Acteur polyvalent, Colman Domingo cumule des projets variés au cinéma comme sur petit écran. Connu du public par les séries Fear the Walking Dead et Euphoria, il est nominé aux Oscars 2024 pour son rôle dans Bayard Rustin, le biopic de l'activiste noir et gay éponyme, compagnon de route de Martin Luther King, sur Netflix. L'occasion de relire cette interview avec l'acteur que têtu· avait rencontré fin 2020.
Colman Domingo, c'est 25 ans de carrière. Si son nom ne vous évoque pas grand-chose, son visage est d'emblée plus parlant. Rien qu'en une année, on l'a vu en ex-junkie débordant de sagesse dans la série Euphoria, combattant les zombies dans Fear the Walking Dead, et incarnant un tromboniste affable dans Les Blues de Ma Rainey (Netflix). En perpétuelle quête de personnages complexes, l'acteur né à Philadelphie en 1969 collectionne une liste de crédits qui en ferait baver plus d'un. D'autant plus quand on sait que Colman Domingo a cultivé cette filmographie étendue tout en assument pleinement son homosexualité. Il revient avec nous sur ses rôles phares, son lien avec la communauté LGBT+ et la visibilité gay. Rencontre avec un comédien fascinant, talentueux et un brin sous-estimé.
- Vous êtes à l'affiche du Blues de Ma Rainey, un film en partie inspiré par Ma Rainey, une chanteuse de blues lesbienne. Qu'est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Colman Domingo : Quand j'ai entendu parler de ce projet pour la première fois, on m'a parlé de Viola Davis, de Chadwick Boseman, on m'a dit qu'il y avait aussi Denzel Washington et Todd Black à la production. Ça m'a suffi ! Je voulais faire partie du film. C'est la seconde adaptation de la pièce de théâtre d'August Wilson, et je trouve ça merveilleux car elle souligne l'impact de Ma Rainey sur la culture américaine, d'autant plus en tant que femme lesbienne dans une industrie dominée par les hommes. C'est fascinant. Et ça l'est encore plus à notre époque, où l'on voit des personnes manifester pour avoir plus de pouvoir, plus de représentation. De plus, c'était phénoménal de pouvoir bosser sur ce film avec George Wolfe [le réalisateur, ndlr], qui lui aussi est queer.
- Vous êtes aussi apparu dans le dernier épisode spécial de la série Euphoria. C'est une série qui gagne beaucoup en popularité, notamment auprès de la communauté LGBTQI+. Comment l'expliquez-vous ?
Je pense qu'elle vise juste parce qu'elle est d'une honnêteté désarmante. On ne considère pas ces personnages comme uniquement queers mais comme des êtres humains complexes qui, oui, s'avèrent queers. Ils sont humains, ils ont des failles. Leur sexualité n'est pas la première chose que l'on sait d'eux. La série envoie de vrais messages sur notre humanité et sur les galères que rencontrent les gens pour trouver leur voie.
- J'ai l'impression que c'est d'autant plus véridique avec le dernier épisode diffusé, dans lequel on voit beaucoup votre personnage…
Je l'espère ! J'ai reçu beaucoup de superbes messages de gens qui me disaient que ça les avait aidés à examiner leur vie et les choix qu'ils avaient faits. Dans notre culture, je trouve que personne n'est vraiment attentif. On fait les choses sans réfléchir. Et c'est ce sur quoi Sam Levinson [le showrunner d'Euphoria, ndlr] se penche avec cet épisode spécial. Il encourage à s'arrêter, à respirer et à vraiment creuser en profondeur. C'est la seule façon d'initier de réels changements.
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- Auriez-vous aimé avoir une série comme Euphoria durant votre adolescence ?
C'est une bonne question. (Rires) J'ai 51 ans, et quand j'étais ado je matais des trucs comme Les Pierrafeu ou The Brady Bunch. C'était un monde totalement différent. Je devais comprendre les choses par moi-même, surtout en tant qu'homme queer. On n'avait pas de représentation comme on en trouve aujourd'hui. C'était inaccessible. Tout était de l'ordre du privé. C'est pourquoi je trouve ça génial que les gosses d'aujourd'hui aient Euphoria. Ils ont de la chance. C'est incroyable d'avoir une série qui essaie fortement d'être honnête par rapport à cette jeunesse sans la prendre de haut.
