Le coming out de Brenda Biya, la fille du président en place depuis 41 ans, est porteur d'espoir au Cameroun. Shakiro, femme transgenre réfugiée en Belgique, espère que cela conduira à la fin de l'homophobie d'État.
L'homophobie d'État au Cameroun a été défiée en plein cœur du pouvoir. Brenda Biya, la fille du président nonagénaire, a fait son coming out lesbien dimanche 30 juin depuis la Suisse. "Je suis folle de toi, et je veux que tout le monde le sache", écrit-elle dans un post Instagram où elle embrasse sa compagne. Si son histoire d'amour a depuis, selon ses mots, tourné au vinaigre, il n'empêche que l'annonce de son coming out est porteuse d'espoir. Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, l'article 347 bis du Code pénal prévoit jusqu'à cinq ans de prison pour toute personne qui aurait des rapports sexuels avec un individu de même sexe.
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Shakiro a été arrêtée et condamnée en 2021 sur ce motif. Mais, après six mois de détention, cette femme transgenre a pu se réfugier en Belgique où elle a obtenu un visa humanitaire. Après l'annonce de Brenda Biya, elle a souhaité témoigner du vécu des personnes LGBTQI+ au Cameroun et partager ses espoirs de changement.
- Comment avez-vous été arrêtée ?
Shakiro : J'étais au restaurant à Douala [la capitale économique] avec une autre femme trans quand quelqu'un nous a dénoncées auprès de la police, prétextant que nous étions bizarres. Au Cameroun, on peut être poursuivi en flagrant délit pour homosexualité : le seul fait d'avoir une démarche efféminée est un motif suffisant pour être arrêté. Généralement, on s'en sort en donnant 100 euros aux policiers. Mais je parle de sujets LGBTQI+ sur les réseaux sociaux, et c'est pour cela que les forces de l'ordre voulaient m'arrêter. Je faisais pourtant toujours attention de ne parler que de ma transidentité, qui n'est pas pénalisée, et jamais d'homosexualité.
- Comment s'est passée votre garde à vue ?
Les policiers m'ont demandé de déverrouiller mon téléphone pour chercher des "preuves" de mon homosexualité. J'ai refusé, contrairement à mon amie qui avait des nudes dans son téléphone. La garde à vue a été très rapide puisque j'ai été déferrée devant un tribunal dès le lendemain.
Je n'ai pas eu accès à un avocat et j'ai été condamnée à la peine maximale pour homosexualité : cinq ans. La détention était terrible, inhumaine. Imaginez une femme trans au milieu de milliers de détenus hommes qui n'ont jamais de contact avec des femmes. Je ne compte même plus le nombre de fois où j'ai été violée, ce qui m'a permis d'être libérée sous caution après six mois de détention. Je n'aurais pas survécu cinq ans derrière les barreaux.
- Vous avez pu faire appel de votre condamnation ?
J'ai effectivement fait appel, mais la sentence a été confirmée. Heureusement je m'étais entre-temps réfugiée au Nigeria. Mais là-bas, je n'étais pas en sécurité puisque l'homosexualité y est passible de la peine de mort. Je suis allée au Bénin, puis au Togo. On m'a mis en relation avec Sarah Schlitz, qui était alors secrétaire d'État à l’Égalité des genres en Belgique, et un jour j'ai reçu un message de l'ambassade belge me proposant de remplir un dossier pour obtenir un visa humanitaire. Je suis arrivée à Bruxelles le 25 janvier 2023.
- Avez-vous gardé des liens avec le Cameroun ?
Mon père est mort d'un AVC deux mois après ma libération sous caution. C'était quelqu'un de très tolérant qui m'a acceptée telle que je suis. Je téléphone tous les jours à ma mère qui pourra venir me voir au mois d'août. J'envoie aussi de l'argent à un jeune homme de 18 ans qui a également été arrêté arbitrairement et condamné à onze mois de prison pour homosexualité.
- Que représente le coming out de Brenda Biya ?
Son coming out lesbien, alors qu'elle est la fille du président en place depuis 41 ans, est historique, c'est une révolution. C'est le meilleur coming out de tous les temps. Le Cameroun est l'un des pays les plus homophobes de la planète et elle vient expliquer que, dans la famille de la personne la plus respectée, on compte aussi des personnes homosexuelles. En tant que président et législateur, Paul Biya doit maintenant abolir la répression et libérer tous les homosexuels en prison. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures, et j'imagine que l'amour de sa fille le fera changer de regard sur l'homosexualité.
- D'où vient l'homophobie du Cameroun ?
La famine : les gens ne sont pas rassasiés, ce qui conduit à de la frustration. Il faut des relations pour obtenir un travail et trouver des boucs émissaires permet de faire diversion. Par ailleurs, la Bible apprend à détester les homosexuels. Les Camerounais sont tellement ancrés dans la religion qu'ils suivent la Bible avant toute autre règle.
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Crédit photo : Instagram @Shakirolastarr