La pop lesbienne a sa nouvelle idole internationale : en quelques mois, la chanteuse américaine Chappell Roan est devenue incontournable, et refuse en même temps de se plier aux codes de la célébrité.
“Je me suis retrouvée dans trop d’interactions sociales et physiques qui n’étaient pas consenties et je tiens juste à rappeler que les femmes ne vous doivent que dalle. J’ai choisi cette voie parce que j’aime la musique. […] Je n’accepte et ne mérite aucun type de harcèlement lié à ce choix de carrière.” Chappell Roan dit les termes : à 26 ans et alors qu'elle ne vient qu'à peine d'apparaître sur la scène internationale, la chanteuse a tout de suite mis les choses au clair sur un post Instagram. Elle a appris autant de MeToo que de Britney Spears : elle ne se laissera pas réifier, elle ne sera pas cette popstar-objet des masses qui donne tout et se perd.
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La jeune Américaine vit son big break : il y a un an, personne ne connaissait même son nom (même si elle fait de la musique depuis dix ans). “Je suis l’artiste préférée de ton artiste préféré·e”, peut-elle affirmer dans un mélange de fierté et d'insolence – et une référence à sa drag queen de cœur, Sasha Colby – en guise de présentation à la foule du festival Coachella en avril. Et le pire, c'est qu'elle a raison : chaque semaine ou presque une nouvelle célébrité l'adoube. Adele, Lady Gaga, Ariana Grande, SZA… toutes tombent en pâmoison devant sa musique, une synth pop dansante et énergique sublimée par des paroles singulières, criantes de sincérité. Depuis le début d’année, l’artiste native du Missouri connaît une ascension express, se retrouvant catapultée au sommet des charts avec des titres pourtant déjà vieux à l'échelle de la pop, puisque son album, The Rise and Fall of a Midwest Princess, remonte à septembre 2023.
Mais ce succès soudain n'a absolument pas inhibé ses convictions béton sur son intimité et son image. “Ma carrière a fonctionné parce que j’ai fait les choses à ma façon et que je n’ai compromis ni mes principes moraux ni mon temps, affirmait-elle à Interview Magazine pendant l’été. Je n’ai pas cédé à la pression. Par exemple, je ne vais pas travailler avec une marque si ça ne me semble pas correct, peu importe les sommes qu’on est prêt à me payer. C’est pour cette raison que j’arrive à dormir sur mes deux oreilles.”
La princesse du peuple
Née dans une petite ville de quelques milliers d'habitants du centre des États-Unis, Kayleigh Amstutz – son nom à l’état civil – a pourtant commencé tôt, postant sa première chanson sur YouTube à l’âge de 17 ans, après avoir passé son adolescence à apprendre le piano. Parolière et chanteuse autodidacte, elle sort en 2017 un EP, School Nights, mais sa pop mélo plutôt simpliste peine à lui offrir la visibilité qu’elle espère. L’engrenage est lancé trois ans après, en pleine crise sanitaire, avec “Pink Pony Club”, un hit qui cartonne encore aujourd’hui sur TikTok. C’est alors qu’Olivia Rodrigo, qui vient de connaître le succès avec "Drivers License", l’invite à faire les premières parties de sa tournée états-unienne. Les streams augmentent, les likes aussi, et sur scène le public découvre une popstar moderne, généreuse, engagée et surtout irrémédiablement queer.
Drag pop et star queen
Ouvertement lesbienne – et en couple avec une femme “complètement en dehors de l’industrie” selon ses récentes et parcimonieuses confidences à Rolling Stone –, Chappell Roan traduit son exploration identitaire tout au long de son premier album. Avec “Pink Pony Club”, elle rappelait le besoin d'endroits safe et d'être bien entouré par la commu ; le très pop “Femininomenon” prône que le coït est bien plus jouissif avec une femme qu’avec un homme ; dans le nostalgique “Naked in Manhattan” elle rêve d'un premier baiser lesbien à la Mulholland Drive.
Chappell Roan assume ses positions jusqu'au bout. Elle a d'ailleurs refusé une invitation à jouer pour la Pride 2024 à la Maison-Blanche, répondant : "Nous voulons la liberté et la justice pour tous. Quand vous ferez cela, je viendrai." Et si l'élection présidentielle de novembre et la candidature de Donald Trump l'inquiètent pour la communauté LGBTQ+, elle prend aussi position sur les droits des femmes et des personnes trans, et dénonce la colonisation de la Palestine…
Dans la lignée de jeunes talents émergents comme Reneé Rapp ou Lil Nas X, la jeune femme est out and proud et veut utiliser sa stature pour faire rayonner la communauté queer. Le 12 septembre, lors de la dernière édition des MTV Video Music Awards, elle a dédié sa victoire du prix de la Meilleure nouvelle artiste à “tous les enfants queers du Midwest” ainsi qu'à “tous les artistes drag qui m’ont inspirée” et à “toutes les personnes queers et trans qui alimentent partout la pop”.
Visage ultra poudré, lèvres rouges, fard à paupière bleu électrique, cheveux roux façon Mylène Farmer… Bien qu’on puisse y voir des clins d’œil à Madonna ou à Cyndi Lauper, Chappell Roan mise sur une identité visuelle singulière. Elle est d’ailleurs très claire sur sa démarche : quand elle performe devant un public, elle est en drag. En concevant ce qu’elle considère comme un alter ego, la chanteuse facilite ainsi la scission avec sa vie privée. Impossible alors de ne pas penser à une autre rousse qui a maîtrisé l'art de préserver son intimité ; en espérant que Chappell ne finisse pas désenchantée par cette gloire soudaine…
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Crédit photo : Ryan Lee Clemens