- Depuis plusieurs années, vous jouez Victor Strand, un personnage gay, dans Fear the Walking Dead. Est-ce différent de jouer un rôle qui vous ressemble sur ce point-là ?
Complètement ! Ce qui est marrant, c'est que je ne savais pas que Victor était queer lors de la première saison. On en a discuté entre les saisons 1 et 2 avec le showrunner, et il m'a dit "et si Thomas Abigail était le compagnon de Victor ?". J'ai trouvé ça intéressant. Dans ma vie de tous les jours, j'aborde les choses comme Victor Strand. Je me présente d'abord avec mon intelligence, avec mes pensées, mes croyances. Et être queer fait partie de tout ça, même si ce n'est pas la première chose que je mets en avant. Dans le cas de Victor, il était déjà un personnage à part entière avant qu'on ne sache qu'il était queer. C'est intéressant, car ça encourage le public à revoir sa conception d'une personne queer.
"J'ai juste toujours voulu jouer des hommes complexes et ils n'avaient pas à être queers."
- Beaucoup de gens débattent sur la question des acteurs hétéros interprétant des personnages queers. Quel est votre avis sur la question ?
Sincèrement, c'est délicat. [Il marque un temps de pause.] Personne ne peut me dire que Tom Hanks n'a pas joué un personnage gay incroyable dans Philadelphia. C'est une performance iconique et terriblement complexe. Mais on dirait qu'on décerne tous les meilleurs prix aux hommes capables de jouer un rôle gay. Ce serait bien si l'on faisait davantage de place pour les acteurs gays dans ce genre de rôles. Je pense que ce que les gens veulent, c'est mettre tout le monde sur un pied d'égalité.
- Pendant longtemps, beaucoup considéraient qu'un acteur out ne serait pas crédible dans un rôle hétéro. Pourtant, vous avez joué des personnages hétéros tout au long de votre carrière, réfutant cet argument. C'est une victoire pour vous ?
C'est intéressant, je n'avais jamais vu les choses sous cet angle. J'ai juste toujours voulu jouer des hommes complexes et ils n'avaient pas à être queers. Même si, bien sûr, je jouerai des hommes queers s'ils sont bien façonnés. Je ne me suis jamais rendu compte que mon parcours était atypique. J'ai toujours été ouvertement gay. Mais quand vous m'avez posé la question, ça m'a fait sourire alors je suppose que oui, c'est une petite victoire. J'espère casser certaines idées reçues que les gens ont sur les hommes queers. Nous ne sommes pas limités à notre propre expérience.
- Vous rappelez-vous du moment où vous avez décidé de parler publiquement de votre orientation sexuelle ?
Je viens d'une autre génération mais je viens surtout du milieu théâtral. Je n'ai jamais eu l'impression que les gens y accordaient de l'importance. Je me dis que j'ai toujours été gay [Rires].
- Avez-vous eu l'impression à un moment donné que votre homosexualité pouvait menacer votre carrière ?
Non. À aucun moment. Je pense que si tu crois ça, alors ça va être le cas. Ça ne m'a jamais effleuré l'esprit. J'ai toujours cru fermement que mon éthique professionnelle et mon talent seraient la source de mon succès. Et s'il y avait un quelconque problème avec mon orientation, alors j'étais prêt à quitter la pièce. Je vais là où l'amour se trouve.
- Vous vous sentez appartenir à la a communauté LGBTQI+ ?
Je ne me suis jamais demandé si j'appartenais à quoi que ce soit, en vérité. Quand j'étais dans la vingtaine, je me sentais partie intégrante de la communauté artistique où il y avait des profils différents en âge, en expérience, en couleur de peau, en religion. C'est ce dont j'avais besoin. Et une grande partie de la communauté artistique se retrouve dans la communauté LGBTQI+. [Il marque un temps de pause.] Mais oui, bien sûr que j'appartiens à la communauté ! Je suis un homme gay, et je suis fier d'en faire partie.
Ce qui est drôle, c'est que je suis plutôt connu, j'ai une longue carrière, j'ai reçu des récompenses… Mais la communauté LGBTQI+ oublie que j'en fais partie. On zappe que je suis gay. Je ne sais pas pourquoi [Rires]. Peut-être parce que mon identité queer n'est pas ce je mets tout le temps en avant. Mais j'applaudis ceux qui le font, car c'est nécessaire en termes de représentation.
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