Romuald, connu dans la littérature scientifique comme le "patient de Genève", est la sixième personne au monde en rémission du VIH après une greffe de moelle osseuse. Son cas n’est que peu réplicable : ces greffes, réservées aux traitements de maladies rares, sont particulièrement lourdes et risquées, et les médecins ne les réalisent qu’en dernier recours.
- Pourquoi vouloir parler dans têtu· ?
Mon message premier est pour la communauté, qui a été décimée par le sida. Si mon exemple est difficilement réplicable, je souhaite tout de même incarner une forme d’espoir de guérison après une période qui a été si dure à vivre. Et puis c’est un beau magazine avec des articles de fond, de belles photos, de beaux garçons !
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- Quand avez-vous contracté le VIH ?
J’ai été infecté à l’âge de 17 ou 18 ans. J’étais en terrible manque d’affection de la part de parents qui, au fond, n’en étaient pas, avec une mère qui nous a abandonnés ma sœur et moi. Je traînais dans la rue, j’allais de bar en bar à Genève, en Suisse, et trouvais une espèce de nouvelle famille dans les bras des garçons. C’est ainsi que j’ai été infecté. À l’époque, je faisais du mannequinat, et mon agente était la seule personne à qui je pouvais parler de cela. Je me souviens très précisément de ce jour de 1990. Il pleuvait, je suis entré dans une cabine téléphonique pour l’appeler. Et je me suis mis à pleurer.
- Comment s’est passée votre prise en charge médicale à l’époque ?
Déjà, le médecin que j’ai trouvé m’a rassuré, et j’ai rapidement bénéficié d’antirétroviraux efficaces. Je n’ai donc pas eu à vivre la période de l’AZT, et à me réveiller en pleine nuit pour le prendre. Mon traitement n’occasionnait pas d’effets secondaires : je prenais simplement ces deux petits cachets par jour pour faire taire le VIH. J’ai pu continuer le mannequinat un temps, mais j’ai progressivement perdu la vue après un décollement de rétine et un glaucome, qui n’ont rien à voir avec le VIH. J’ai été opéré à de nombreuses reprises, ce qui fait que j’ai passé beaucoup de temps à l’hôpital. J’ai alors commencé à écrire des chansons que j’ai interprétées en Suisse.
- Quels rapports entreteniez-vous avec le militantisme antisida qui se développait ?
J’entendais parler d’actions impressionnantes et parfois radicales, mais mon handicap m’empêchait d’être militant. En revanche, j’ai voulu participer à des essais cliniques dès les années 1990. Aujourd’hui, on me prélève chaque mois une vingtaine de tubes de sang qui sont analysés par l’Institut Pasteur, à Paris. C’est un comble, mon sang voyage plus que moi !
- En 2018, après avoir constaté une grosseur dans le cou, vous apprenez que vous avez une leucémie…
Je suis un mille-feuille médical : une couche de ci, une couche de ça… Après un mois d’examens, on a découvert qu’il s’agissait d’un sarcome myéloïde, une maladie rare qui nécessite une greffe de moelle osseuse, sans quoi les médecins me donnaient à peine six mois à vivre. L’équipe médicale avait en tête les quelques patients séropositifs qui avaient guéri du VIH grâce à ce type de greffe, quand la moelle possède la mutation protectrice CCR5-delta 32. La transplantation qui m’était proposée ne la comportait pas, mais mon objectif était de survivre à cette leucémie, pas la disparition du VIH. Et il fallait aller vite. On a rapidement trouvé un donneur, compatible à 90%, ce qui dans mon cas était plutôt faible. En parallèle de la greffe, j’ai fait des radiothérapies, des chimiothérapies… On a détruit toutes mes défenses immunitaires pour que j’en recrée de nouvelles. Semble-t-il que ce faisant, mon corps s’est attaqué aux cellules porteuses du VIH et les a supprimées. C’était très difficile, j’ai passé trois mois dans une chambre stérile que je ne connaissais pas : je me prenais les pieds dans les branchements et les perfusions, j’étais totalement déboussolé… C’est de savoir qu’à quelques mètres, dans une unité pédiatrique, des enfants luttaient comme moi contre la leucémie qui m’a donné du courage.
- Les cellules souches de la moelle osseuse ont modifié l’ensemble de votre organisme. Comment avez-vous vécu ce changement ?
Modifier mes cellules souches a également transformé mon groupe sanguin. J’ai aussi changé pendant quelques mois de couleur de cheveux, qui sont devenus bruns et frisottés, au lieu de blonds et ondulés. J’ai vécu ça comme une renaissance – d’ailleurs, comme le donneur est plus jeune que moi, on peut dire que j’ai rajeuni ! J’ai eu l’autorisation de le remercier dans une lettre, une seule, comme le prévoit la réglementation. C’est grâce à lui que je me réveille tous les matins, alors c’était très frustrant de ne pas pouvoir le remercier davantage. Ma manière de le faire, c’est de conseiller à tous de se renseigner sur le don de moelle [celui-ci peut se faire par don du sang, voir le site de don de moelle osseuse].
- Comment avez-vous pris la décision d’arrêter les antirétroviraux ?
Ma plus grande peur était que le VIH réapparaisse, mais ça n’a jamais été le cas. À force de prises de sang très poussées qui ne trouvaient plus de trace du virus, mon médecin m’a proposé d’arrêter mon traitement. Évidemment, c’était une décision très difficile à prendre, car je supportais très bien les antirétroviraux et ils représentaient un filet de sécurité. Mais tout arrêter permettait de faire avancer la science, et l’opportunité de savoir si j’étais guéri du VIH était très tentante. Je ne prends plus de traitement depuis le 16 novembre 2021 et on ne trouve toujours pas de trace de virus dans mon organisme.
- Aujourd’hui, quelle est votre relation avec les médecins ?
Le plus cocasse, c’est que je suis nosocomephobe : j’ai une peur bleue des hôpitaux. Mais j’ai trouvé des équipes formidables, pour qui j’ai beaucoup de respect. Je suis très heureux de les voir, comme celles de l’Institut Pasteur, à Paris, où j’ai pu rencontrer Françoise Barré-Sinoussi, la codécouvreuse du VIH. Imaginez que lorsque j’ai été contaminé, on n’en était qu’au début de la connaissance du virus, et aujourd’hui j’en suis guéri.
- Et votre vie sexuelle ?
Avant ma leucémie, j’ai beaucoup fréquenté les saunas, où j’ai été étonné de l’absence de prévention et des clients qui ne se protégeaient pas. Je perçois une forme de banalisation du VIH, comme s’il ne s’agissait pas d’une infection grave. Aujourd’hui, si je devais de nouveau avoir des relations, je ne serais pas tranquille. Je continuerais de mettre un préservatif, en plus de prendre la PrEP, par sécurité. Je suis un peu tétanisé : imaginez la tête de mes médecins si je revenais les voir avec un nouveau VIH !
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Crédit photo : Tristan