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rétrorétineCinéma : "Philadelphia" a 30 ans !

Par Thomas Desroches le 27/12/2023
Le film "Philadelphia" a 30 ans en 2023.

[Article à lire dans le têtu· de l'hiver en kiosques ou sur abonnement] Le film où Tom Hanks incarne un malade du sida est sorti en 1993. Pour toute une génération, Philadelphia est longtemps resté l'une des rares références en termes de représentation gay grand public au cinéma.

Quand Philadelphia de Jonathan Demme sort en 1993, le sida est la première cause de mortalité chez les personnes âgées de 25 à 44 ans aux États-Unis. C’est dans ce contexte que des millions de spectateurs découvrent, au cinéma, la réalité de la maladie. Et c’est Tom Hanks, acteur déjà populaire, qui en devient le visage, incarnant Andrew Beckett, un avocat homosexuel et séropositif brutalement licencié par ses supérieurs. Il sollicite l’aide d’un avocat noir et homophobe, joué par Denzel Washington, pour faire valoir ses droits et lutter contre la discrimination dont il est victime. Le film est librement inspiré de l’histoire de Geoffrey Bowers, un New-Yorkais de 33 ans viré de son cabinet en 1986 et décédé l’année suivante.

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Quand il commence à travailler sur Philadelphia, Jonathan Demme – mort en 2017 des suites d’un cancer – sort tout juste de l’immense succès du Silence des agneaux, thriller accusé à sa sortie par une partie de la communauté queer d’être homophobe et transphobe. Certains soupçonnent le réalisateur d’avoir voulu se faire pardonner en tournant Philadelphia. En réalité, le cinéaste a lancé le projet après avoir appris la séropositivité d’un de ses amis proches.

Tom Hanks, choix inattendu

Les premières ébauches du scénario de Ron Nyswaner, par ailleurs activiste LGBTQI+, font écho aux actions d’Act-Up et à la colère des malades abandonnés par le gouvernement. Conscients qu’un script aussi militant ne passerait jamais les portes des studios, les deux hommes revoient leur plan : ils imaginent finalement un héros pacifique et adoptent un ton pédagogique, s’adressant plus au grand public qu’aux concernés.

Plusieurs stars refusent le rôle : impensable, à l’époque, de jouer un homme gay malade du sida sans risquer sa carrière. Jonathan Demme décide alors de se tourner vers Tom Hanks, connu jusque-là pour ses comédies et ses personnages de jeunes premiers. Le projet se monte principalement sur son nom et permet aux malades d’être plus visibles que jamais. Quelque 53 hommes séropositifs apparaissent à l’écran. Tous appartenaient à l’association Action Aides de la ville de Philadelphie. Un an seulement après la sortie du film, 43 sont morts. L’acteur Ron Vawter, qui joue l’un des avocats accusés, est lui-même atteint du VIH. Le studio avait refusé de l’engager pour des questions d’assurance-vie, mais Jonathan Demme obtint gain de cause. Le comédien succombe à une crise cardiaque en 1994.

Dès sa sortie, Philadelphia est un succès, qui rapporte dix fois plus qu’il n’a coûté. Nommé à cinq reprises aux Oscars, il offre à Tom Hanks sa première statuette. Trente ans plus tard, que reste-t-il du film ? Il y a d’abord son impressionnant duo d’acteurs principaux, toujours aussi populaire, mais aussi sa musique, interprétée par Bruce Springsteen et Neil Young. Et que dire de cette scène finale… Dans les colonnes du New York Times, en 2022, Tom Hanks affirme qu’il refuserait le rôle s’il se présentait aujourd’hui. Selon lui, un hétéro ne pourrait plus jouer un homme gay. Les temps ont certainement changé, mais en 1993, c’est sa popularité et son statut de gendre idéal qui permettent à Philadelphia d’exister.

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Crédit photo : TriStar