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spectacleNicolas Petisoff au théâtre : "Tout le monde peut se retrouver dans nos histoires d'amour"

Par Aurélien Martinez le 03/01/2024
Nicolas Petisoff

[Article à lire dans le têtu· de l'hiver ou sur abonnement] Avec Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ?, le comédien et Rennais d’adoption Nicolas Petisoff poursuit la trilogie initiée avec son seul en scène Parpaing.

Photographe Sébastien Salom-Gomis

Ne cherchez pas trop Nicolas Petisoff à la sortie des théâtres parisiens, le comédien est plutôt adepte des tours de France : Lons-le-Saunier, Vitré, Rodez, Figeac, Laval… Originaire de Limoges et installé à Rennes, le garçon de 44 ans s’est fait une spécialité de mettre en scène nos vécus dans des salles où résonnent peu de spectacles queers. Après Parpaing, créé en 2019 et qui explorait la famille et ses secrets, le voilà de retour sur les routes avec Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ?, le deuxième volet de sa Trilogie des monstres (le dernier, non encore titré, sera centré sur la colère).

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Inspirée de sa propre vie, la pièce est construite autour des monologues de trois personnages qui, comme lui, ont grandi dans des milieux où l’homosexualité était uniquement considérée comme exogène : Less (interprétée par Leslie Bernard), “lolita qui cherche juste de la tendresse”, évoque ses années collège ; Manu (Emmanuelle Hiron), une “lesbienne butch tête brûlée”, raconte son lycée, le début de la fac et la découverte du militantisme ; et enfin Nico (interprété par Petisoff), “petit gars de province qui tombe amoureux de ses potes”, incarne le moi adulte du metteur en scène. 

L'universalité de nos amours

C’est mon expérience, notamment enrichie des discussions que j’ai eues avec mes copines lesbiennes, comme deux des personnages sont des femmes. Mais leur genre n’importe pas tant que ça dans la pièce”, explique-t-il. L’orientation sexuelle non plus, d’ailleurs, puisque le propos est justement, tout en affirmant nos identités, d’exposer l’universalité de nos amours. “J’ai voulu essayer d’inverser la catharsis. En tant qu’homosexuel, il a toujours fallu que je me reconnaisse dans des personnages hétéros, que j’y retrouve mes amours, mes émotions. Mais pourquoi nos histoires à nous, les minorités, ne pourraient pas être des objets de transfert pour les autres ? développe le comédien, auteur et metteur en scène. C’est un spectacle qui parle tout simplement d’amour : comment se manifeste la reconnaissance d’un désir, ce que ça fait physiquement et physiologiquement dans le corps… On l’a monté avec l’espoir que tout le monde, LGBTQI+ comme hétéros, puisse se reconnaître dans cet endroit de vertige, de solitude, de souffrance, de joie…”

“On peut simplement parler d’amour sans adjectif derrière, et tout le monde peut s’y retrouver.”

Après le spectacle, les retours des spectateurs confirment la réussite du procédé. Nicolas Petisoff se souvient ainsi d’un ami sexagénaire, hétéro et catholique, dont les larmes ont accompagné un soir sa compréhension des souffrances endurées par son pote. Ou encore de ces deux hommes qui lui ont confié, émus, combien ils s’étaient reconnus dans ses récits. “Vous êtes ensemble depuis combien de temps ? leur a-t-il demandé. – Non, nous ne sommes pas ensemble, nos femmes sont là-bas !” Victoire, sourit le comédien : “On peut simplement parler d’amour sans adjectif derrière, et tout le monde peut s’y retrouver.”

Le dispositif scénique choisi par Nicolas Petisoff et son binôme, Denis Malard, est né d’un hasard, quand un théâtre de Rouen a organisé une lecture en public de la pièce quasi finalisée. Une quarantaine de personnes seulement étaient attendues dans une salle bien trop vaste, poussant l’auteur à rapatrier en dernière minute tout le monde sur la scène, en mode cercle de parole. La magie opère, la proximité entre les interprètes et le public ajoutant de l’intimité à la représentation. Désormais, le spectacle se joue avec une partie de l’assistance installée sur scène, tandis que l’autre se trouve dans la salle restée allumée. Dès l’entrée, tout ce petit monde se voit chaleureusement offrir du café, brisant d’emblée le quatrième mur. “Ça démystifie le côté spectacle, et ça détend !”

Collard, Despentes et Bronski beat en héritage

Comme bien des artistes queers de sa génération, Nicolas Petisoff accomplit ce qui lui a manqué dans sa jeunesse en termes de représentation, lui qui a grandi dans les années 1990. “La plupart de mes références, je les ai découvertes et vécues en solitaire, à l’adolescence, sans pouvoir en parler à personne, ni à mes potes ni à mes parents.” Il cite, côté cinéma, Les Nuits fauves de Cyril Collard et Les Roseaux sauvages d’André Téchiné, le tube “Smalltown Boy” de Bronski Beat ou encore les textes de Virginie Despentes, qui ont fortement influencé son écriture. “Ça m’a beaucoup marqué quand, dans Les Roseaux sauvages, le personnage de Gaël Morel se répète trois fois « je suis un pédé ». Je me reconnaissais tellement dans sa souffrance.” Et si de nos jours les jeunes homos ont à portée de clic une foison de contenus queers, la solitude de la découverte demeure. Alors Nicolas Petisoff va à leur rencontre pour leur dire que grandir en dehors de la norme peut, malgré les difficultés, conférer une force immense. “Notre spectacle peut toujours être un miroir pour des jeunes qui se découvrent aujourd’hui. On veut leur faire entendre que ça va aller, en fait.” 

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