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reportageL'humour queer est roi sur la péniche La Nouvelle Seine

Par Florian Ques le 31/12/2024
La Nouvelle Scène est une salle de spectacle située sur une péniche, à Paris

[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'hiver] Depuis douze ans, les humoristes LGBT+ trouvent à coup sûr leur public à La Nouvelle Seine, une péniche dîner-spectacle devenue la terre promise du stand-up queer à Paris.

Shirley Souagnon, La Big Bertha et Lou Trotignon sont sur un bateau. Personne ne tombe à l'eau, car ceci n'est pas une blague mais une description de La Nouvelle Seine, une péniche amarrée quai de Montebello juste en face de Notre-Dame de Paris, devenue en peu de temps la plus grosse scène du stand-up queer en Île-de-France. "C'est vrai que le lieu a été estampillé LGBTQI+ ces dernières années, reconnaît Jessie Varin, sa directrice artistique. À l'extérieur, j'ai entendu des comédiens dire que c'était devenu la péniche des gays et des lesbiennes. C'est marrant à quel point on a cette étiquette, alors qu'en réalité il y a une large diversité dans notre programmation."

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En 2012, après avoir fait ses armes au Théâtre du Point-Virgule, haut lieu du spectacle vivant dans le Marais, Jessie Varin nourrit une envie d'indépendance. Sur internet, elle tape "acheter un théâtre à Paris" et tombe sur une étrange annonce immobilière : un couple de magiciens met en vente sa péniche, baptisée Métamorphosis, comprenant un restaurant sur le pont supérieur et, dans la cale, une salle de spectacle dotée d'une estrade de 25 m², d'un grand rideau de velours rouge et de 115 places (des anciens fauteuils de l'Olympia, pour la petite histoire). "En tant que Parisienne d'adoption, je ne connaissais pas cet endroit. Ça me paraissait dingue comme concept, reprend Jessie. Le Port autonome de Paris imposait aux nouveaux propriétaires d'avoir un projet culturel pour les habitants de la ville." Elle rencontre un couple d'entrepreneurs (dont Candice Cinquin, aujourd'hui en charge du restaurant), et l'affaire est conclue deux jours plus tard.

Crédit photo : Thomas OBrien
Jessie Varin, directrice artistique de La Nouvelle Seine

Première décision à prendre : quel genre de spectacles le lieu va-t-il accueillir ? "Quand j'ai pris la direction artistique, je me suis demandé ce que je voulais défendre, détaille Jessie Varin. J'ai eu rapidement envie de raconter des histoires de femmes, car je nous trouvais sous-représentées dans l'humour. Évidemment, la presse culturelle a vite réduit la péniche à un lieu « 100 % girly »…"

Les humoristes LGBT à l'abordage

Au fil des saisons, la programmation de La Nouvelle Seine accorde de plus en plus de place à des artistes LGBTQI+. Tahnee, Louis Cattelat, Noam Sinseau… La nouvelle génération du stand-up parisien y fait ses armes et y croise des artistes internationaux comme la Britannique Eddie Izzard ou la Cubaine Allanah Starr. "Plus j'avance dans ma direction artistique, plus j'affine ce que j'ai envie de présenter au public. J'y vois une forme de revendication sociale", théorise Jessie Varin. Après un master de sociologie à Rouen, elle s'est intéressée aux cultures urbaines, ce qui a influencé son cheminement professionnel et militant. "La programmation queer est une ramification du combat féministe que je mène depuis toujours, poursuit-elle. J'ai pris conscience que cette parole était politique car c'est une parole minoritaire et stigmatisée, notamment dans l'humour où les traits étaient toujours grossis ; on tendait facilement vers la caricature. C'est une volonté de ma part de mettre en lumière des talents, des voix, des récits qui font écho à de vraies problématiques sociétales et qui viennent casser les idées reçues qu'ont beaucoup de personnes."

Les paris artistiques de Jessie payent, et le public est au rendez-vous. "J'adore observer comment les catégories de spectateurs se mélangent, observe-t-elle. On m'a souvent répété que ce que je proposais allait être niche, et en fait c'est toujours passé. Toujours. Dire qu'il y a encore des directeurs de salle qui refusent de programmer des spectacles de drag parce qu'ils pensent que ça va faire peur à leur clientèle… Il faut qu'ils se réveillent ! Ils ne se rendent pas compte du pouvoir qu'ils ont : tu peux confronter ton public à un spectacle joyeux, militant, ouvert d'esprit." En attendant que ses concurrents ouvrent les yeux, la directrice artistique se réjouit de gérer un lieu où des discussions s'ouvrent et où les humoristes queers se sentent accueillis, considérés, en sécurité. Bien sûr, elle a pleinement conscience que La Nouvelle Seine est surtout un tremplin pour eux : "Je suis comme une passeuse. Pour moi, une salle a pour vocation de faire qu'une œuvre et un public se rencontrent. Une fois que c'est fait, je leur souhaite de partir le plus rapidement possible. Ça voudra dire qu'ils ont trouvé le succès qu'ils méritent."

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Crédit photo : La Nouvelle Seine

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