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écransCiné, fais-moi peur : trois films queers à voir pour Halloween

Par Thomas Desroches le 25/10/2024
Revanche de Freddy

Qui a peur du grand méchant queer ? C'est pas vous, c'est pas nous. Pour fêter Halloween bien au chaud sous la couverture (on peut s'y cacher si besoin), on a sélectionné pour vous trois films qui jouent sur nos angoisses et des sous-textes très gays.

  • La Féline : la méchante était lesbienne

Irena est une femme comme les autres, du moins en apparence : si elle couche avec le beau Oliver Reed, l’Américain qu’elle vient d’épouser, elle risque de se transformer en panthère. Quand La Féline de Jacques Tourneur sort en 1942, l'autocensure du code Hays règne sur Hollywood : on ne voit dans les films ni sexualité, ni infidélité, et surtout pas d'homosexualité. Alors le film joue tout du long sur les sentiments réprimés et s'empare de ces sujets interdits avec une modernité folle.

Le scénariste gay DeWitt Bodeen a imaginé un récit fantastique dans lequel une femme victime d’une malédiction ancestrale se métamorphose en fauve si elle fait l'amour avec son mari. Il exprime à travers Irina le vécu d’une personne queer de l'époque, entre le rejet, la honte et le sentiment de ne pas être accepté. 

Le mot “homosexualité” n’est jamais prononcé, évidemment, mais le propos du film se lit entre les lignes, comme lorsqu'Irena se confie à son époux : “J’envie toutes les femmes que je croise dans la rue. Elles sont heureuses. Elles rendent leurs maris heureux. Elles vivent des vies normales, comblées.” Cette “normalité”, renvoyée aux visages de ceux qui y échappent, broie l’héroïne de l’intérieur et l’isole un peu plus du reste du monde.

Irena n'est pas un personnage féminin comme on avait l'habitude d'en voir à cette période. Elle est torturée, solitaire et écorche l'image de l'épouse parfaite en refusant de se donner à son mari. Ce dernier ne tarde pas à se ruer dans les bras de sa collègue de travail, Alice, qui coche toutes les cases de la femme modèle. De quoi susciter la jalousie d'Irena, montrée plus que jamais comme un obstacle au couple idéal. 

Le scénariste DeWitt Bodeen assumait pleinement ces ambiguïtés : “J'aime cette insinuation. (…) La peur d'Irena d’embrasser son mari s'explique par le fait qu'elle puisse être une lesbienne écœurée à l'idée d’embrasser un homme.” Malgré la censure, Hollywood venait de sortir, sans le savoir, l'un des plus grands films queers de son histoire. 

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  • Les Diaboliques : les bonnes amies

Si l’on devait établir un classement des plus grands films d’angoisse français, Les Diaboliques d'Henri-Georges Clouzot occuperait l’une des premières places. Dans ce chef-d’œuvre de 1955, deux enseignantes d’une école pour jeunes garçons sont liées par un pacte des plus sordides : ensemble, elles ont tué un homme. L’une est son épouse, l'autre est sa maîtresse. Leur secret est mis en danger quand le corps disparaît.

Le film réunit Simone Signoret et Véra Clouzot – la femme du réalisateur – dans la peau des deux complices. À l’écran, les deux personnages sont inséparables : elles se réconfortent, s’enlacent, partent en vacances ensemble et dorment dans le même lit. Quand le cadavre de la victime se volatilise, l’épouse propose même à son acolyte de se faire la malle. Le duo n’est pas sans rappeler celui de Thelma & Louise, sorti des décennies plus tard. Malheureusement, contrairement au classique de Ridley Scott, l’évasion n’a pas lieu et les deux héroïnes n’échangent aucun baiser…

Rien dans Les Diaboliques ne permet d’affirmer que les deux femmes sont amantes, mais l'ambiguïté de leur relation parcourt tout le film. D'ailleurs, dans l'œuvre originale, le roman policier Celle qui n'était plus de Pierre Boileau et Thomas Narcejac, publié en 1952, c’est l’épouse qui est tuée par son mari et sa maîtresse. Dans le livre, “celle qui n’était plus” n’est pas morte, ce n'était qu'un subterfuge des deux enseignantes qui s’aiment en secret pour se débarrasser de l’homme et toucher son assurance-vie.

