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magazineLes culs nus s'exposent dans les musées

Par Hugo Spini le 12/09/2024

[Diaporama à retrouver dans le magazine de l'été] Malgré la bonne morale qui les a trop souvent cachés, les musées recèlent de magnifiques fondements mâles. On a donc demandé au créateur de contenus culturels Hugo Spini de sélectionner pour nous ses préférés.

La création artistique occidentale ayant pendant longtemps été une affaire d’hommes, nos musées se retrouvent remplis de nus féminins plus sexualisés les uns que les autres. Mais le corps masculin n’est pas absent de l’histoire de l’art, loin de là ! Sur ses puissantes épaules, il porte le poids de l’héroïsme, de la divinité ou de la morale. Doit-on en déduire qu’il n’a pas droit au désir ? Il est bien rare en tout cas de le voir représenté dans un but érotique, le regard féminin n’ayant longtemps pas eu sa place, et encore moins l’homosexualité. Musclée, rebondie, creusée, censurée… la fesse mâle s’affiche plus ou moins selon les périodes, au gré des évolutions des mœurs et des interdits qui pèsent sur les artistes, sa représentation pouvant aussi bien illustrer la virilité guerrière que l’obscène et le caricatural.

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Si on en trouve quelques traces dans l’Antiquité, c’est grâce à l’acceptation sociale de relations homosexuelles très codifiées (et liées à la domination de classe). Le nu masculin est le modèle par excellence de la statuaire grecque, repris par la suite par les Romains. Dieux, héros ou jeunes sportifs, des figures aux corps idéalisés et aux fessiers solides font étalage de la bonne santé morale des cités et de ceux qui y habitent.

Au Moyen Âge, l’homosexualité est condamnée par le christianisme, et l’érotisation des corps masculins disparaît des œuvres. On réserve alors la nudité aux représentations religieuses mettant en scène Adam et Ève. Les rares représentations de fessiers dans les enluminures servent à égailler la lecture des parchemins.

C’est à la Renaissance, avec la redécouverte de l’antique, que le nu masculin signe son grand retour. Et s’ils n’arrivent pas encore sur le devant de la scène, les derrières parviennent généralement à échapper à la censure, tandis que les petits pénis des sculptures sont parfois chastement recouverts d’une feuille de vigne en plâtre. Des artistes invertis font des pirouettes pour insuffler à leurs œuvres de l’homoérotisme, en témoigne L’Esclave mourant, de Michel-Ange, dont la posture langoureuse semble moins exprimer la souffrance qu’un soupir de plaisir… À la fin du XVIIIe siècle, l’exaltation des corps par les artistes néoclassiques français nous offre des relectures homoérotiques, mais encore sous le vernis de la morale. L’arrivée des peintures de baigneurs français et du vitalisme des pays scandinaves (promouvant les corps athlétiques tandis que l’hygiénisme se développe) offre enfin aux fesses masculines de nouvelles possibilités de se dévoiler aux regards.

Au début du XXe siècle, des femmes, que leur genre n’interdit plus à une carrière artistique, commencent à croquer des culs de mecs. Suzanne Valadon fait ainsi poser son amant à poil, au risque de provoquer les foudres de la critique. Le temps passant, la libération des mœurs et des sexualités permet aux artistes de poursuivre toujours plus loin les explorations de l’intimité et des corps politiques pour redonner aux courbes masculines leur potentiel érotique.

  • Marcellus, Kléoménes, vers -20
Crédit : GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Dans la Rome antique, les empereurs et autres personnages illustres pouvaient se faire buriner le portrait dans des “nus héroïques” empruntant parfois des attributs divins. C’est le cas de Marcellus, neveu et beau-fils de l'empereur Auguste, représenté deux ans après son décès prématuré en Hermès, le conducteur des morts. Le léger “contrapposto”, soit le déhanchement hérité de la statuaire grecque permettant de rendre la pose moins figée, met en valeur cet impérial popotin qui rejoint le podium des plus belles fesses de l’histoire de l’art.

  • Figures dans un paysage : deux jeunes nus, Luca Signorelli, 1488-1489
Crédit : Photography Incorporated, Toledo

La nudité, utilisée chastement pour des scènes religieuses ou de bain, n’est pas absente de la période médiévale. Mais les représentations de postérieurs masculins y ont majoritairement un but satirique. Il faut donc attendre les prémices de la Renaissance italienne (et avec elle, la mode des bas moulants) pour que le derrière masculin soit valorisé par l’étude anatomique, comme sur ce panneau en bois de Signorelli, lequel dépeint un jeune homme soulevant son vêtement pour dévoiler un fessier gracieusement enveloppé d’un voile transparent.

  • David, Michelangelo, 1501-1504
Wikimedia commons

Chef-d’œuvre que seule La Joconde parvient à éclipser en termes de popularité, le David de Michelangelo impose avec ses 5 m sa nudité virile inspirée des sculptures antiques. Les muscles et veines du héros biblique pulsent tandis qu’approche son combat contre Goliath. Si le “côté face” de la sculpture est certainement le plus connu (et détaillé), l’on vous recommande chaudement de faire un tour du “côté pile” de celui qui incarne la virtus fiorentina, la vertu républicaine florentine. Elle a bon dos, la république.

  • La Chute des Titans, Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1588-1590
Crédit : SMK Open

It’s raining men! Le peintre néerlandais Corneille de Harleem est connu pour son style maniériste, avec ses personnages aux membres allongés et aux petites têtes, mais aussi pour ses “bubble butts” qui lui font mériter sa place dans cette sélection. Cette toile célébrant le corps masculin laisse aussi transparaître son humour, notamment grâce aux cache-sexes farfelus et un personnage à droite semblant très inquiet à l’idée de voir son visage écrasé par le fondement de son acolyte.

