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spectacleComédies musicales : quand Paris la joue comme Broadway

Par Aurélien Martinez le 04/01/2024
La troupe de Spamalot, sur scène, en habits moyenageux et contemporains, lèvent les bras.

Avec Le Roi Lion, Mamma Mia, Spamalot ou encore Hedwig and the Angry Inch, les adaptations des comédies musicales de Broadway font salle comble en France.

Cet automne, les comédies musicales ont cartonné sur les scènes françaises. Alors que Spamalot est adapté pour la troisième fois en France, au Théâtre de Paris, la reprise du Roi Lion au théâtre Mogador en est à sa troisième saison avec un public toujours aussi nombreux (le millionième spectateur va bientôt être atteint), Mamma Mia remplit le Casino de Paris depuis octobre, Hedwig and the Angry Inch cartonne les lundis au Café de la danse, à Paris, Les Producteurs de Mel Brooks version Alexis Michalik a été l’un des succès de ces dernières années… “Au fil des ans, on a vu le public changer, s’ouvrir, s’enthousiasme Véronique Bandelier, la metteuse en scène de l’adaptation du Roi Lion. Il réalise la force de ces spectacles de qualité adaptés à la France et donc accessibles à tous.”

La France a toujours aimé les comédies musicales. On en veut pour preuve les succès populaires de Starmania (1979) ou de Notre-Dame de Paris (1998). “Mais il s’agit plutôt de spectacles musicaux, comme Mozart l’opéra rock, Le Roi Soleil ou Roméo et Juliette”, note Florian Guerard, contributeur au site français Musical Avenue, centré sur l’actualité des comédies musicales. “Les comédies musicales à la française qui ont notamment marqué les années 1990, c’était avant tout du vocal, continue Frédérique Farina, directrice pédagogique du département comédies musicales du Cours Florent. Le jeu d’acteur et la danse n’avaient pas beaucoup d’importance : les personnages principaux se contentaient surtout de chanter. Alors que les comédies musicales de Broadway, comme Sweeney Todd ou Dear Evan Hansen, supposent d’avoir d’excellents acteurs et danseurs.”

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Depuis 2012, l’école de théâtre parisienne a mis sur pied un département “à l’américaine”, avec vingt heures de cours par semaine, comprenant autant de théâtre que de danse et de chant. Depuis, le Cours Florent a aussi développé une “classe libre” de perfectionnement avec le théâtre Mogador, place forte de la comédie musicale parisienne et propriété depuis 2005 du groupe Stage Entertainment, producteur des premières adaptations du Roi Lion (2007) et de Mamma Mia (2011).

Les gros succès de Broadway traduits

C’est qu’en une décennie, la mode de la comédie musicale s’est fortement développée en France. Les producteurs français sont donc allés chercher à Broadway (New York) et West End (Londres) des œuvres qui ont fait leurs preuves partout dans le monde, afin de les adapter en français. Pour Mamma Mia, l’intégralité des chansons d’Abba sont délivrées en français sur scène. “C’est très bien de traduire car l’anglais peut être une barrière pour le public français, estime Florian Guerard. Je pense par exemple à Cats (2015), traduite de façon magistrale alors qu’on pouvait craindre le pire. Ou à Grease (2017), avec des allers-retours entre l’anglais et le français qui marchaient plutôt pas mal. Après, évidemment, il y a des œuvres qui s’y prêtent mieux que d’autres.

Pour moi, le théâtre musical, c’est vraiment une pièce de théâtre qui est mise en musique et en mouvement, avec des chansons qui racontent l’histoire, souligne Véronique Bandelier, qui a travaillé comme metteuse en scène sur Le Roi Lion, Mamma Mia, Sister Act, La Belle et la Bête… Et mon rôle, c’est vraiment d’unir tous ces univers. Mais il ne faut pas lâcher la qualité. Une bonne production nécessite notamment d’avoir un orchestre, avec des musiciens qui jouent vraiment et non une simple bande-son.

En France, tout finit avec des chansons

Si des shows comme Le Roi Lion et Mamma Mia font des clins d’œil à la culture française dans leurs textes, les changements sont minimes par rapport à l’original. Avec certaines œuvres, des artistes prennent tout de même davantage de liberté. C’est le cas de Pierre-François Martin-Laval – aussi connu sous le surnom de Pef – avec Spamalot, une adaptation musicale de 2005 du film des Monthy Python Sacré Graal ! (1975). L’ancien de la troupe Les Robins des bois signe sa troisième version du spectacle depuis 2010. “Avec les grosses licences comme Le Roi Lion ou Mamma Mia, le metteur en scène résident doit faire un copier-coller du metteur en scène américain, qui vient vérifier le résultat, détaille Pef. Comme une franchise de McDonald's ! Mais pour Spamalot, la mise en scène était libre. Ça me convenait davantage. En France, on est très loin de la culture anglo-saxonne. Il y a des références que l’on ne comprenait pas, des gag un peu datés, etc.” Aujourd’hui, aux côtés du roi Arthur, des Gilets jaunes apparaissent, on entend du Aya Nakamura, les influenceurs sont gentiment moqués…

Pour Hedwig and the Angry Inch, une comédie musicale off-Broadway de 1998, adaptée en film en 2001 par son auteur, John Cameron Mitchell, Brice Hillairet a profité d’une liberté équivalente. “Alors que d’autres shows doivent être adaptés au mot près, à la virgule près, pour Hedwig and the Angry Inch, il est bien stipulé que les adaptateurs étrangers doivent se l’approprier. On nous a dit de nous sentir libres, d’être au plus près possible de notre culture”, explique le comédien et chanteur, incroyable dans le rôle-titre d’une chanteuse de rock pleine de rêves et d’amertume.

Il faut maintenant favoriser les œuvres françaises, pointe Frédérique Farina. Car c’est super qu’on ait les capacités artistiques pour monter des shows de Broadway, mais ça n’aura du sens sur la durée que s’il y a aussi une création en France encore plus importante. On ne pourra pas éternellement faire du copier-coller de ce qu’il se passe à Broadway ou à West End.” “Il faut y aller, oser, continue Véronique Bandelier. Des choses émergent en France. Elles ne sont peut-être pas encore avec cette grandeur qu’on a à Broadway ou à Londres mais il y a plein de spectacles musicaux qui existent et trouvent leur public.”

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Crédit photo : Justine Lephay