
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Mais à Nantes, capitale régionale des Pays de la Loire, la culture queer n’investit pas seulement les lieux communautaires : le collectif queer Gazole Inc organise ses soirées Pinkwashing au club électro du Macadam ou dans une salle du centre culturel Stereolux, quant aux soirées Tea Dance du collectif Croque Monsieur, elles ont lieu à l’hôtel du Radisson Blu ou au restaurant Amaya. L’art du drag est également dynamique dans la ville, porté par des collectifs comme Le Sauna, dont les drag kings et queers se sont produits à La Plaisir sous nos yeux ébahis, ou encore Divine and The Queen, aux soirées tout aussi incontournables que celles intitulées Chez La Baronne, attirant des drags de toute la France au Little Atlantique Brewery. En août, une viewing party de Drag Race France a également rassemblé 1.700 personnes.
"Je n’avais jamais vu autant de monde dans les rues de Nantes avant la Pride de cette année. Il y avait énormément de jeunes."
Le long des douves du château des ducs de Bretagne, on peut boire un verre sur la petite terrasse du Plein Sud, l’un des plus anciens bars gays de l’Ouest, ouvert en 1988. À l’intérieur, une affiche des soirées Pinkwashing et un petit drapeau arc-en-ciel trahissent discrètement l’esprit gay du lieu. Au comptoir, on croise Stéphane, 55 ans, lunettes carrées, un habitué : "C’est dans ce bar que j’ai assumé mon homosexualité, précise, tout sourire, celui qui a suivi l’évolution de la communauté dans la ville. Je n’avais jamais vu autant de monde dans les rues de Nantes avant la Pride de cette année. Il y avait énormément de jeunes." Mais si la nouvelle scène est très énergique, il existe encore des bars plus "traditionnels" prêts à accueillir toutes les générations, comme Le Kaléidoscope, Le Petit Marais (un temps converti aux soirées hétéros) ou Le Montecito, sans parler du CO2 Club Origin pour danser toute la nuit.
Assos communautaires et centre LGBT
Quant au monde associatif, il compte une quinzaine d’organisations actives, dont les antennes locales de Contact ou de SOS Homophobie. Les Filles organise depuis déjà trente ans des sorties, des rencontres et des “soirées festives” entre lesbiennes. Reboo-T propose conseils et accompagnement aux personnes trans, et l’on trouve aussi des associations sportives comme Gay Motards 44, Les Gay randonneurs nantais ou encore BAG Nantes, qui propose plusieurs activités, dont le badminton et le volley.
Le récent point d’orgue de ce dynamisme est l’inauguration en avril 2023 du nouveau local de Nosig, le centre LGBTQI+ local. Sa présidente, Violette, 65 ans, cheveux courts teints en rose, est ravie de faire découvrir les salles Marsha-P.-Johnson et Alan-Turing, les douches destinées aux demandeurs d’asile LGBTQI+, la boutique de vêtements gratuits, etc. "Mon objectif était de faire de Nosig le partenaire le plus important de la mairie de Nantes sur toutes les questions LGBTQI+", souligne-t-elle, fière de son action. Le centre a ainsi collaboré au projet de Nantes "ville non sexiste", au débat citoyen "Fabrique de nos villes", à des événements touchant à la petite enfance, à l’écologie ou au monde de la nuit, et s’est impliqué plus récemment dans la création d’une colocation pour seniors LGBTQI+. Organisateur de la Pride, Nosig a également su fédérer 16 associations.
"On a en face de nous des forces cathos vraiment conservatrices et liées aux groupes d’extrême droite."
Mais Violette aborde également les attaques visant la structure et différents symboles LGBTQI+ : "On a en face de nous des forces cathos vraiment conservatrices et liées aux groupes d’extrême droite", explique-t-elle. Dans la nuit du 17 mai, la devanture du centre a été taguée de croix celtiques. En juin, la très vivante rue Joffre a été recouverte de menaces et d’insultes LGBTphobes signées d’une fleur de lys. Collage de serrures, dégradation de drapeaux ou des marches d’escalier arc-en-ciel, affiches et tracts hostiles sont autant d’attaques avec lesquelles la communauté doit composer. Quand, en avril, les lumières d’un théâtre ont été coupées durant la représentation d’un spectacle pour enfants qui interroge les questions de genre, la mairie a soupçonné des membres de Civitas, mouvement catholique intégriste dissous depuis lors, qui avait distribué des tracts un mois plus tôt pour le faire annuler.
L'îlot queer nantais
"On porte plainte à chaque fois qu’il y a des dégradations. C’est dans ce contexte que le subventionnement du nouveau local de Nosig est un signal important donné à la communauté LGBTQI+ nantaise", assure Mahaut Bertu, adjointe à la maire en charge de l’égalité, de la ville non sexiste et de la lutte contre les discriminations. La municipalité de gauche doit s’accommoder d’un contexte politique régional peu acquis aux causes LGBTQI+. En 2016, la ville et le département ont dû augmenter leur soutien au festival de cinéma LGBTQI+ CinéPride, la droite au pouvoir à la région ayant décidé de retirer sa subvention au motif que Nosig, qui participe à l’événement, faisait la promotion de la GPA. "Cette année-là, on a atteint notre record de fréquentation, avec plus de 2.000 entrées, souligne Cyrille, le coordinateur du festival depuis 2016. Si Nantes est la première ville de Loire-Atlantique, la région comprend aussi la Sarthe, terre d’élection de François Fillon, et la Mayenne, des départements beaucoup plus ruraux, avec un vote tendanciellement plus conservateur." En 2021, quatre sénateurs Les Républicains (LR) des Pays de la Loire, dont Bruno Retailleau, se sont prononcés contre l’interdiction des "thérapies de conversion".
"On veut développer nos actions sur toutes les villes de la région, aller au Mans, à Angers, à La Roche-sur-Yon. Il y a un besoin de visibilité dans le reste de la région."
Ainsi l’îlot queer de Nantes se trouve dans une région au carrefour d’histoires et de cultures différentes, comme le décrit Ségolène Amiot, députée La France Insoumise (LFI) élue en 2022 dans la 3e circonscription de Loire-Atlantique, qui intègre une partie de la ville : "En Anjou et en Vendée, les électeurs sont bien plus conservateurs, parfois engagés à droite, voire à l’extrême droite, alors que dans la région il y a aussi des zadistes et des féministes." Plutôt que de se contenter d’une place forte, Elliot Blanchard, co-délégué de SOS Homophobie des Pays de la Loire, souhaite construire des ponts vers l’extérieur : "On veut développer nos actions sur toutes les villes de la région, aller au Mans, à Angers, à La Roche-sur-Yon. Il y a un besoin de visibilité dans le reste de la région."
Sur un banc du square Jean-Baptiste-Daviais, la députée LFI, qui fut vice-présidente de Nosig entre 2010 et 2012, revient sur l’évolution de la Pride nantaise depuis les années 2000 : "Au début, on avait le droit d’installer notre village associatif rue du Guesclin. Puis on a pu s’étaler sur le square. Maintenant on a accès à toute une esplanade sur le cours Saint-Pierre." La communauté LGBTQI+ nantaise est de plus en plus visible, en espérant que la ville ne reste pas un phare solitaire dans l’ouest du pays.
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Crédit photo : Adrien Jean / Hans Lucas via AFP