Loin des fantasmes, Nicolas Cartelet fait revivre l'homosexualité de la Grèce antique dans Sous la jupe d'Achille, aux éditions La Musardine, depuis celle, codifiée, de la pédérastie aristocratique, jusqu'aux frasques des dieux de l'Olympe.
"Pédé comme un Grec" : même les homophobes soulignent la place qu'avait l'homosexualité dans la Grèce antique. Tout le monde la connaît, mais tellement mal : on la fantasme comme on la caricature. Partant de ce constat, Nicolas Cartelet, responsable éditorial aux éditions La Musardine, a fait œuvre de pédagogie en écrivant Sous la jupe d'Achille, l'homosexualité grecque, entre mythe et histoire, qui vient de paraître.
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Le thème est vite sujet à controverse, car la pédérastie est trop souvent assimilée à la pédophilie. En réalité, il s'agit dans la Grèce antique d'un système éducatif propre à l'aristocratie entre un homme adulte et un jeune homme qui ressemble plus à un twunk qu'à un twink : c'est un guerrier en devenir. S'il y a bien un écart d'âge au sein du couple, leur type de relation, non essentiellement sexuelle, est à replacer dans son contexte historique, c'est-à-dire dans une société où la masculinité, la citoyenneté et la transmission intergénérationnelle sont centrales.
On savoure dans la deuxième partie du livre les histoires de ces couples réels et mythologiques qui parcourent la société grecque antique : Zeus et Ganymède, Achille et Patrocle, Socrate et Alcibiade…
- "Pédé", qui est sûrement l'insulte qu'on a le plus entendu, vient de "pédéraste". Qu'en était-il dans la Grèce antique ?
Le glissement conceptuel sur le mot "pédérastie" s’est fait à partir du XIXe siècle alors qu’on redécouvre le monde antique : on l'assimile à une insulte et à la pédophilie. Alors que dans la Grèce antique un homme de 45 ans n'allait pas séduire un garçon de 12 ans ! En réalité, beaucoup de sociétés anciennes considéraient l’homosexualité comme banale, et la vie sexuelle n’y était pas blasphématoire.
- Que recouvre la pédérastie dans la Grèce antique ?
Il s’agit d’un échange entre deux personnes : un "éromène", qui peut avoir entre 14 et 20 ans, et un "éraste", un adulte qui a généralement entre 20 et 30 ans. C’est une relation qui n’est pas simplement sexuelle, mais essentiellement pédagogique où l’éraste forme l’éromène à la citoyenneté, c’est-à-dire à la fois intellectuellement, politiquement et militairement. Leur lien est très fort, il peut relever de l’amour passionnel. Par exemple, lorsque Hephaistion, le partenaire d’Alexandre le Grand, meurt, ce dernier est dévasté, fonde un culte à sa mémoire et fait crucifier son médecin… C’est dire si cette relation était forte.
- C'était une pratique courante ?
On a de multiples représentations de la pédérastie, que ce soit sur les vases, qui étaient volontiers érotiques, ou dans les textes, notamment de la période classique (autour du IVe et Ve siècle avant l'ère chrétienne). C’était une pratique essentiellement aristocratique – même si on se doute qu’il y avait de l’homosexualité dans les classes populaires, on n’en a pas vraiment de traces aujourd’hui –, notamment car les nobles restaient essentiellement entre hommes dans cette société où les femmes étaient enfermées au foyer. L’aristocratie grecque magnifiait la beauté virile.
- Ce n’est donc pas la féminité d’un jeune homme qui était recherchée ?
L’une des conditions pour devenir éromène, c’était de ne pas avoir de poils. Mais l’éromène par excellence, c’est quelqu’un de musclé, bronzé, avec de belles cuisses – ça, c’est quelque chose qui faisait craquer les Grecs, ils en étaient obsédés. En Grèce antique, l’homosexualité n’était absolument pas synonyme de perte de virilité. On a d'ailleurs des exemples d'armées constituées de couples homosexuels, comme le Bataillon sacré de Thèbes : on considérait que protéger son mec était une source de motivation forte pour combattre.
- Comment l’éraste draguait-il son éromène ?
L’aristocratie grecque concernait seulement quelques familles, donc tout le monde se connaissait. Généralement, l’éraste repérait son éromène au gymnase, et c’est là qu’il le séduisait. Les textes sont empreints du vocabulaire de la chasse pour qualifier cette séduction. L'éraste faisait étalage de ses compétences oratoires mais aussi physiques, montrant en somme qu’avec lui l'éromène pourrait devenir un bon citoyen, respecté de tous. La drague durait plusieurs années pendant lesquelles les deux apprenaient à se connaître. Dans le cadre de la séduction, l’éraste offrait des cadeaux à son éromène – un coq, par exemple.
- Comment qualifier l’inégalité de cette relation ? Est-ce de la domination ?
Le jeune homme était dominé intellectuellement et physiquement par l’éraste. Il était censé ne rechercher qu’une bonne formation de citoyen. D’ailleurs, dans les relations sexuelles, il ne devait ni jouir, ni prendre de plaisir. Pour autant il est faux de croire qu’il n’était que soumis : l’éromène pouvait jouer de sa beauté pour susciter le désir. Le couple par excellence c’est Socrate et Alcibiade, où ce dernier savait très bien se faire désirer par son éraste. Par ailleurs, tous les jeunes hommes ne passaient pas à la casserole : il y avait d’autres moyens de se former à la citoyenneté…
- C'est très éloigné de notre homosexualité… Il pouvait y avoir l’idée de famille dans cette forme de couple ?
On peut voir la pédérastie comme un rite initiatique que l’on trouve dans de nombreuses sociétés, avec un idéal marqué pour le citoyen-soldat qui va protéger son peuple. Les Grecs ne pensaient pas que ces valeurs de virilité pouvaient se transmettre au sein de la famille, et notamment par les femmes. C’est d’ailleurs sans doute parce que la société grecque enfermait ses femmes que les relations fortes entre hommes, dont la pédérastie, ont pu se développer à ce point. Chez les Grecs, il était néanmoins mal vu de continuer à nourrir des relations homosexuelles passé 30 ans, quand il était temps de fonder un foyer.
- Les dieux pratiquent aussi beaucoup le sexe entre hommes ! Y compris avec des humains…
Les mythes grecs sont des histoires racontées par les hommes et qui nous en disent davantage sur eux que sur les dieux de l'Olympe. Ces deniers partagent les mêmes passions, et notamment la pédérastie. Mais ce n’est pas toujours au bénéfice des humains : Ganymède est certes l’éromène de Zeus et accède ainsi à l’immortalité mais, ce faisant, il ne peut plus grandir et donc devenir citoyen : il reste éternellement mineur. D'ailleurs lorsque Pelops, enlevé par Poséidon, redescend sur terre, c’est plutôt considéré comme une chance que l’inverse.
Sous la jupe d'Achille, l'homosexualité grecque, entre mythe et histoire, de Nicolas Cartelet. Éditions La Musardine. Déjà disponible.
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Crédit photo : Nicolas Cartelet / La Musardine