Henri-Georges Clouzot change la trame du roman et met un voile sur l’homosexualité des personnages. Dans les années 1950, les personnages ouvertement LGBTQI+ sont à peu près absents des productions françaises. Tout juste note-t-on le drame Olivia de Jacqueline Audry, en 1951.

Au milieu des années 1990, une nouvelle adaptation des Diaboliques voit le jour à Hollywood. Pour le rôle des enseignantes, le réalisateur Jeremiah S. Chechik choisit Isabelle Adjani et Sharon Stone, icône bisexuelle depuis Basic Instinct, quatre ans auparavant. Mais au lieu de rendre justice à l’histoire d’origine, il se contente simplement de recopier les changements de Clouzot, et fait un flop critique et commercial.

  • La Revanche de Freddy : final boy ou scream queen ?

Dans les films d'horreur, la dernière survivante est célébrée comme la final girl ou la scream queen : celle qui crie le plus fort, mais aussi la bad ass qui tient tête au tueur. En 1985, dans La Revanche de Freddy, la parole est au garçon. Ce second volet des aventures du psychopathe Freddy Krueger, qui terrorise des ados dans leurs cauchemars, met en avant l'un des rares scream kings du cinéma, dans un film bourré de sous-texte gay.

Mais il ne s'agit pas vraiment de sous-texte discret et subtil : on sort plutôt la grosse truelle camp. Dans une scène, le héros s’adonne à une danse suggestive au rythme d’un titre des années 1980, s’empare d’un bâton en bois en guise de micro avant de le faufiler entre ses jambes. Les plus observateurs remarqueront le panneau “No Chicks” - "Interdit aux meufs" en français – sur la porte de sa chambre. À un autre moment, le personnage principal, somnambule, atterrit dans un bar gay BDSM et tombe sur son prof de sport vêtu de cuir. Ce denier fini, une séquence plus tard, tué dans les douches, les mains accrochées à des cordes à sauter comme s'il s'agissait d'un rituel sado-maso.

À sa sortie, le film est une réussite commerciale, mais il devient vite le moins aimé de la franchise : on lui reproche le peu de meurtres (pour un slasher), un Freddy plus ridicule qu'effrayant, etc. Au fil des ans, les fans cherchent de nouvelles raisons de le détester et concentrent leurs attaques sur Mark Patton, l'acteur principal. Encore dans le placard lors du tournage, il se voit reprocher son jeu qui aurait "rendu" le film gay. Cible d'insultes homophobes et désespéré par l'expérience, il quitte le cinéma peu de temps après.

En 2019, un documentaire, Scream, Queen! My Nightmare On Elm Street, lui rend justice, en rappelant ce que c'était d'être un acteur gay dans le placard à Hollywood dans le climat très homophobe des années 1980, vite renforcé par la pandémie du sida. Longtemps, l'équipe du film a nié son homoérotisme, estimant que l'interprétation de Mark Patton en était la seule responsable, mais dans les années 2000 le scénariste David Chaskin commença à assumer : "[À l'époque] l'homophobie montait en flèche et j'ai commencé à penser au public de ce type de film – les garçons adolescents – et à la façon dont tout cela pourrait se répercuter sur leur psychisme à un âge où les hormones déchaînées produisent souvent des rêves et des pulsions qui les poussent (ne serait-ce qu'inconsciemment) à remettre en question leur propre sexualité.”

Dans une autre interview, le scénariste livre, ironiquement, une autre interprétation : "On pourrait s'amuser à analyser le film comme une métaphore : à la fin, Jesse est enfin capable de contrôler le monstre qui est en lui (son homosexualité latente) grâce à l'amour d'une femme. Peut-être devraient-ils montrer ce film lors des séances de déprogrammation évangélique où ils tentent de «guérir» les homosexuels."

Aujourd'hui célébré pour sa gayness, La Revanche de Freddy s'est constitué une communauté de fans gays, et est projeté lors de séances endiablées durant lesquelles il est présenté comme le film “qui fait passer Priscilla, folle du désert pour un film républicain”, comme le rapporte The Hollywood Reporter.

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Crédit photo : New Line Cinema

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