théâtre"La Fête du slip" : "J'ai voulu prendre le mâle à sa fameuse racine qu'est la verge"

Par Aurélien Martinez le 05/06/2024
Mickaël Délis

Le Premier Sexe hier, La Fête du slip aujourd'hui : seul en scène, le comédien Mickaël Délis continue de questionner frontalement la masculinité, notamment gay, en prenant cette fois pour sujet d'étude… le pénis. Son nouveau spectacle, intelligent et drôle, est à voir en ce moment à Paris puis cet été à Avignon.

Il est seul sur le plateau mais, comme dans Le Premier Sexe, son précédent solo contre la "grosse arnaque de la virilité", il convoque à ses côtés toute une galaxie de personnages à qui il donne corps et voix. Avec La Fête du slip ou le pipo de la puissance, Mickaël Délis continue de démonter les assignations de genre, en partant cette fois du pénis. Dans une scénographie sobre habitée de néons phalliques sans cesse détournés, le jeune quadragénaire captive de bout en bout avec un sens du jeu précis et pas mal de références culturelles et historiques. Surtout, il se met à nu en usant de l'autofiction, évoquant frontalement des années d'addiction au sexe, son père récemment décédé ou encore sa quête de bonheur et d'apaisement. Des matières à questions, auxquelles il a répondu à l'issue d'une représentation.

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Comment est né ce spectacle, deuxième volet de ta trilogie sur la masculinité intitulée La Trilogie du Troisième Type ?

Après avoir fait, dans Le Premier Sexe, une sorte de focus sur le genre et la construction de l’identité masculine, j’ai voulu zoomer davantage. J'ai donc décidé de prendre le mâle à sa fameuse racine, cette pierre angulaire qu'est la verge, avec tout ce que cela recouvre de questionnements sur la puissance, la force, la performance, l’endurance…

Avec un tel point de départ, sujet inépuisable de blagues, tu aurais pu livrer un spectacle léger voire graveleux qui ferait simplement rire. Or, c’est plus que ça…

Même si mon spectacle est aussi drôle, je l'espère, j’avais envie que le slip, généralement associé à des images bas du front – j’ai toujours en tête l'affiche de Jean-Marie Bigard avec sa moule –, soit également un élément de réflexion théorique, historique et critique. Le titre, c'est une façon de jouer sur des éléments de langage, une expression un peu grotesque et populaire comme porte d'entrée vers quelque chose d'autrement plus profond et exigeant.

À l'inverse, La Fête du slip aurait pu être un spectacle théorique assommant, ce que tu évites en partant de ton expérience.

Depuis Le Premier Sexe, j’ai l’impression que j’ai trouvé un bon modus operandi en apportant de la réflexion au public par le biais de l’intime et de l’autofiction. Car on est beaucoup à avoir traversé des choses communes : l’humiliation ou le rejet quand on est ado dans Le Premier Sexe, les injonctions à la réussite et à la performance quand on est adulte dans La Fête du slip. Cette porte d’entrée qu’est l’intime permet, je crois, de toucher à l’universel.

Tu vas loin dans la mise à nu, en évoquant par exemple ton addiction au sexe. Ne craignais-tu pas d’être impudique voire de te faire juger ?

C’est un point de vigilance qu’on a eu avec mes collaborateurs artistiques. Papy [metteur en scène qui a notamment découvert Jamel Debbouze, ndlr] a eu cette très bonne idée de me dire que lorsque je me livre sur ce sujet qui, potentiellement peut mettre des gens mal à l’aise, je dois le faire avec une sorte de candeur, pour rendre le moment invitant. Mon frère jumeau David Délis, qui a collaboré au projet, a quant à lui proposé cet accueil du public simple, en jogging-chaussettes, pour convier à la maison ou dans le salon et proposer une entrée en matière toute douce. J'utilise également l’autodérision, qui permet de désamorcer plein d'aspects : ok, dès l’introduction je fais le bonhomme, je dis que j’ai eu plein de mecs, que je gère, mais c’est très vite contrebalancé par des points de vue contradictoires comme celui de ma mère qui se demande si je suis malade, de médecins qui trouvent qu’un truc cloche…

Là encore, tu fais d’un constat intime une réflexion plus générale.

Cette addiction raconte des injonctions archipatriarcales, archicapitalistes de réussite, d’efficacité, de consommation… Ce truc du mec qui assure et qui additionne, on y est confrontés partout : dans les représentations pornographiques, évidemment, mais aussi ailleurs, dans l’architecture, le cinéma, la littérature… On le voit d'ailleurs dans le langage, avec une façon de parler de sexe extrêmement martiale, dans la conquête permanente. Ce sont notamment, au sein du monde gay, les mots actif et passif, avec un passif défini comme soumis, chienne, toujours associé à un féminin péjoratif à dominer.

Le but c'est donc de déconstruire tout ça sans (te) juger ?

C’est exactement ce que je dis dans le final du spectacle. Cette période de ma vie m’a fait grandir à plein d’endroits. Nombre des hommes avec qui j’ai baisé ne serait-ce qu’une fois sont aujourd’hui des amis merveilleux. Tous ces amants, à 99%, m’ont fait grandir. Il n’y a absolument pas l’ombre d’une condamnation. J'ai simplement cherché à comprendre les mécanismes de cette hyperconsommation qu’on peut aussi retrouver dans la drogue. Certes, avoir vu 300 mecs dans le mois te donne un sentiment de puissance, mais peut te faire sentir très seul.

Après La Fête du slip, de quoi parlera La Paillette de leurs vies ou la paix déménage, le dernier volet de ta trilogie, qui sera créé en mai 2025 ?

Si je continue mon effet de zoom, après la verge je vais aller sur les testicules et leur contenu – le sperme. Avec donc les questions de transmission, d’héritage, de paternité. Je suis parti d’un parcours de don de sperme que j’ai lancé l’an dernier qui a fait bouger pas mal de choses en moi, notamment sur l’envie que j’ai longtemps eue d’être papa. Le décès récent de mon père m’a aussi chamboulé sur ces enjeux. Comme avec le pénis, j’espère avec le sujet a priori léger du sperme pousser la réflexion et inviter tout le monde à la prendre en charge.

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>> La Fête du slip, à Paris au théâtre de la Reine blanche jusqu'au vendredi 14 juin (possibilité de voir les deux volets à la suite le 9 juin), puis à Avignon au théâtre de la Reine blanche Avignon du 3 au 21 juillet à 21h45.

>> Le Premier sexe, à Avignon au théâtre de la Reine blanche Avignon du 3 au 21 juillet à 20h15, puis à Paris à la Scala du 17 septembre au 27 novembre les mardis et mercredis à 19h15. En tournée de novembre à mai.

Crédit photo : Marie Charbonnier