France Télévisions a fait beaucoup pour que rayonne le drag auprès du grand public. Mais Drag Race France n'a pas pour autant ouvert le bal, qui a entre autres débuté avec la compétition parisienne Drag Me Up, un des premiers tremplins pour les queens, kings et autres créatures.
Chaque dimanche, au Who's, un bar gay du Marais, à Paris, trois drags s'affrontent sous les acclamations du public lors de la très courue Drag Me Up (DMU). "L'idée de la compétition est née lors d’une conversation entre potes, explique Anne-Sophie, cofondatrice de l’événement. Évidemment, on a été influencés par Rupaul's Drag Race, mais on a tout de même voulu se démarquer en proposant des épreuves différentes et en valorisant les clients qui font le déplacement.”
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Le dimanche 4 novembre 2018 a lieu la première épreuve. Trois artistes – queens, kings, etc. – s’affrontent au gré d’épreuves bien définies : un lip sync sur un sujet imposé, un lip sync à choix libre et, pour clore la soirée, un défilé. Et le système d'élimination est complexe. À chaque consommation achetée au bar, on reçoit un "drag dollar". Après une performance, ils vous permettent de soutenir l’artiste de votre choix. Celui ou celle qui aura finalement récolté le plus de billets remporte l'étoile de la soirée. Quatre étoiles permettent de se qualifier pour les demi-finales, qui se déroulent au printemps.
Chaque dimanche, la deuxième du podium se qualifie pour la semaine suivante et reste dans la compétition. Quant à la dernière, elle est malheureusement éliminée, bien qu’il existe des modalités pour revenir… Après la demi-finale qui se déroule en deux sessions (huit candidates y participent), place à la finale, où les quatre favorites de la saison proposent un ultime affrontement au Nouveau Casino, une salle de concert plus grande – “on tenait à offrir aux artistes une vraie scène leur permettant davantage de choses”, note Anne-Sophie.
Et les drag dollars permettent aussi de rémunérer les artistes : un drag dollar équivaut à 80 centimes d'euros. À demi-mot, Anne-Sophie avoue que ce n’est “pas vraiment rentable”. “Ma plus grosse soirée, je crois que j’ai pu empocher 255 euros”, confie Barbatata, finaliste de la saison précédente, qui précise que l’argent gagné ne permet “pas du tout” de renflouer son compte en banque.
Cookie Kunty, visage du concours
L'équipe originelle était enthousiaste et motivée, mais pas certaine que le drag puisse trouver son public sous nos latitudes – on est trois ans avant Drag Race France. “On avait quelques clients, mais ce n’était pas la cohue, se rappelle Anne-Sophie. On ne savait pas dans quoi on se lançait, c’était impossible de savoir comment le concept allait être accueilli.” Alors que la sixième édition démarre ce dimanche 6 octobre, inutile de dire que la DMU est une jolie réussite. Et cette success-story est en partie due à son animatrice : Cookie Kunty. “Elle est là depuis le début du projet, toujours très investie, souligne la cofondatrice. Je crois qu’elle aime le concours à peu près autant que nous.”
Découverte par beaucoup en exquise (fausse) vilaine dans la saison 2 de Drag Race France, la queen déploie ses talents de présentatrice depuis le début de la Drag Me Up : un brin piquante mais toujours bienveillante. “Ça m’a permis de m’asseoir comme hôtesse de soirée et comme une référence dans le milieu, confie Cookie Kunty. De fil en aiguille, ça m’a permis d’ouvrir la voie à pas mal d’artistes, dont certaines ont fait Drag Race France par la suite.” Lolita Banana, Piche, Misty Phoenix, Mami Watta, Keiona… Avant d’embellir nos écrans télé, ces reines ont donc foulé la scène du Who’s.
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À l’image de Drag Race, les artistes concourant à la Drag Me Up mobilisent souvent un budget conséquent pour leurs perruques, tenues et accessoires. “Chaque semaine, tu as trois looks à avoir, et ça peut être plusieurs dimanches d’affilée, détaille Barbatata. Mais la Drag Me Up n’est pas une histoire de thunes. Ce n’est pas forcément celle qui a les plus beaux costumes qui va gagner. Ça dépend de ton univers, de ce que tu donnes sur scène, de ton interaction avec le public. Mais c’est sûr que si tu as des talents de couture, c’est quand même plus pratique ! Et puis c’est de l’investissement : par exemple, il y a des numéros que j’ai faits à la DMU que j’ai reproduits par la suite dans d’autres bookings. Ce n’est pas de l’argent gaspillé.”
L'impact de Drag Race
L’arrivée de Drag Race France a permis de démocratiser l’art du drag. Et depuis, les attentes, voire exigences, du public grimpent en flèche. “On a toujours eu de très bons artistes avec des shows hyper aboutis, mais on voit bien que d’année en année les participants se mettent une pression supplémentaire pour aller encore au-delà”, reconnaît Anne-Sophie.
“La compétition est bien plus rude aujourd’hui, poursuit Barbatata. J’en parlais d'ailleurs avec Icee Drag On qui avait concouru pendant la première saison… Les artistes dépensent beaucoup plus parce que le public en attend toujours plus.” Lors de la finale de la saison 5, la jeune queen avait scotché le public avec une performance en hommage à Stonewall où elle arrachait des morceaux de sa “robe brique” pendant un lip sync énervé et politique. Pour Cookie Kunty, cette montée en gamme s’explique aussi par une envie des artistes d'en faire un métier : “Je vois clairement une volonté de se professionnaliser à travers des costumes et des numéros de plus en plus élaborés. Il y a un effort dingue. C’est un véritable régal !”
Tremplin ouvert à toustes
Outre le titre de Drag Superstar, la victoire s'accompagne de plusieurs récompenses : l’enregistrement d’un titre original cocréé avec Markweld – qui compose notamment les chansons des Musidrag de Drag Race France –, le tournage d’un clip pour l’accompagner et une semaine tout compris à l’European Snow Pride. Mais pour les artistes, gagner la Drag Me Up représente surtout un tremplin de rêve pour cimenter un début de carrière potentielle. “Ayant souffert de la solitude, j’ai envie de faire ce concours pour consolider les liens avec mes adelphes drag. Mais c’est clair que l’aspect compétition est hyper motivant, souligne Brett-Anne Denfert, queen encore débutante qui fera ses débuts dans la compétition en décembre. On a un large public, un énorme écran et des possibilités assez folles.”
Cookie Kunty remarque des artistes “de plus en plus jeunes qui veulent faire du drag beaucoup plus queer dans l’esthétique ou dans l’expression scénique”. Les profils varient néanmoins énormément : “Le concours a toujours été ouvert à toustes mais ça a été compliqué au début d’avoir des kings, par exemple, note la présentatrice. Or ces deux dernières saisons, ça a beaucoup évolué. On a eu des drag kings, des drag créatures, des drag queers…” Une diversité que l’on peine encore à voir apparaître dans Drag Race France, voire dans le reste de la franchise Drag Race. La Drag Me Up, toujours pionnière.
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Crédits photo : Jimmy Chakar