À l'école, pour beaucoup de personnes LGBTQI+, les cours d'EPS (éducation physique et sportive) étaient abhorrés, voire craints. Ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'on déteste le sport ! Une fois les traumas dépassés, beaucoup d'entre nous retrouvent avec plaisir sa pratique, et peuvent se délecter de regarder les Jeux olympiques.
C'est jeudi, le jour du cours de sport. Le sac n'est pas lourd mais prend de la place, en plus il pue toujours un peu. Juste après le repas du midi, on se retrouve au vestiaire en sous-vêtement, c'est-à-dire en se sentant nu face aux regards des autres, avant d'enfiler un short, un t-shirt et des baskets premier prix. Et puis on court, on sue, on tombe, on rate un tir, on loupe la balle… C'est jeudi, le pire jour de la semaine.
Au collège et au lycée, pour beaucoup d'entre nous, les heures d'éducation physique et sportive (EPS) constituaient la promesse hebdomadaire de brimades, voire de harcèlement ou même de violences. "Les cours de sport étaient avant tout un apprentissage de l'humiliation", témoigne ainsi Martin, 49 ans, qui explique ne jamais avoir su gérer l'ambiance de virilité abusive régnant dans les vestiaires et sur les terrains. "J'ai toujours eu du mal à me positionner par rapport aux attendus sociaux à l'égard des garçons, et je n’avais pas cette espèce d’esprit de domination et cette confiance en soi que je voyais chez les autres mecs, abonde Tony, 36 ans.
Le moment des équipes
Pire épreuve qui revient dans de nombreux souvenirs d'adolescence queer, le fameux moment de la constitution des équipes pour les sports collectifs. "J'étais toujours celui qui était choisi en dernier lors de la constitution des équipes, reprend Tony. Je finissais souvent par me retrouver dans les équipes de filles, ce qui était jugé comme dégradant par les autres garçons, dont je subissais les moqueries. C’était infernal." Des moments d'autant plus difficiles à vivre que l'institution scolaire ne prend pas toujours en considération les jeunes qui ont du mal en EPS. Combien d'entre nous ont subi des profs qui, non contents de traiter avec un ostensible mépris les nuls en sport, alimentaient à leur endroit les rires gras du groupe ? "Les cours d'EPS m’ont vraiment appris la masculinité toxique et fait prendre mes distances avec les groupes de mecs", souffle Tony.
"Je cherchais tous les moyens du monde pour me faire dispenser."
Et puis il y a, à l’adolescence, quelque chose de presque identitaire à aimer le sport ou non. "Dans mon école, il y avait deux camps, ceux qui écoutaient du rap et étaient mauvais en tout sauf en sport, et ceux qui écoutaient du métal, aimaient les maths et détestaient le sport, note Olivier. J'étais dans cette dernière catégorie, clairement l’intello de service. Alors si le sport ne m'aimait pas, je ne faisais rien non plus pour l'aimer. Je cherchais tous les moyens du monde pour me faire dispenser." Quant à l'esprit de compétition, ce n'est pas pour tout le monde non plus. "J’aimais surtout lire, aller sur l’ordinateur, passer du temps avec les adultes. Et lorsque je prenais goût à une l’activité physique, c’était parce qu’elle me permettait de ressentir, de planer… se souvient Alex, 30 ans. Ce qui n’arrivait jamais évidemment en cours puisqu’il s’agissait le plus souvent de chercher à battre quelqu’un. J’étais du genre à dire « allez on ne compte pas les points ». Mais ça n'intéressait personne."
Évidemment, le stigma a été d’autant plus important pour les jeunes qui, jugés trop frêles, trop gros ou trop petits, ne répondaient pas aux standards corporels. "Ces cours n'étaient jamais adaptés à ce que j’étais capable de faire, c'était grossophobe. Rien n’était fait pour nous encourager", explique Yann, 32 ans. Alex confirme : "J'avais beaucoup d'asthme, j'étais considéré comme gros et je me sentais en décalage par rapport aux autres garçons. En plus, j’avais une peur absolue de l'eau. Tout cela me valait des moqueries, parfois même de la part de mes professeurs."
Une autre rencontre avec le sport
Malgré ces mauvais débuts, toutes les personnes interrogées dans cet article pratiquent aujourd'hui une activité sportive. Pour y revenir, il leur a fallu un déclic. "Après le bac, j'ai pris une année sabbatique durant laquelle j'ai trouvé un CDD en voile-aviron sur une yole [un petit bateau à voile traditionnel], raconte ainsi Tony. Il y avait un excellent capitaine qui dirigeait bien son équipage, un sens réel et concret de l'effort et de la coopération. Cela m'a fait découvrir un tout autre aspect du sport et de la compétition." Pour Alex, le changement s’est opéré avec la découverte du yoga : "J’ai commencé à pratiquer lors d'un voyage en Irlande. J'ai réalisé que l'on pouvait avoir une activité physique où l'on n'est pas soumis au regard et au jugement des autres et où il n’y a pas de compétition. C'était libérateur ! Ensuite, je me suis mis à aimer la natation en me baignant un jour par hasard quand je parcourais l'Allemagne en stop. Apparemment, le canal du Danube me faisait moins peur que les piscines scolaires !"
D'autres se sont mis au sport pour des raisons d'apparence, dans le but de s'affiner ou de prendre du muscle. "J'ai commencé la musculation avant tout pour des questions d'image, pour maigrir et gagner du muscle, et peu à peu j'y ai pris goût", confie Sasha, 36 ans. Gamin, Lorenzo était moqué pour son apparence fragile. Adulte, il a voulu se façonne ce qu'il considérait comme un corps désirable : "Un peu par curiosité, j'ai commencé par un sport de combat : ça répondait à mes envies à la fois de pratique individuelle, d'extériorisation de la colère et d'apprentissage d'un moyen de défense. Petit à petit j'ai tenté d'autres disciplines. Aujourd'hui, il est rare que je passe une journée sans avoir d'activité sportive."
"Le sport a quelque chose de profondément émancipateur."
Au-delà des questions d'apparence, le sport engage aussi le rapport à soi : "J'ai longtemps souffert de troubles du comportement alimentaire et j'avais pris beaucoup de poids, témoigne Noa, personne transmasc non-binaire. Pendant le premier confinement, faire du renforcement musculaire à la maison m'a permis de me réapproprier mon corps." Aujourd'hui, Noa entretient son goût pour le sport en pensant à son fils : "Pendant ma grossesse et après sa naissance, j'ai eu envie d'être en forme, pas tant pour l'apparence que pour rester en bonne santé et pour pouvoir faire plein de choses avec lui quand il sera grand."
L'activité sportive ne fait pas seulement du bien au corps : elle détend, vide la tête, libère de l'endorphine… "Il y a un an et demi, j'ai fait un burn out et une dépression, relate Martin. J'étais au plus bas. En parallèle à une psychothérapie et à la prise d'antidépresseurs, je me suis mis à la course à pied. Cela m'a tout de suite fait beaucoup de bien. Et même si ça se pratique seul, il y a une chouette solidarité entre coureurs. Le sport a quelque chose de profondément émancipateur." À condition qu'il soit pratiqué en confiance, loin des moqueries et des clichés !
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