GrèceEuroPride à Thessalonique : "Nous devons mettre les conservateurs de notre côté"

Par Nicolas Scheffer le 05/07/2024
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Cette année, l'EuroPride a mis le cap à Thessalonique, dans le nord-est de la Grèce, dans un pays conservateur qui change rapidement.

Photographies : Xavier Murillon pour têtu·

Les yeux de Yorgos pétillent. Il s'est démené pour que la toute première Pride de Thessalonique devienne une réalité il y a douze ans, et ce 29 juin la ville accueille l'EuroPride. Il se félicite que la seconde ville de Grèce, au nord-est du pays, soit ce jour le cœur de l'Europe. "Même si la Grèce est un pays conservateur, il y a une histoire militante et nous voulons montrer aux autres pays que nous nous battons pour défendre une autre vision de la société reposant sur la liberté. Que cette Pride ait lieu est un petit exploit", souligne-t-il.

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Quelque 27.000 personnes, selon les organisateurs (plus de 10.000 selon la police), ont défilé lors de cette marche des Fiertés européenne, dont la première édition date de 1992. Dans les cortèges, on croise la youtubeuse trans Gigi Gorgeous, le lauréat de Mister Gay Europe ou encore Mister Leather Europe 2024… Pendant neuf jours, Thessalonique vit au rythme de la Pride, avec des expositions, des concerts, des shows… qui ont bénéficié de financements de la municipalité. "Les institutions n'ont pas toujours été de notre côté, que la mairie et la police nous soutiennent est une très bonne nouvelle", se félicite Aristote.

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Les festivités sont l'occasion de faire connaître l'histoire LGBTQI+ de la ville : "Elle est très mal connue, même des habitants, alors qu'elle est pourtant riche. Avec les associations locales, nous avons sauté sur l'occasion de l'EuroPride pour faire des recherches et mettre en avant ce patrimoine", souligne Christina Vraka, lors d'une visite guidée de la ville dédiée à cette histoire. Le musée d'art contemporain a réalisé plusieurs expositions en lien avec les thématiques LGBTQI+ et 21 conférences sur les droits humains se sont tenues en trois jours dans le centre-ville. "Thessalonique a toujours été une ville portuaire où il y a une grande tradition d'accueil et de métissage. La plupart des gens acceptent de revoir leur jugement et sont à l'écoute des touristes qui viennent raconter leur vision du monde et leurs histoires. Une démarche comme l'EuroPride est efficace pour faire changer les mentalités", souligne de son côté Dina, restauratrice.

Les conservateurs, avec nous !

"La société grecque est certes vieux jeu, mais elle bouge beaucoup, et plus qu'elle n'en a l'air. Même si on peu paraître peu nombreux, qu'il y ait autant de monde, c'est inédit !" remarque Héléna, professeure qui manifeste avec sa fille. En février, le mariage pour tous a été adopté par le gouvernement conservateur, et ce malgré l'opposition franche de l'Église orthodoxe. "Certes, le mariage pour tous a été adopté à des fins électoralistes quelques mois avant les élections européennes. Mais cela témoigne de quelque chose de fort : pour gagner des voix, il faut désormais donner des signes de progressisme", note Josef, un homme trans qui est né et a grandi à Thessalonique. "L'adoption du mariage pour tous apporte beaucoup d'espoir de changement. Quand le système avance, la société suit", se félicite Athina Tsagaraki, scénariste qui milite pour les droits des personnes LGBTQI+.

Si le mot d'ordre de l'EuroPride – "persévérer, progresser, prospérer" – a été critiqué pour son manque de radicalité, Apostolos Karamairis, son porte-parole, a tenu à préciser : "Notre message est simple : nous devons mettre les conservateurs de notre côté et en finir avec la pensée réactionnaire qui n'est pas en accord avec l'histoire de la ville. Thessalonique a toujours été un îlot de tolérance dans une région difficile, entre la Macédoine, la Turquie et la Bulgarie."

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Pour l'EuroPride, la police a interdit les contre-manifestations, et un homme de 34 ans a été arrêté pour avoir appelé à défiler "contre la destruction de la famille, pour résister à la junte LGBTQ". Car, en Grèce, malgré l'adoption du mariage, la société reste très conservatrice sur les sujets LGBTQI+. À Thessalonique, en mars, deux personnes trans ont été agressées par une foule en plein centre-ville. Dans les écoles publiques, il n'y a pas de sensibilisation aux sujets LGBTQI+, mais deux heures hebdomadaires sont dévolues à la religion – 80 à 90% de la population se revendique du christianisme orthodoxe, et les ecclésiastiques participent largement au débat public.

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Mais faire une marche des Fiertés européenne suppose également de prendre en compte l'interlocuteur et les spécificités locales. "Si à Thessalonique on ne voit pas beaucoup de couples gays se tenir la main dans la rue, ce n'est pas par crainte de l'homophobie, mais parce qu'ici les couples ne montrent pas de marques d'affection en public", pointe Dina. Un constat que partage Josef, pour qui, si "les gens font évidemment ce qu'ils veulent", "il faut prendre en compte le fait qu'il n'y ait pas une longue tradition de Pride à Thessalonique". À bien des égards, la marche des Fiertés n'est jamais aussi nécessaire que dans une société conservatrice.

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