  • Les Lutteurs, Philippe Magnier, 1684-1688
Crédit : Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Pierre Philibert

La lutte en tenue de sport, c’est déjà quelque chose, mais alors en tenue d’Adam… Cette œuvre de Philippe Magnier, conservée au Louvre, est une copie de la sculpture romaine Les Lutteurs, visible dans la galerie des Offices, à Florence. La coutume antique voulait que les hommes pratiquent les disciplines sportives entièrement dévêtus, et la lutte n’échappe pas à la règle. Rencontre de corps nus dans un jeu de domination, cette œuvre transpire l'homoérotisme et permet d’admirer d’un seul angle deux paires de fesses gonflées par l’effort.

  • Les Sabines, Jacques-Louis David, 1799
Crédit : GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Michel Urtado

Dans ce gigantesque tableau, le peintre néoclassique Jacques-Louis David (à ne pas confondre avec le coiffeur-visagiste) illustre l’instant où les Sabines, que les Romains avaient enlevées pour les épouser, s'interposent entre ces derniers et les Sabins. Cet épisode offre l’opportunité aux artistes de représenter des corps nus en lutte, et David n’échappe pas à la règle, son Romulus à la lance haute n’ayant que son bouclier et son casque pour se couvrir. Cette mode du “Grec pur”, comme il l’appelait, nous offre à voir l’une des plus célèbres paires de fesses masculines de l’histoire de l’art.

  • Le Pêcheur à l’épervier, Frédéric Bazille, 1868
Crédit : Remagen, Arp Museum Bahnhof Rolandseck / Collection Rau for UNICEF

L’accrochage de cette toile a été refusé au Salon des artistes français de 1869, et pour cause ! Bien qu’elle fasse écho aux figures guerrières, cette nudité masculine n'est justifiée par aucun des prétextes historiques ou mythologiques alors prônés par l’académisme des Beaux-Arts. L’artiste convoque des éléments de décor contemporains, et non historiques, pour y faire poser un homme nu, le premier baigneur grand format de l’histoire de l’art occidentale… et donc l’une des premières paires de fesses de la vie moderne.

  • Naval Bathhouse, Eugène Jansson, 1907
Crédit : Thielska Galleriet, Tord Lund

Devant une guirlande d’hommes nus qui se scrutent autour d’une piscine, un corps de dos aux contours dessinés par la lumière se détache sous les coups de pinceau du Suédois Eugène Jansson. Cette figure d’un jeune homme appuyé contre une colonne permet à l’artiste de représenter un contrapposto excessif où le dos se courbe démesurément, laissant transparaître l’étude minutieuse de l’anatomie masculine, pour ne pas dire plus spécifiquement celle de ses fesses, auxquelles Jansson semble porter une réelle attention.

  • Héraklès archer, Antoine Bourdelle, 1909
Crédit : musée Bourdelle

Le peintre français a représenté un Héraklès au corps aussi tendu que l’arc qu’il bande pour abattre les oiseaux du lac Stymphale, au cours de ses douze travaux imposés par la déesse Héra. Prenant appui contre un rocher de sa jambe gauche, l’équilibre précaire amplifie la tension des muscles ainsi que l’écartement de ses fesses de héros grec, qui a de quoi faire rougir. Mais loin de faire scandale, le bronze fait sensation au salon des Beaux-Arts de 1910 et brille par l’interprétation moderne d’un sujet mythologique.

  • Le Lancement de filet, Suzanne Valadon, 1914
Crédit : Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. GrandPalaisRmn / Jacqueline Hyde

Ancien modèle devenue artiste autodidacte à force de côtoyer les ateliers, Suzanne Valadon restera toute sa carrière attachée à la pratique du modèle vivant. Celle qui posait pour les peintres inverse la balance en prenant comme modèle, pour son Lancement de filet, le jeune peintre Utter, devenu son amant. Sur un monumental panneau, Valadon représente par trois fois l’homme pratiquant le même geste dans trois poses différentes, offrant aux regards une paire d’un même fessier, cerné par le trait appuyé qui caractérise son style.

  • Adam et Ève, Tamara de Lempicka, 1932

Le sujet d’Adam et Ève est l’un des prétextes favoris des artistes pour représenter la nudité en esquivant la censure. L’icône des Années folles Tamara de Lempicka n’y échappe pas, insufflant aux deux personnages bibliques son style Art déco unique de l’entre-deux-guerres sur une toile qui passera entre les mains de Barbra Streisand. La vue de dos nous offre un fessier à la rondeur géométrique presque parfaite. La présence masculine est rare dans l’œuvre de Lempicka, l’artiste ayant construit son succès sur la représentation de femmes modernes et émancipées, notamment du milieu lesbien parisien.

  • The Bath, Paul Cadmus, 1951
Crédit : Digital Image Whitney Museum of Art / Licensed by Scala

Les œuvres de Paul Cadmus font cohabiter le beau et le laid, la satire sociale, l’érotisme et le queer, pour qui veut bien y être sensible. L’artiste américain, qui obtient le succès au milieu du siècle dernier et n’a alors plus rien à prouver, se voue à sa passion : dessiner des mecs nus. Vestiaire, marine, cruising, autant d’espaces d’homosociabilité qui deviennent homoérotiques. Sa scène du bain illustre peut-être deux amants qui remettent en ordre leurs affaires après un moment d’intimité (en témoigne le savon passé sur les fesses).

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