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spectacle"Hedwig est bien plus qu’un personnage de femme trans" : rencontre avec le comédien Brice Hillairet

Par Vincent Daniel le 05/01/2024
Brice Hillairet

[Article à lire dans le têtu· de l'hiver ou sur abonnement] L'acteur auréolé d'un Molière en 2020 Brice Hillairet tient le rôle principal dans l'adaptation de la comédie musicale de John Cameron Mitchell Hedwig and the Angry Inch, au Café de la danse, à Paris, jusqu’au 10 juin.

Photographie Audoin Desforges

On passe du rock, au punk, à la tendre ballade : c’est dire si Hedwig and the angry inch est un hymne à la fluidité ! À la fois comédie musicale, concert, stand-up et pièce de théâtre, ce spectacle est une adaptation du film éponyme de John Cameron Mitchell sorti en 2001 – lui-même tiré du spectacle initialement joué à Broadway à partir de 1998. Pour fuir l’Allemagne de l’Est, Hedwig a subi une opération de réassignation sexuelle ratée : il lui reste un “bout” de sexe masculin – le fameux “inch”. Exilée aux États-Unis, elle enchaîne les petits boulots, suce beaucoup de queues et chante le désespoir dans des bars miteux. Ce monologue tragi-comique est porté par le talentueux Brice Hillairet, 40 ans. Yeux noisette, bouille juvénile, le comédien s’illustre au théâtre depuis 2005 et a reçu le Molière de la révélation masculine pour La Souricière d’Agatha Christie en 2020.

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Hedwig, c’était quoi pour toi ? Tu avais vu le film en 2001 ?

Mon metteur en scène, Dominique Guillot, voulait monter le spectacle depuis dix-huit ans. Moi, je ne connaissais pas. Dix jours avant le premier confinement, en 2020, il me dit : “J’en peux plus de t’en parler dans le vide, je veux te montrer le film. Viens à la maison.” À la fin, je tombe de ma chaise et je lui dis : “Mais évidemment qu’il faut que tu le fasses ! Tu as tellement raison, c’est génial.” Sauf que je ne pense pas du tout à moi à ce moment-là, parce que ça me paraît tellement fou. Je lui dis qu’il lui faut un acteur qui chante et pas juste un chanteur, parce que c’est une œuvre dramatique énorme. À la sortie du confinement, quand je reçois le Molière de la révélation masculine, je me dis que ça pourrait me donner la légitimité de faire un truc dingue. Je prépare deux chansons de Hedwig, j’appelle Dominique et je lui chante dans son salon. Et là, on s’est tombé dans les bras et on s’est dit “ok, on y va ensemble”.

"Je pense que l’auteur a voulu parler d’un individu qui rassemblerait les gens qui sont maltraités par la vie."

Un homme cis qui joue une femme trans, même si c’est une transition forcée, c’est pas un peu casse-gueule ?

C’est un travail d’acteur. J’ai travaillé à un personnage qui est différent des autres, qui s’en prend plein la gueule et qui cherche à exister et à vivre malgré tout. C’est-à-dire qu’Hedwig, pour moi, est plus qu’une figure de femme transgenre : elle est le symbole des coups dans la gueule, le symbole de celles et ceux qui doivent rester debout. Elle est le symbole des différences. Hedwig était un adolescent un peu girly qui fantasmait sur les hommes, et ça lui allait très bien. Sa mère, abusive et très autoritaire, l’a convaincue qu’il fallait qu’elle devienne une femme pour accéder à cet amour. C’est une fiction, ce n’est pas une histoire vraie. Je pense que l’auteur a voulu parler d’un individu qui rassemblerait les gens qui sont maltraités par la vie, qui sont montrés du doigt, tabassés, et parfois tués.

Blonde peroxydée, maquillée outrageusement, pailletée, fringues glamour… Comment as-tu réagi la première fois que tu t’es vu en Hedwig ?

C’était très émouvant, et assez fou. C’est un rôle sur lequel j’ai énormément travaillé parce qu’il y avait le texte, les chansons… Alors, dans le miroir, j’ai vu quelqu’un d’autre. Après, il fallait lui trouver sa voix, son rythme.

C’est quasiment un one-man-show qui repose sur tes épaules ?

Ce qui est fou avec cette forme de spectacle, et c’est ce qui m’a plu, c’est que c’est presque un show, mais aussi un concert de rock, une pièce de théâtre, un musical de Broadway. C’est tout ça à la fois.

Dirais-tu que c’est un drame ou une comédie ?

Au théâtre, c’est difficile de ne pas rire, mais aussi d’être ému si ce n’est pas drôle. Il y a forcément un équilibre à trouver ! Parce que l’histoire d’Hedwig se situe au-delà du dramatique, du tragique. Si tout allait bien dans le meilleur des mondes, ce ne serait pas drôle. 

"On a besoin de s’identifier, on a besoin de personnages de fiction."

On est tous des Hedwig au fond. On a besoin d’être aimé et reconnu…

Je suis bien d’accord. J’espère que tout le monde est comme ça, pas uniquement les queers. On a besoin de s’identifier, on a besoin de personnages de fiction. Si des personnes hétéros qui ont des vies un peu plus classiques, un peu plus rangées, peuvent se reconnaître dans le spectacle, on aura gagné. 

Selon toi, le spectacle porte sur la liberté, la fluidité du genre ?

La liberté pour chaque personne d’être une bonne fois pour toutes telle qu’elle l’entend. C’est pour ça que la liberté de genre est pour moi le bon terme. Et personne n’a à dire “non, je vais te genrer au masculin parce que je décide que j’ai un homme devant moi”.

Comment te sens-tu de passer après John Cameron Mitchell, Neil Patrick Harris, Michael C. Hall, qui ont tous incarné Hedwig à Broadway ?

Heureusement que je n’y pense pas, sinon je n’arriverais pas à tenir debout ! Quand John Cameron Mitchell est venu me voir lors de la première, il est monté sur scène à mes côtés et on a chanté ensemble à la fin. Pendant que tout le monde applaudissait, il nous a dit : “J’ai un problème avec ce spectacle : je l’aime." À ce moment-là, je m’envole. 

Sur les réseaux sociaux, tu t’affiches ouvertement gay. Est-ce que c’est important pour un artiste d’être out ?

Je ne veux pas parler pour les autres, mais pour moi c’est très important, c’est même essentiel. On parle de plus en plus de personnages LGBTQI+ dans les fictions, et je trouve ça très bien. Mais ce qu’il faut aussi, c’est qu’on laisse les artistes gays l’être sans aucune discrimination. On est au début de la bataille, et moi j’ai bien l’intention d’essayer d’enfoncer ces portes-là, avec des camions s’il le faut. Pour un acteur ou une actrice, être homo est encore un problème aujourd’hui. Il faut que leur image soit la plus nette possible, la plus propre possible et donc la plus hétérosexuelle possible.

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Crédit photo : Audoin Desforges