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témoignagesVIH : apprendre sa séropositivité à un jeune âge, toujours une épreuve

Par Elodie Hervé le 29/11/2023
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Malgré l'évolution des traitements qui permettent aujourd'hui de vivre normalement avec le VIH, la stigmatisation des personnes séropositives reste forte, et l'information du grand public trop parcellaire. C'est aussi pourquoi il reste difficile d'apprendre la nouvelle, en particulier lorsqu'on est jeune.

"Je venais d’avoir 18 ans. Sur mon campus, il y avait un camion de don du sang. Comme je pouvais enfin le faire, j’y suis allé", se souvient Chris, jeune homme gay de 25 ans. Quelques jours plus tard, on lui demande de revenir : "Ils avaient fait une analyse sérologique, et ils m’ont expliqué que j’étais séropositif. Je me suis effondré. C’est grâce au soutien de mes parents que je suis encore là aujourd’hui, retrace-t-il. En dehors d’eux, il n’y a que mon copain qui est au courant." À ce moment, sa seule référence sur le VIH est Philadelphia, un film majeur sur la crise sida mais sorti en 1993, donc loin de ce que signifie vivre avec le virus trente ans plus tard. Moins informés que la génération précédente, et se sentant moins concernés que leurs aînés, beaucoup de jeunes d'aujourd'hui se retrouvent par conséquent démunis lorsqu’ils découvrent leur séropositivité.

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Dan, 21 ans, l’a appris lors d’un test rapide (Trod) réalisé à l'association Aides en février : "Je me suis effondré, je n’entendais plus rien et j’ai cru que c’était terminé pour moi, que je ne pourrais plus faire de sport, et que j’allais être malade tout le temps." Même choc pour Philémon, 23 ans : "Quand j’ai découvert ma séropositivité en 2021, j’ai cru que j’allais mourir. Je venais de voir le film 120 Battements par minute, et pour moi la situation était toujours la même. En plus, ma mère avait perdu des amis pendant la crise du sida… Quand je lui ai annoncé, elle a aussi pensé que c’était fini."

La jeunesse manque d'info sur le VIH

Les moins de 25 ans représentent environ 14% des 5.738 personnes qui ont découvert leur séropositivité en France en 2022, selon les données de Santé publique France. Et pourtant, ils ne semblent plus armés pour appréhender le sujet. "Le manque d’information est énorme chez les jeunes, confirme Lydie Porée, en charge du plaidoyer de la lutte contre le VIH et les infections sexuellement transmissibles (IST) au Planning familial. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités en mettant en place de grandes campagnes de communication et en faisant appliquer la loi sur les cours d’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires."

"Il y a peu de temps, par exemple, un jeune homme est venu me voir parce qu’il était persuadé qu'il avait attrapé le VIH en buvant dans le verre d’une personne qu’il ne connaissait pas."

En attendant, l’association a lancé en septembre une campagne à destination des ados : "Dépistez-les toutes !" (les IST). "Cette campagne permet d’avoir des messages clairs comme «se faire dépister c’est prendre soin de sa santé», explique Camille Beau, animatrice de prévention au Planning familial de Paris. On veut aussi déconstruire les clichés qui entourent les IST. Il y a peu de temps, par exemple, un jeune homme est venu me voir parce qu’il était persuadé qu'il avait attrapé le VIH en buvant dans le verre d’une personne qu’il ne connaissait pas. C’est très bien qu’il fasse la démarche de venir se faire tester, mais son angoisse était très forte alors qu’il n’y avait bien sûr aucun risque de transmission."

Au niveau mondial, le nombre de personnes vivant avec le VIH continue d’augmenter : en 2020, quelque 410.000 jeunes de moins de 24 ans ont appris leur séropositivité. “Si les tendances actuelles se poursuivent, il y aura encore quelque 183.000 nouvelles infections à VIH par an chez les adolescents en 2030”, alerte l’Unicef, qui appelle à intensifier la prévention auprès des jeunes publics.

Farès a lui aussi appris sa séropositivité avant ses 25 ans, après un test revenu positif en mai. "Je ne m'y attendais pas. Je suis en couple avec mon copain depuis quatre ans, c’était le premier, raconte-t-il. Dans ma tête, je ne pouvais pas être concerné. Devoir annoncer à la personne que l’on aime qu’on est séropo, et donc qu'elle l'est probablement aussi puisque je n'étais pas traité, c’est la chose la plus difficile que j’aie vécue." Pour Benoît, 26 ans, l’annonce à son copain fut également une étape difficile : "Avant de faire le test, je blaguais sur le fait que j’étais positif. Mais j’ai beaucoup moins rigolé quand on m’a annoncé le résultat de l’analyse. J’ai envoyé un long message à mon copain pour lui expliquer. Il a fait un test, qui s’est heureusement révélé négatif. Mais je ne me voyais pas lui imposer ça, je ne voulais pas qu’il vive avec cette crainte d’attraper le VIH. Alors j’ai rompu." Deux ans se sont écoulés et les deux garçons vivent désormais ensemble. "Je me suis rendu compte à quel point mes amis et moi on était à la ramasse, reconnaît Benoît. Avant de découvrir que j’avais le VIH, je n’y connaissais rien. J’en avais certes entendu parler mais je n’étais pas au fait des évolutions, notamment sur les traitements."

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Indétectable = Intransmissible

Les traitements modernes permettent en effet de vivre normalement avec le VIH, et de ne pas le transmettre. Au bout de deux mois, le virus est ainsi indétectable dans le sang de Benoît, et donc intransmissible. "Mais j’y pensais quand même souvent, rapporte-t-il. Il m’a fallu plus de six mois pour reprendre une vie sexuelle. J’ai demandé à mon copain de prendre la PrEP et d’utiliser des préservatifs à chaque rapport. J’avais très peur de lui transmettre le VIH, même si je sais que ce n’est pas possible. Aujourd’hui, je suis sous injection [tous les deux mois, traitement disponible depuis 2022], mais j’ai préféré qu’on attende quatre mois avant qu’il arrête la PrEP, histoire d’être sûrs."

"Même si la crise du sida est passée, le stigmate du VIH reste fort. Et cela enferme les personnes séropositives dans une solitude écrasante."

Caroline Janvre, psychologue et sexologue notamment auprès d’Action traitements, recommande de ne pas rester seul face au VIH : "Même si la crise du sida est passée, le stigmate du VIH reste fort. Et cela enferme les personnes séropositives dans une solitude écrasante. Que ce soit via les réseaux sociaux, des associations ou des groupes de parole, il est important de briser l’isolement et de rappeler qu’une fois sous traitement, on ne peut plus transmettre le VIH." Déplorant le manque de représentation de personnes vivant avec le VIH, Benoît a lancé un podcast, et Dan s’est engagé à Aides. "Même pour accepter que j’étais indétectable et donc que je ne pouvais pas transmettre le VIH, il m’a fallu beaucoup de temps et de longues séances avec une sexologue, raconte ce dernier. Aujourd’hui j’ai envie d’aider à ma manière. Et de faire passer le message que les jeunes ne sont pas immunisés. Mais que ça va aller : aujourd’hui on vit avec le VIH et on vit bien."

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>> Ressources et info sur le VIH :

- Vers qui se tourner :
Les CeGIDD, Aides, Act-Up, le Sidaction, Gabr·iel·le, Actions Traitements, le Planning familial, le Checkpoint Paris, Sida Info Service, Sexosafe

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Crédit photo : Magali Cohen / Hans Lucas via AFP